Socio-anthropologie 28 | 2013 Apocalypses Retour sur La fine del mondo d’Ernest
Socio-anthropologie 28 | 2013 Apocalypses Retour sur La fine del mondo d’Ernesto De Martino Marina Maestrutti Édition électronique URL : http://socio- anthropologie.revues.org/1552 ISSN : 1773-018X Éditeur Publications de la Sorbonne Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2013 Pagination : 65-82 ISBN : 978-2-85944-761-8 ISSN : 1276-8707 Référence électronique Marina Maestrutti, « Retour sur La fine del mondo d’Ernesto De Martino », Socio-anthropologie [En ligne], 28 | 2013, mis en ligne le 23 septembre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://socio- anthropologie.revues.org/1552 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Tous droits réservés 65 Retour sur La fine del mondo d’Ernesto De Martino marina maestrutti Résumé La fine del mondo, ouvrage posthume et inachevé de l’anthropologue Ernesto De Martino, dont l’accueil en France reste ambigu et partiel, continue de questionner sur le sens et le rôle de la culture humaine dans les crises menaçant la société contemporaine. Proposant de réélaborer la notion de crise de la présence dans « un objet culturel déterminé », De Martino explore la notion de fin du monde comme « la représenta- tion, collective et culturelle, de l’Apocalypse en tant qu’image de la fin des Temps ». Il invite à un engagement intellectuel, politique, cultu- rel qui valorise plus la notion de « monde » que celle de « fin », car l’expérience du monde est la capacité de relancer le jeu, même quand on pense que la partie est terminée : le désir d’imperturbabilité d’un monde sans risque ne constitue pas un monde du possible. Mots clés : De Martino, fin des temps, anthropologie, monde, expérience, présence Abstract La fine del mondo (The end of the World), the posthumous and unfini- shed work of Ernesto De Martino, has gained an ambiguous and partial acceptance in France. Nevertheless, it never stops questioning the mea- ning and the role of human culture in the crises threatening contem- porary society. Intending to revise the notion of ‘crisis of presence’ in a ‘specific cultural object’, De Martino explores the idea of the end of the world as ‘the collective and cultural representation of the Apoca- lypse as the image of the end of the Time’. He calls for an intellectual, political and cultural commitment that is able to give more value to the notion of ‘world’ than that of ‘end’, as the experience of the world is the capacity to re-launch the game, even when we think that the game is over : the desire of imperturbability in a world without risk is not the world of the possible. Keywords : De Martino, end of the world, anthropology, world, experience, presence 66 marina maestrutti Le statut d’un ouvrage singulier comme La fine del mondo 1 (De Martino, 1977), posthume et inachevé, et de son auteur, Ernesto De Martino, dont l’accueil en France reste ambigu ou partiel (Severi, 1999 ; Fabre, 1999, 2013 ; Bergé, 2001), continue de questionner sur le sens et le rôle de la culture humaine dans les problèmes et les crises menaçant la société contemporaine. Depuis sa parution à la fin des années 1970, ce livre invite, sans pour autant pouvoir en épuiser les suggestions, à un détour à travers l’histoire et les cultures, consti- tuant ainsi une source renouvelée de réflexions philosophiques, anthropologiques et méthodologiques. Magie, mort et remords. Une ethnologie religieuse du sud de l’Italie Ernesto De Martino (1908-1965) vient à l’ethnographie et à l’historio- graphie religieuse à travers des études de philosophie à l’université de Naples, au cours desquelles il est très influencé par l’école idéaliste de Benedetto Croce. L’anthropologie de la religion de De Martino suit les traces des travaux de Raffaele Pettazzoni et d’Angelo Brelich, fon- dateurs de la nouvelle science de la religion en Italie avec une double orientation, à la fois historique et anthropologique. Cette approche historiciste du phénomène religieux constitue la spécificité de la voie italienne : c’est parce que le sacré est une expression particulière de la vie historique et spirituelle d’une culture qu’il est possible d’iden- tifier sa fonction dans un cadre historique défini et de soustraire à l’objet « religion » son aura de mystère. Dès ses premiers travaux (De Martino, 1941), il s’agit pour l’ethnologue italien de « mettre à l’épreuve dans des mondes his- toriques nouveaux » le dispositif historiciste crocien à partir d’une problématique centrale : comment rendre historiques, et donc idéa- lement contemporaines pour nous, les cultures étudiées par l’eth- nologie ? Comment réactualiser, dans notre contemporanéité, les drames spirituels et existentiels qui caractérisent historiquement ces cultures ? L’objectif de De Martino est de « promouvoir, à travers l’ethnologie, un élargissement de notre autoconscience historique » tout en menant une réflexion critique sur les théories ethnologiques dominantes au niveau international. Alors que le naturalisme 2 avait 1 On annonce enfin l’ouverture d’un chantier d’édition et de traduction de La fine del mondo sous la direction de Giordana Charuty, Daniel Fabre et Marcello Massen- zio aux Éditions de l’EHESS. 