24 GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2002 • N°70 D epuis le début des années 1980,
24 GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2002 • N°70 D epuis le début des années 1980, les opérations de fusion-acquisition se sont considérablement développées à l’échelle européenne et mondia- le. Après la hausse spectaculaire du nombre de fusions- acquisitions durant la seconde moitié des années 1980 [Angwin et Savill, 1997 ; Mertens-Santamaria, 1997], la décennie 1990 est marquée par une progression rapi- de des rapprochements transfrontaliers et une augmen- tation significative de la valeur des opérations. Si les accords transfrontaliers associaient, dans un premier temps, principalement les grandes entreprises multina- tionales de la Triade, le phénomène s’étend progressive- ment à un ensemble plus vaste d’entreprises et de pays [Urban, 1999]. En 2000, la valeur des fusions-acquisi- tions internationales dépasse les mille milliards de dol- lars, dont plus de la moitié a été réalisée par les entre- prises européennes [CNUCED, 2000]. Si celles-ci ont pendant longtemps privilégié des formes coopératives de rapprochement (alliances stratégiques, sociétés com- munes, etc.), elles manifestent désormais également un intérêt grandissant pour les opérations de fusion-acqui- sition [Garrette et Dussauge, 2000]. Les études disponibles montrent que le taux d’échec des fusions-acquisitions est relativement élevé : environ une opération sur deux est considérée comme un échec [Demeure, 2000 ; Habeck et al., 2001]. Les risque- LE MANAGEMENT INTERCULTUREL : FACTEUR DE RÉUSSITE DES FUSIONS- ACQUISITIONS INTERNATIONALES ? À l’heure où les fusions-acquisitions se multiplient à l’échelle européenne et mondiale, cette recherche examine le processus d’intégration des différences culturelles au sein des opérations transfrontalières. La littérature relative aux fusions-acquisitions révèle effectivement que de nombreuses alliances internationales échouent en raison des différences culturelles entre les partenaires associés. L’analyse du processus d’intégration mis en œuvre par EADS (European Aeronautic Defense and Space Company) montre que le management interculturel constitue un important facteur clé de succès des fusions-acquisitions internationales. PAR CHRISTOPH BARMEYER, MAÎTRE DE CONFÉRENCES ET ULRIKE MAYRHOFER, MAÎTRE DE CONFÉRENCES - I.E.C.S. STRASBOURG, UNIVERSITÉ ROBERT SCHUMAN - C.E.S.A.G. (CENTRE D’ÉTUDE DES SCIENCES APPLIQUÉES À LA GESTION) L’ÉPREUVE DES FAITS d’échec sont accentués dans les opérations transfronta- lières où les différences culturelles entre les acteurs ren- dent le processus d’intégration particulièrement diffici- le [Franck, 2000]. Il paraît dès lors nécessaire de développer des outils qui facilitent l’intégration des dif- férences culturelles dans le cas des rapprochements transfrontaliers. Fondée sur l’analyse de la fusion EADS (European Aeronautic Defense and Space Company), issue du regroupement d’Aérospatiale-Matra, de DASA et de CASA, cette recherche vise à démontrer comment certaines pratiques du management interculturel peu- vent contribuer à la réussite des fusions-acquisitions internationales. Dans une première partie, les fusions- acquisitions internationales sont caractérisées et les pra- tiques du management interculturel expliquées. La deuxième partie est consacrée à l’analyse de la fusion EADS et de la mise en œuvre des pratiques intercultu- relles dans le processus d’intégration. LES FUSIONS-ACQUISITIONS INTERNATIONALES ET LE MANAGEMENT INTERCULTUREL Avant d’examiner les concepts et les pratiques du management interculturel, il convient de mettre en relief les spécificités des fusions-acquisitions internatio- nales. Caractérisation des fusions-acquisitions internationales Les opérations de fusion-acquisition peuvent être défi- nies comme des accords à caractère stratégique noués entre deux ou plusieurs entreprises indépendantes qui choisissent de partager leurs ressources (technolo- giques, productives, commerciales, etc.) dans le but d’atteindre des objectifs communs. À la différence des accords de coopération, les fusions-acquisitions conduisent à l’intégration des entités associées, avec pour conséquence la perte d’indépendance pour au moins un des acteurs. Dans le cadre d’une fusion, les acteurs réunissent leur patrimoine au profit d’une société nouvelle ; dans celui d’une acquisition, une firme prend le contrôle majoritaire d’une autre entité et l’intègre en son sein. Les fusions-acquisitions peuvent associer des firmes concurrentes, mais aussi des entre- prises reliées verticalement dans le processus de pro- duction ou des entreprises appartenant à des champs concurrentiels différents. De même, elles peuvent asso- cier des acteurs de même nationalité (accords domes- tiques) ou des acteurs d’une autre nationalité (accords internationaux) [Mayrhofer, 2000]. Les fusions-acquisitions sont des opérations puissantes tant sur le plan capitalistique que sur le plan opération- nel. Les entités réunies doivent ainsi déterminer les parts attribuées aux anciens actionnaires, le siège de la nouvelle entité et l’équipe dirigeante. Sur le plan opé- CHRISTOPH BARMEYER ET ULRIKE MAYRHOFER 25 GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2002 • N°70 Fondée sur l’analyse de la fusion EADS, issue du regroupement d’Aérospatiale-Matra, de DASA et de CASA, cette recherche vise à démontrer comment certaines pratiques du management interculturel peuvent contribuer à la réussite des fusions-acquisitions internationales. © Gilles ROLLE/REA