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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ETHN&ID_NUMPUBLIE=ETHN_023&ID_ARTICLE=ETHN_023_0393 Comment étudier le tourisme ? par Marc BOYER | Presses Universitaires de France | Ethnologie française 2002/2 - Tome XXXVII ISSN 0046-2616 | ISBN 2-13-052525-3 | pages 393 à 404 Pour citer cet article : — Boyer M., Comment étudier le tourisme ?, Ethnologie française 2002/2, Tome XXXVII, p. 393-404. Distribution électronique Cairn pour les Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 2 Marc Boyer Ethnologie française, XXXII, 2002, 3, p. 393-404 Ethnologie française, XXXII, 2002, 3 Comment étudier le tourisme ? Marc Boyer Université Lumière/Lyon 2 RÉSUMÉ Sociologues, géographes, ethnologues, limitent l’étude du tourisme à l’impact négatif que celui-ci a, ou est censé avoir, sur les sociétés. Ses effets peuvent être bénéfiques. L’absence de touristes au contraire constitue un sévère handicap. Historien, l’auteur montre que, sur le long terme, le tourisme intègre les populations autochtones dans des groupes humains nouveaux. La problématique du tourisme ne peut donc se réduire à celle de l’impact. Mots-clefs : Impact. Accueil. Destructuration. Changement. Marc Boyer* Rédaction Ethnologie française MNATP 6, avenue du Mahatma-Gandhi 75116 Paris Quelle que soit la discipline, il est deux façons d’aborder l’étude du tourisme. La plus répandue consiste à étudier un territoire pour lui-même, en historien, géographe, économiste et de consacrer au tourisme quelques para- graphes ; il est traité comme un wagon de queue. Beau- coup de sociologues et d’anthropologues prennent pour objet d’étude des populations « traditionnelles » que le tourisme vient perturber ; le choix du territoire n’est pas innocent ; il s’agit de pouvoir, in fine, montrer le rôle négatif du tourisme. Mon propos, ici, est de critiquer cette problématique de l’impact et d’exposer une autre approche : étudier en tant que tels les touristes, voyageurs ou vacanciers, s’interroger sur leurs mobiles, percevoir leurs regards, cerner leurs modes d’appropriation tem- poraire de l’espace, se demander si leurs pratiques chan- gent et en quoi. Nous sommes nombreux à avoir procédé ainsi : les anthropologues J.- D. Urbain ou André Rauch et, à un niveau théorique audacieux, Dean MacCannell... certains géographes préoccupés de la migration des hom- mes, comme Georges Cazes, décrivant des Nouvelles colo- nies de vacances. Je partage leur quête de pluridisciplinarité, en me plaçant dans une perspective historique. ■ L’histoire du tourisme a du sens Cela ne veut pas dire que j’ai trouvé dans le tourisme le Sens de l’Histoire. Je fais mienne la distinction du philosophe M. Merleau-Ponty : « L’Histoire a non pas un sens comme la rivière, mais du sens. » Ma thèse d’Histoire propose un fil d’Ariane dans le labyrinthe des petits faits qui paraissent être « des histoires de touristes » [J.-D. Urbain], et qui s’organisent en un mouvement dialec- tique : les inventions de distinction – de lieux et pra- tiques – sont suivies de consécration par les groupes socioculturels dominants (le haut de la pyramide), puis une diffusion se produit par l’imitation des couches sociales proches et l’appropriation. Toute la société n’est pas concernée ; au XIX e siècle, le tourisme est pratiqué des seuls rentiers. On constate, au contraire, qu’en l’an 2000, le tourisme est un loisir qui continue de posséder un non-public, comme disent les sociologues. Le tourisme n’a pas toujours existé. Sous prétexte d’esquisser une ethno-histoire des voyages, il ne faut pas mélanger les civilisations et les époques. Les pèle- rinages, certes, sont immémoriaux et ont eu, ont tou- jours un autre contenu que le tourisme. Depuis l’Antiquité gréco-romaine, les documents dont les journaux de voyage montrent des hommes se déplaçant sans y être contraints, tandis que beaucoup le font par appât du gain. Rares étaient ceux qui n’étaient mus que par la curiosité gratuite. Toutes les civilisations