2 Les divers courants de pensée, du prélogisme de Lucien Lévy-Bruhl au sociolo- gisme d’Émile Durkheim, de la théorie diffusionniste de l’école de Vienne et de Wilhelm Schmidt au fonctionnalisme de Bronislaw Malinowski, jusqu’aux déve- loppements de l’anthropologie américaine, sont analysés et critiqués dans leurs présupposés, explicites ou implicites, anti-historiques et « naturalistes », selon les termes de l’ethnologue italien. 67 retour sur la fine del mondo d’ernesto de martino dossier éloigné et enfermé le monde primitif dans la classification d’une « mentalité typique » anhistorique, il s’agit là de « restituer au primi- tif son épaisseur de sujet agent à part entière, de pôle actif qui, dans le drame de l’histoire […], se bat héroïquement en vue de conquêtes spirituelles fondatrices 3 ». Reconstituer l’« ambiance spirituelle » des civilisations « primitives », avec les contradictions et les conflits historiques qui les caractérisent, permet de reconnaître, en la réac- tualisant, la proximité humaine de ces cultures. L’objet qui permet, pour De Martino, de vérifier cette possibi- lité est la magie, domaine privilégié des théories ethnologiques du xixe siècle. Ce choix, nourri par l’intérêt de l’ethnologue pour la métapsychique et les phénomènes chamaniques, ouvrira plus tard, en Italie, une période féconde de contacts entre psychiatrie et eth- nologie, qui donneront vie à une discipline autonome, l’ethnopsy- chiatrie. Le monde magique, paru en 1948, fait le lien entre les pro- blèmes posés par l’interprétation des cultures « primitives » et ceux concernant la réalité des pouvoirs magiques en général. Sensible depuis les années 1940 à l’influence de l’existentialisme de Martin Heidegger, De Martino introduit dans le domaine de l’anthropolo- gie religieuse les notions de crise de la présence et de son rachat. La certitude de l’homme contemporain de l’existence d’un Moi stable et garanti dans une nature donnée selon un rapport sujet-objet défini est, pour De Martino, le fruit d’un processus culturel et historique très complexe. Mais, dans les sociétés magiques, la préservation de la présence en tant que « sentiment élémentaire de soi » représente une nécessité humaine vitale car « le fait négatif de la fragilité de la présence, de son égarement et de son abdication, est incompatible par définition avec toute création culturelle, qui implique toujours une manière positive de se poser en face du monde, donc une expé- rience, un drame, un problème, une évolution, un résultat 4 ». La crise de cette « énergie vitale », de cet « élan fondateur », l’angoisse qui exprime « la volonté d’être là comme présence face au risque de ne pas y être 5 », est le danger majeur que le « magisme », en tant qu’ins- titution culturelle, tente de maîtriser. Il s’agit d’un processus culturel qui empêche le sujet de retomber dans un état psychique indifféren- cié, complètement fusionné avec la nature. La vie magico-religieuse, la dimension du sacré – dans le chris- tianisme autant que dans les autres formes religieuses – représente pour De Martino une attitude spécifique envers le monde, qui réunit dans la conscience, la théorie et la pratique, la pensée, la spiritualité et l’expérience. Le dispositif mythico-rituel, dans lequel l’expérience 3 Mancini S., « Postface », dans De Martino E. (1999), Le monde magique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, p. 366. 4 De Martino E. (1999), Le monde magique, op. cit., p. 95. 5 Ibid. 68 marina maestrutti magique se concrétise, se constitue comme un dispositif opératoire, une action technique dont le but primordial est de sauvegarder l’in- tégrité de la personne humaine dans son rapport au monde. Le risque de perdre son âme comporte donc la possibilité d’un rachat de ce risque. Le rite et le mythe sont interprétés par l’ethnologue italien comme cette capacité technique de provoquer artificiellement « l’af- faiblissement et l’atténuation de l’être au monde, la dissolution de la conscience en tant que présence » afin d’entrer en rapport avec « le risque de son angoissante labilité, pour ordonner et modeler le chaos psychique dont on se sent envahi, pour lire dans ce chaos les formes ou les figures d’“esprits”, pour évoquer ces esprits et uploads/Societe et culture/ socio-anthropologie-1552-ernesto-de-martino.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2022
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