rationnel, les différentes activités de l’entreprise doivent être harmonisées et coordonnées. Comme dans toute forme de rapprochement, la recherche de synergies nécessite souvent une réorganisation des entités réunies [Feldman et Spratt, 2000 ; Habeck et al., 2001 ; Marion, 2000]. La réalisation paraît d’autant plus dif- ficile que l’opération associe des acteurs de nationalités différentes [Guth, 1998 ; Mayrhofer, 2001]. Dans les alliances transfrontalières, le processus d’inté- gration est souvent délicat, notamment en raison des différences culturelles entre les acteurs. Celles-ci influencent les pratiques de management des entre- prises et accentuent les différences entre les cultures organisationnelles [Véry, 1995]. Dans cette optique, il convient de préciser que les problèmes d’incompatibili- té culturelle ont un impact négatif sur les résultats des fusions-acquisitions [Chatterjee et al., 1992] et que les acquisitions internationales ne créent généralement pas de valeur pour les investisseurs. Ceci concerne plus par- ticulièrement les opérations caractérisées par une gran- de distance culturelle entre les acteurs [Datta et Puia, 1995]. La réussite d’une fusion-acquisition est généralement fondée sur l’existence d’un projet de développement commun et sur une gestion des ressources humaines efficace. Ainsi, il est important que les parties prenantes comprennent les avantages associés au regroupement et s’efforcent d’atteindre ensemble les objectifs fixés. Au niveau de la gestion sociale et humaine, il convient d’anticiper et de définir les changements nécessaires à la réussite de l’opération. La création de la nouvelle entre- prise nécessite la constitution d’équipes mixtes et le maintien d’un certain équilibre dans la composition des groupes de travail, la répartition des responsabilités et les affectations des salariés. Compte tenu des intérêts des différents acteurs, la communication joue un rôle important : elle doit être progressive, suivre et faciliter l’avancement du projet. Enfin, il convient d’amorcer les changements culturels, car chacune des parties cherche généralement à valoriser ses méthodes, ses outils de tra- vail et son style de management [Mutabazi et al., 1994]. La création d’une nouvelle culture d’entreprise qui intègre les points positifs de chaque culture organi- sationnelle permet d’éviter des conflits. Dans cette optique, l’association d’entreprises de nationalité diffé- rente constitue une source supplémentaire de difficul- tés. Aux différences de cultures internes viennent ainsi s’ajouter les différences culturelles entre pays [Egg, 2000]. Si la culture est souvent considérée comme un obstacle à la réussite des fusions-acquisitions, une gestion effica- ce des différences culturelles peut aussi contribuer au succès de ces opérations [Feldman et Spratt, 2000]. L’utilisation efficace des outils de management inter- culturel est en effet susceptible d’améliorer la perfor- mance des fusions-acquisitions. Les concepts et les pratiques du management interculturel La discipline du management interculturel s’est déve- loppée aux États-Unis à la fin des années 1970 sur la base du management international et du management comparé [Harris et Moran, 1993]. L’étude empirique menée par G. Hofstede sur la culture nationale et la culture d’entreprise a fortement contribué à sa diffu- sion dans le domaine des sciences de gestion [Hofstede, 1980, 2001]. À la différence du management interna- tional (qui prend en compte toutes les activités fonc- tionnelles de l’entreprise) et du management comparé (qui compare les spécificités du management dans des systèmes différents), le management interculturel est centré sur le comportement organisationnel et les res- sources humaines [Adler, 1991 ; Holzmüller, 1995]. Le management interculturel s’intéresse plus précisément à l’influence de la culture (nationale et organisationnel- le) sur les perceptions, les interprétations et les actions des acteurs. La culture est considérée comme un systè- me de significations et d’orientations, propre à un groupe, basées sur des valeurs spécifiques qui se tradui- sent en comportements. Ce système a été appris durant le processus de socialisation. Comme cette socialisation a lieu dans un contexte spécifique, la culture nationale, qui reflète les valeurs, les pensées et les comportements d’une société, joue un rôle primordial, malgré le dis- cours universaliste de la mondialisation. En matière de management, ce système culturel procure aux individus des capacités cognitives et des méthodes spécifiques pour résoudre des problèmes. Par conséquent, des col- laborateurs issus d’autres pays sont susceptibles de trou- ver des solutions différentes face à un même problème. La recherche en management interculturel s’attache à étudier les interactions d’acteurs venant de systèmes différents. Elle s’intéresse aux « incidents critiques » qui sont dus aux différences culturelles [Barmeyer, 2000]. Les incidents critiques se produisent souvent dans des situations de communication et de coopération où les attentes et comportements des acteurs divergent et conduisent à des conflits interculturels [Batchelder, 1993]. Les enjeux liés au management interculturel sont consi- dérables dans le cadre des fusions-acquisitions interna- tionales où des collaborateurs de plusieurs pays sont amenés à uploads/Societe et culture/30-eadsbarmeyermayrhofer-pdf.pdf
Documents similaires










-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 08, 2022
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1833MB