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Ce changement d’échelle a propulsé le sport dans un nouvel univers économique, médiatique et politique, et fait éclater au grand jour les contradictions qui le traversent. 2 En s’insérant au cœur du grand marché mondial, le sport tourne le dos aux valeurs d’amateurisme et (en France) de service public sur lesquelles il a construit son histoire. À la fin des années 1990, il génère déjà un chiffre d’affaires de 2 500 milliards de francs (près de 400 milliards d’euros) dont environ 5 % pour le marché français. 3 Incontestablement, la télévision a joué un rôle essentiel dans ce processus. Après un temps de transition qui voit l’ORTF réorganisé en trois sociétés nationales entre 1974 et 1984 avec une entente mutuelle sur les grilles de programme sportif, le secteur est devenu hautement concurrentiel. Le lancement de Canal +, la privatisation de TF1 (1987) puis l’apparition de plusieurs chaînes thématiques comme, notamment, Eurosport en 1989 modifient considérablement le paysage audiovisuel français. Des stratégies diverses sont mises en place, allant dans le sens d’une focalisation sur des sports à forte audience comme le football pour TF1 et Canal + ou le rugby pour France télévision, à une diversification des sports présentés plus sensible sur les chaînes publiques. Toutefois, même dans ce dernier cas, la nouvelle situation tend à augmenter la part des sports les plus médiatiques, qui ramènent des financements Sport et mondialisation (1975-2012) https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_TERRE_20... 1 sur 12 12/03/2015 13:00 publicitaires évidemment d’autant plus importants que le nombre de téléspectateurs augmente. Il est vrai qu’en 2003, plus de 50 % des plus de 15 ans ont assisté à une retransmission sportive télévisée en France. Au milieu des années 1990, c’est-à-dire avant la multiplication de l’offre des chaînes par satellite, le seul football bénéficie déjà de plus de cinq cents heures de retransmission annuelle. Le tennis, longtemps en deuxième position, régresse fortement, à l’inverse du rugby et du basket qui atteignent respectivement 12 % et 7,75 % des temps d’antenne du sport pour les principales chaînes en 1999. Les grands événements (Coupe du monde de football ou de rugby, Jeux olympiques) génèrent, ponctuellement, des audiences inégalées (41 milliards de téléspectateurs cumulés pour la Coupe du monde de football 1998). En retour, les organisateurs de ces manifestations ou des championnats font monter les enchères dans une course aux droits de retransmission, parfois exclusifs, qui atteignent des sommes colossales. 4 Ces droits contribuent d’ailleurs à modifier l’équilibre traditionnel des budgets des grands événements sportifs dont un tiers provient désormais de la télévision. Par ailleurs, la commercialisation des Jeux olympiques à un niveau mondial depuis 1986 entraîne une réduction des sponsors officiels à quelques grandes marques (Adidas, Coca-Cola, Visa, etc.) et une augmentation des sommes versées. 5 Dans ces conditions, les déficits récurrents des grandes manifestations sportives se font moins systématiques. Les Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, tout comme les suivants, à Séoul, dégagent même enfin des bénéfices. Ce n’est cependant pas toujours le cas, comme le confirment les bilans des Jeux des années 1990, y compris ceux d’Albertville en 1992, ou les difficultés auxquelles la ville de Londres doit faire face pour tenir les engagements pris devant le CIO pour l’organisation de ceux de 2012. L’État est encore fréquemment appelé à la rescousse. La Coupe du monde 1998 de football accueillie par la France a généré un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros dont plus de la moitié provenait de fonds publics. 6 L’importance des enjeux économiques et médiatiques des grands événements sportifs stimule l’invention de nouvelles épreuves comme le Paris-Dakar (1979), la Coupe du monde de rugby (1987) ou les meetings en athlétisme, par exemple. Cette mise en spectacle est facilitée par le renforcement de la starisation des champions et l’essor du professionnalisme. Ce dernier processus touche même le défenseur historique de l’amateurisme, le CIO, à la faveur du remplacement à sa tête de Lord Killanin par Juan Antonio Samaranch en 1980. 7 Certes, le nombre de sportifs professionnels est encore en France inférieur à 10 000, soit une poignée face aux millions de pratiquants. Mais les dernières années ont modifié plusieurs dimensions de ce secteur. De nouveaux sports sont apparus sur la scène professionnelle (rugby, athlétisme, etc.), non d’ailleurs sans difficultés compte tenu des rentrées possibles d’argent, s’ajoutant au cercle constitué notamment par le Sport et mondialisation (1975-2012) https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_TERRE_20... 