23/1/23, 22:39 Culture enfantine et règles de vie https://journals.openedition.

23/1/23, 22:39 Culture enfantine et règles de vie https://journals.openedition.org/terrain/1555 1/15 Terrain Anthropologie & sciences humaines 40 | 2003 Enfant et apprentissage Enfant et apprentissage Culture enfantine et règles de vie Jeux et enjeux de la cour de récréation Julie Delalande p. 99-114 https://doi.org/10.4000/terrain.1555 Résumés Français English Apprendre est une nécessité pour devenir un adulte compétent. Au jour le jour, chaque enfant doit acquérir et maîtriser un savoir enfantin pour s’intégrer au groupe de ses pairs. L’observation de cours de récréation, à l’école maternelle et élémentaire, laisse apparaître une culture enfantine, ensemble de savoirs et savoir-faire, qui s’apprend au sein du groupe d’âge grâce à une complicité permettant l’initiation.Cet apprentissage de savoirs ludiques et de règles entre pairs est vécu dans une égalité de statut, loin de toute intention éducative, fournissant aux enfants l’occasion de s’approprier les enjeux sociaux et culturels propres à toute vie collective. Children’s culture and the rules of life: Learning the rules on the school playground Learning is necessary in order to become a competent adult. From day to day, each child has to acquire and control knowledge so as to become part of the peer group. Observing playgrounds in kindergartens and primary schools gives us a glimpse of a “children’s culture”, a set of knowledge and know-how learned within the age-group via an initiation based on mutual understanding. The experience of learning play and rules among age-mates is grounded in an equality of status, far from any intention to educate. It provides children with the opportunity to appropriate what is socially and culturally important for participation in a group. Entrées d’index Thème : culture, enfance Mot-clé : apprentissage, cours de récréation, culture enfantine, savoirs ludiques Keyword: children’s culture, France, knowledge of play, learning, playground 23/1/23, 22:39 Culture enfantine et règles de vie https://journals.openedition.org/terrain/1555 2/15 Texte intégral Les enfants détenteurs d’un savoir Apprendre : voilà bien le mot que nous associons spontanément à celui d’enfance. L’activité d’apprendre serait au centre de son quotidien et de ses préoccupations. Le plus souvent, le fait d’apprentissage est envisagé du point de vue de l’adulte : comment enseigne-t-on aux enfants ? Pourtant, l’autre approche est également objet d’intérêt : comment les enfants apprennent-ils ? Dans les deux cas, on pense d’abord aux enseignements donnés par les adultes, les maîtres et par la famille. Mais qu’en est-il des apprentissages entre enfants ? Quels sont les savoirs enfantins qui méritent d’être transmis de leur point de vue et comment se fait leur apprentissage ? Cet article veut montrer le lien intime existant entre ces savoirs et les compétences sociales nécessaires à leur valorisation et à leur diffusion. Il présente non seulement les modes d’apprentissage des jeux, mais aussi ceux des règles sociales insufflées par les adultes et que les enfants s’approprient entre pairs. Ainsi apparaît le rôle primordial des relations entre enfants dans le processus éducatif. 1 La réflexion qui suit s’ajoute à sept années de recherche et d’observation dans les cours de récréation, pendant lesquelles j’ai exploré le large champ des dimensions sociales et culturelles des relations entre enfants 1. Cette étude m’amène à considérer le savoir moins comme un moyen de devenir un adulte compétent que comme une nécessité pour s’intégrer au groupe de pairs. De l’un à l’autre, ce qui change est bien le point de vue : s’intéresser à l’apprentissage non pas de notre point de vue, voyant en l’enfant l’adulte en devenir, mais de celui de l’enfant qui vit la maîtrise d’un savoir au présent, et comprend à chaque instant ce qu’elle lui apporte techniquement et socialement, auprès des adultes et des pairs. 2 L’idée d’un savoir enfantin est largement admise par les anthropologues. Et pour cause : dès le xixe siècle, les folkloristes français se sont appliqués à fixer celui-ci pour en conserver la mémoire. En 1883, le folkloriste Eugène Rolland publiait Rimes et Jeux de l’enfance qui, mis à part un court avant-propos, se compose de formulettes 2 recueillies en diverses régions de France. Bien qu’il ne constitue qu’un inventaire, cet ouvrage témoigne de l’existence d’un savoir enfantin qui se transmet d’une génération à l’autre, certaines formulettes comme « une poule sur un mur… » étant toujours d’usage aujourd’hui. En 1931, Jean Baucomont, alors inspecteur de l’enseignement primaire, débute une enquête auprès des instituteurs sur le « folklore enfantin tout en entier », souhaitant faire connaître « plus intimement la vie profonde et le caractère des enfants ». Son travail n’est