PHILIPPE BLANCHET ET DANIEL COSTE (DIR.) REGARDS CRITIQUES SUR LA NOTION D’ « I

PHILIPPE BLANCHET ET DANIEL COSTE (DIR.) REGARDS CRITIQUES SUR LA NOTION D’ « INTERCULTURALITE » POUR UNE DIDACTIQUE DE LA PLURALITE LINGUISTIQUE ET CULTURELLE avec la collaboration de Sanaa HOTEIT Photo de couverture : cliché de Philippe Blanchet, Alger, 2008. Les textes réunis dans ce volume sont issus de l’atelier « Regards critiques sur la question interculturelle » du Colloque international « Langue(s) et Insertion, (discriminations, normes, apprentissages, identités…) » organisé à l’Université Rennes 2 par le PREFics (EA3207), le GIS « Pluralités Linguistiques et Culturelles » et le Réseau Francophone de Sociolinguistique les 16, 17 et 18 juin 2009. DEBONO, M. (2010), « De l’intérêt des ‘marges juridiques’ pour repenser l’interculturel en classe de français juridique », In : BLANCHET, P. et COSTE, D. (dirs.), Regards critiques sur la notion d’ « interculturalité ». Pour une didactique de la pluralité linguistique et culturelle, Paris : L’Harmattan, coll. Espaces Discursifs, pp. 149-172. DE L’INTERET DE L’HERMENEUTIQUE POUR REPENSER L’INTERCULTUREL EN CLASSE DE FRANÇAIS JURIDIQUE Marc Debono, EA 4246 DYNADIV1 Université François Rabelais de Tours Introduction Denis Simard (Simard, 2000) a montré que, face à la complexification de la société moderne, les systèmes éducatifs nationaux avaient tendance à privilégier des contenus techniques, directement opérationnels et donc « rentables », tout en négligeant une dimension culturelle, héritière d’une conception humaniste de l’éducation, dont il faut certes « clarifier » le contenu (Simard, 2002), mais seule à même de donner du sens, de la « forme » (Bruner, 1991), à cette technicisation. Or, cette tendance générale à la technicisation des apprentissages semble amplifiée dans le domaine de la formation juridique : qui n’a jamais entendu dire que les études de droit étaient le règne du « par cœur », de l’apprentissage systématique de la règle et du terme justes ? Cette tendance est parfaitement résumée dans la formule de Pierre Legrand selon laquelle l’Université française aurait abandonné l’ambition de former de véritables « jurisconsultes », pour se contenter de ne « produire » que de simples - mais néanmoins « efficaces » - 1 Equipe implantée également à l'Université de Limoges. 150 juristes techniciens, directement opérationnels et employables (Legrand, 1996a : 317). Si la question de la pertinence de ce modèle éducatif se pose pour la formation des étudiants juristes nationaux, c’est avec une acuité renouvelée qu’elle se pose en situation interculturelle, quand il s’agit de former en langue juridique française des étudiants étrangers inscrits ou se préparant à entrer à l’université1. Est-il possible/souhaitable d’enseigner le français juridique2 dans une perspective exclusivement techno- terminologique (entendue comme réduction aux termes et aux concepts, aux dimensions terminologique et technique), sans recourir aux notions de culture et d’interculturel3 ? Il semble en tout cas que cette approche soit celle privilégiée par nombre de méthodes et programmes de formation existants, ce qui s’explique en partie par l’alignement sur le paradigme dominant en didactique du droit français. Mais, si au sein d’une culture juridique nationale on peut regretter que la dimension technique supplante la dimension culturelle au point de la réduire à la portion congrue, peut-on entériner une telle réduction quand il s’agit de préparer des individus à la rencontre d’une culture juridique autre ? Poser la question, c’est y répondre. Dès lors, comment la perspective herméneutique, adoptée par des chercheurs d’horizons très divers pour penser le rapport à 1 Cette réflexion s’inscrit dans le cadre d’une thèse, dirigée par Didier de Robillard, sur la « langue-langage-discours-culture » du droit et son enseignement à un public d’étudiants étrangers. 2 Appellation consacrée pour cet enseignement de spécialité, que nous ne discuterons pas ici. 3 Nous conserverons dans un premier temps ce couple « culturel/interculturel », tout en ayant conscience de la redondance, l’ « interculturel » incluant nécessairement le « culturel », et le « culturel » n’étant pas définissable hors d’un cadre relationnel (Abdallah-Pretceille, 2003 : 28 et suiv.). La perspective herméneutique que nous proposerons plus bas à la didactique du français juridique, viendra expliciter l’interdépendance des deux notions. 