2 sur 12 12/03/2015 13:00 football, la formule 1, le cyclisme, le basket, la boxe, le ski, le tennis et le golf. 8 Les stars du système bénéficient de revenus considérables qui agissent en retour sur la définition traditionnelle de l’image du champion. Leurs fortunes et leurs caprices les éloignent toujours plus des pratiquants, voire même parfois des spectateurs, comme l’ont tristement montré les joueurs de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde de 2010, en se mettant en grève de l’entraînement à quelques jours des rencontres. Il est vrai qu’en 1995, le basketteur américain Michaël Jordan empoche déjà 220 millions de francs par an (plus de 33 millions d’euros). Loin derrière, la première femme est la joueuse de tennis allemande Steffi Graf avec 37,5 millions de francs (moins de six millions d’euros). Dix ans plus tard, ces sommes se sont envolées : en 2005 l’Américain Tiger Woods est le sportif le mieux payé au monde, avec près de 70 millions d’euros par an, juste devant le pilote allemand de Ferrari, Michaël Schumacher. Avec une quinzaine de millions d’euros, le premier Français, le footballeur Zinedine Zidane, fait pâle figure. En France, ce sont d’ailleurs les footballeurs qui obtiennent les plus gros gains, en bénéficiant de contrats publicitaires particulièrement juteux. La première Française, Amélie Mauresmo, confirme la dissymétrie des revenus par sexe, en même temps que la solide place du tennis dans la hiérarchie des salaires féminins. Au passage, il est désormais banal qu’un même champion puisse faire rêver des millions d’adolescents qui s’identifient à lui quelles que soient leurs origines. Le sport-spectacle est en effet omniprésent dans l’ensemble des médias, qu’il s’agisse de la presse, de la télévision ou, désormais, d’Internet. Et pour les adolescents français adeptes du street basket, les héros de référence sont les vedettes américaines de la NBA, porteuses de la culture du hip-hop, et non pas les basketteurs du Championnat de France. 9 Avec l’organisation de l’Europe économique, le sport professionnel bascule dans un cadre juridique nouveau. L’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 confirme ainsi la libre circulation des joueurs, malgré « l’exception sportive » plaidée par les autorités fédérales au regard de l’importance de l’appartenance nationale dans la composition des équipes. 10 Cette libéralisation se retrouve à un autre niveau. Ainsi, le refus opposé au groupe de Rupert Murdoch pour l’achat de Manchester United en 1998 n’empêche pas l’introduction en Bourse du célèbre club de football, bientôt suivi par d’autres au niveau européen et, pour la France, par l’Olympique lyonnais en 2007. 11 Par le sponsoring, le sport de haut niveau constitue pour les industries d’articles de sports un moyen privilégié de promotion de leurs marques et de leurs produits. Il est dominé par quelques leaders mondiaux (Nike, Adidas-Salomon, Reebok), qui se livrent une compétition féroce. Le seul marché européen est estimé à près de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 1993. Avec 4,5 milliards d’euros, la France se place alors en troisième position, derrière l’Allemagne et l’Italie. Dix ans plus tard, Sport et mondialisation (1975-2012) https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_TERRE_20... 3 sur 12 12/03/2015 13:00 II. – Valeurs du sport 1. Les facettes du sport-santé Décathlon, le leader français de la distribution d’articles de sport, réalise plus de trois milliards de chiffre d’affaires. En 2009, la dépense sportive totale se stabilise en France à 34,9 milliards d’euros, dont 16,5 pour les seuls ménages et 10,8 pour les collectivités. Reste que l’ampleur des enjeux économiques place désormais les instances sportives dans l’obligation de négocier les valeurs traditionnelles auxquelles elles se référaient. 12 Le monde du sport a su revêtir certaines traditions du vernis de la modernité. Cependant, le jeu médiatique rend ses contradictions plus manifestes. Alors même que la société cède au culte de la performance [Ehrenberg, 1991], la crise de ses valeurs, fût-elle largement reconstruite, rend incontournable le retour d’un débat sur son éthique. Le sport, bénéficiant d’un intérêt stratégique de la presse uploads/Sports/ sport-et-mondialisation-1975-2012.pdf
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- Publié le Jul 05, 2021
- Catégorie Sports
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