malheureusement pas publié, mais on peut le consulter aux archives des ATP (Arts et Traditions populaires) à Paris. Le souhait de Baucomont se trouve encore plus abouti dans le travail d’Arnold Van Gennep (1943) qui dépasse l’approche habituelle des folkloristes. Sa description de la société enfantine replace en effet les éléments de folklore dans les enjeux sociaux qui les organisent, proposant une véritable étude ethnographique. Il écrit : « L’éducation de l’enfant, son instruction verbale et agie, se fait surtout par les autres enfants, et sans qu’il s’en doute, par une contrainte morale et imitative. Il doit faire comme les autres : s’abstenir de “ce qui ne se fait pas”, se soumettre à un code d’honneur qui oppose la société enfantine à celle des adultes, de la famille d’abord, puis des professeurs de toute sorte » (1943 : 167). Son analyse pointe l’importance de l’entre-enfants dans les apprentissages culturels et sociaux, ouvrant la voie à une anthropologie de l’enfance qui malheureusement ne suivit pas. 3 23/1/23, 22:39 Culture enfantine et règles de vie https://journals.openedition.org/terrain/1555 3/15 Du côté des Britanniques, les premiers écrits remarquables sur le savoir enfantin sont le fait de I. & P. Opie, qui ont recueilli une importante somme de données sur les traditions et langages des enfants à l’école (1959), et sur leurs jeux dans la rue et dans la cour de récréation (1969). Après eux, une sociologie de l’enfance beaucoup mieux instituée qu’en France a pu se développer. 4 Malgré ce travail des scientifiques, l’opinion commune considère le plus souvent que les enfants ne savent que ce que les adultes leur ont appris. Les enfants eux-mêmes connaissent bien la différence de statut entre eux et les adultes. Ils les perçoivent comme ceux qui détiennent l’autorité et le savoir, ceux qui décident et enseignent. Par conséquent, quand une ethnologue arrive dans la cour pour apprendre d’eux ce qu’ils y font, leur étonnement prend parfois la forme d’une réticence : « Pourquoi tu fais ça ? C’est pas la peine. » Mais, devant mes visites quotidiennes et mon obstination à noter toutes leurs activités, ils finissent par accepter cette situation nouvelle. 5 Après plusieurs semaines d’observation, quand je demande en entretien à des enfants de grande section de maternelle s’ils savent des choses que les adultes ne savent pas, certains pensent à me citer les jeux. Le savoir ludique apparaît donc comme la partie la plus évidente, et sans doute la plus reconnue des adultes, des savoirs enfantins. Ceux-ci sont constitués des connaissances propres aux enfants ainsi que de celles transmises par les adultes et qu’ils se réapproprient en les mettant à l’épreuve entre pairs. La suite montrera comment. On peut énumérer les caractéristiques principales de ces savoirs enfantins : il s’agit de savoirs oraux qui appartiennent à une classe d’âge et se transmettent à l’intérieur de celle-ci – chaque jeu étant souvent associé à une période donnée de l’enfance, jouer au papa et à la maman devient quand on grandit un jeu de bébé. Ces savoirs n’ont guère d’utilité sans les savoir-faire qui les accompagnent, c’est-à-dire sans l’expérience et les compétences techniques et souvent sociales qui permettent de les valoriser auprès des pairs. Le lien entre apprentissages culturels et sociaux, tel qu’il sera décrit ci-après, apparaît donc d’emblée. 6 Tous ces savoirs et les savoir-faire qui les accompagnent font partie d’une culture enfantine, c’est-à-dire d’un ensemble de pratiques, de connaissances, de compétences et de comportements qu’un enfant doit connaître et maîtriser pour intégrer le groupe de pairs. Par exemple, les jeux de corde à sauter exigent une pratique et la maîtrise d’une technique, de règles, d’un vocabulaire. La notion de culture enfantine, si elle peut paraître excessive pour désigner les pratiques ludiques enfantines, s’inscrit dans une démarche heuristique pour nommer ce que les enfants construisent à partir de ce que les adultes mettent en place pour eux. Les jeux de corde ou ceux du sable débutent par un objet donné aux enfants, par un marché du jouet, un aménagement de la cour. Puis les enfants se saisissent de ces objets et élaborent des règles, donnent une dimension symbolique à leurs jeux. Ils se constituent un savoir commun qu’ils se transmettent au fil des jours. De leur point de vue, cette culture apparaît surtout comme une compétence. Mais elle participe aussi à la construction d’une identité commune. C’est pourquoi elle peut se penser aussi bien à l’échelle du groupe de pairs, tel que le proposent les sociologues américains William A. Corsaro et Donna Eder 3, qu’à l’échelle d’un pays. En effet, l’idée d’un même patrimoine ludique s’observe quand, dans un square ou dans uploads/Societe et culture/ culture-enfantine-et-regles-de-vie.pdf

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