151 l’autre (Legrand, 1996a et 2006 ; Dahl, 2005 ; Dahl, Jensen et Nynäs, 2006 ; Dervin, 2008 ; Abdallah-Pretceille, 2003 ; Robillard, 2009 ; Simard, 2002 et 2004), peut nous aider à réfléchir la dimension interculturelle d’une telle préparation ? Avant de présenter des propositions didactiques concrètes en ce sens, il semble nécessaire de partir d’une analyse des - relativement rares - matériels pédagogiques et programmes de formation existant dans le domaine du français juridique. La dominance de l’approche « techno- terminologique » du français juridique Florence Mourlhon-Dallies considère que ce qu’elle désigne comme « la priorité aux mots » ne constitue qu’un « moment » dans l’histoire des didactiques linguistiques de spécialité (Mourlhon-Dallies, 2008). Or, il semble bien que ce moment soit toujours celui de la didactique du français juridique : quelques transformations « cosmétiques » sous l’influence du courant communicatif ne masquent guère une focalisation sur l’acquisition des termes et de leurs contenus conceptuels : l’enseignement se réduit donc souvent à un jeu de « poupées gigognes », avec un travail de « déballage » de notions dont le signifiant est préalablement et systématiquement appris. La conséquence de cette priorité techno-terminologique étant la place secondaire accordée à la dimension culturelle, et a fortiori interculturelle, de l’enseignement du français juridique. Pointant « les limites épistémologiques de la linguistique du mot » pour l’appréhension du langage du droit, le terminologue P. Lerat (Lerat, 2005) désigne, aux côtés d’ouvrages plus théoriques, certaines méthodes de français juridique. Le matériel pédagogique existant présente en effet une nette tendance à réduire le langage-discours-culture juridique à la langue, entité réifiée que les dictionnaires et autres vocabulaires juridiques s’efforcent de circonscrire. S’il ne s’agit pas de nier l’utilité d’un tel travail (et en particulier pour le praticien, 152 souvent non spécialiste du français juridique), la didactique du français juridique ne saurait se contenter de cela : la dimension culturelle des « phénomènes L » - expression proposée par D. de Robillard pour éviter le terme trop connoté de langue (Robillard, 2007) apparaît comme un axe important à développer. Pour exemplifier la dominance techno-terminologique en français juridique, analysons quelques méthodes et programmes de formation qui nous semble la refléter. Les méthodes de français juridique : termes et concepts Nous nous limiterons ici à l’examen de deux méthodes qui nous semblent emblématiques de cette tendance : Le français juridique (Schena et Proietto, 1992) et Le français pour les juristes (Larisova, 2006). En plein courant communicatif (1992), L. Schena et B. Proietto proposent une méthode archétypale de l’option techno- terminologique. Un rapide aperçu de la structure le montre. Une division notionnelle (« Les erreurs judiciaires », « Le tribunal d’instance », « L’autorité parentale », etc.) préside à l’organisation générale de l’ouvrage en chapitres, lesquels présentent l’ossature standard suivante : 1) Un texte authentique (article de doctrine ou journalistique, extrait de traité ou manuel de droit, etc.), suivi d’une série de questions. 2) Une section intitulée « De la langue aux institutions : la langue », qui comprend deux sous-sections : l’une, étoffée, consacrée au lexique, l’autre - limitée et un peu artificielle - à la morphosyntaxe. 3) Et pour terminer, une section « De la langue aux institutions : le droit », qui présente des définitions de notions juridiques (ordre public, code du travail, etc.), en cohérence avec la thématique générale du chapitre. 153 Cette séparation matérielle entre « la langue » (lexique, principalement) d’un côté et « le droit » (définitions des concepts) de l’autre, est très caractéristique de l’approche techno-terminologique. Outre l’essentialisation des objets d’étude (langue et droit comme monades), cette opposition montre une conception instrumentale et techniciste de la « langue », outil au service de l’expression des concepts juridiques. On le voit : les aspects culturels et interculturels sont absents de cette méthode. L’exemple du manuel, plus récent, de M. Larisova (Le français pour les juristes, 2e éd., 2006) étaye ce constat. Dès la préface, l’auteur, traductrice-interprète assermentée auprès des tribunaux de République Tchèque (et non juriste), met explicitement en avant la dimension « linguistique » : « Le souci de l’auteur est avant tout d’ordre linguistique » (Larisova, 2006 : Préface). Cette dimension linguistique étant elle-même très largement réduite à une terminologie spécifique : « [L’approche] consiste à aider les ‘apprenants’ non seulement à appréhender le langage juridique français, la terminologie, le vocabulaire, les tournures, les constantes linguistiques observées et spécifiques à ce langage, mais encore à s’essayer à la traduction vers le tchèque » (Larisova, 2006 : Préface). Là encore, la manière dont les chapitres du manuel sont structurés reflète la primauté du « souci » terminologique. Chaque chapitre peut se décomposer ainsi : une partie constituée d’un texte de cours ou d’un texte de référence, une partie exercices, et une partie de synthèse des points principaux à retenir. Examinons le premier d’entre eux, introductif des spécificités du « Langage juridique », et dont, ce qui est éclairant, le sous-titre est l’ « Importance de la terminologie ». 1) La partie « cours » est constituée de trois paragraphes dont uploads/Societe et culture/ blanchet-et-coste-regards-critiques-sur-la-notion-dinterculturalite.pdf

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