indo- européennes ont des castes supérieures à peu près oisi- ves – noblesse et clergé – mais n’ont pas de traditions de mobilité d’agrément. Certaines institutions élitistes comme les Parlements ou les Universités avaient de longues interruptions que l’on appelait « vacances » et qui permettaient à leurs bénéficiaires de faire fructifier leurs rentes foncières, précisément de surveiller la ren- trée de leurs récoltes à partir de leurs maisons de cam- pagne. Pour les écoliers, dans les civilisations rurales, les vacances correspondent aux périodes d’activité agricole intense. Aujourd’hui, dans tous les pays scolarisés, le mot « vacances » est accolé à l’adjectif « scolaire ». ■ Origine et sens du voyage de touriste Le touriste est un voyageur différent des autres ; Littré le dit par sa définition : « celui qui voyage par curiosité et désœuvrement ». Le phénomène est en germe dans la modernité du XVI e, avec l’anticipation de Montaigne. The tour, qui commence en Angleterre vers 1700, est l’ancêtre éponyme. C’est pour devenir gentleman que les jeunes aristocrates britanniques partent un an ou deux parcourir toute l’Europe occidentale, avec Rome comme destination ultime. Se distinguer était le ressort essentiel du Tour, plus que la valeur pédagogique attribuée aux voyages. Des esprits originaux, gardiens culturels, gate-keepers, R. Nash, Windham, Smolett, Sterne... ont, au XVIII e siècle, proposé des pratiques d’oisiveté, des migrations codifiées, des lieux d’exception. Britanniques, ces découvertes consti- tuent ce que je propose d’appeler la Révolution touristique parce qu’elle est contemporaine des autres grandes Révo- lutions faites par la Grande- Bretagne appelées indus- trielle, agricole, démographique. Après The tour, sont ainsi inventés la saison thermale aristocratique inaugurée à Bath vers 1700, l’amour de la campagne comme terrain de jeux et territoire de sociabilité, l’hiver dans le Midi, à partir de 1763, en même temps que le désir nouveau du rivage, la curiosité des glacières (Windham à Chamonix en 1740) et l’amour des monts sublimes. L’invention des lieux et des pratiques de tourisme, le lancement des stations et des saisons élégantes se font en plusieurs temps : les « ouvreurs de voie » précèdent les stars de la société pyramidale (rois et familles royales aux XVIIIe-XIXe siècles, étoiles de la littérature et du show-biz au XX e) ; la diffusion, par l’imitation, s’effectue à l’inté- rieur du groupe social des rentiers qui, au XIX e siècle et encore dans le premier tiers du XX e siècle, peut repré- senter en Europe le dixième de la population ; il n’est pas spécialement âgé : ces « gens bien nés » sont « le Monde » et n’ont pas d’astreintes. Ils ont inventé une contre-culture d’oisiveté ostentatoire qui les oppose aux riches entrepreneurs. Dans la première partie du XIX e, chaque contrée visi- tée est dotée d’une image forte : l’Italie de Stendhal est le pays de l’intrigue, des aventures et devient, après Flaubert, le grand Musée ; l’Espagne est terre de passion et de mort (Mérimée) et la Corse île de vendetta (tou- jours Mérimée) ; l’Allemagne le pays romantique par excellence, la France incarne la douceur de vivre ; la Suisse est le pays à visiter « quand sonne l’heure des vacances ». C’est exactement ce qu’écrit Sainte-Beuve dans sa Préface aux Nouveaux voyages en zig-zag de Rodolphe Töpffer. Ces stéréotypes se retrouvent dans les grands Guides ; leurs collections (Murray, Baedeker, Joanne l’ancêtre des Guides bleus) commencent à l’époque romantique et, se répétant d’une édition à l’autre, reproduisent un contenu idéologique de distinction qu’il vaut mieux appeler élitiste que bourgeois. Le mot « touriste » apparaît dans cette époque roman- tique. C’est d’abord un adjectif ; il qualifie le voyageur anglais riche et curieux qui, avec son Guide, visite ce qui doit être vu – videnda ou sight-seeing. Il s’agit non de décou- vrir, mais de reconnaître des lieux repérés. La présence dans les stations dites « chic » – le mot est utilisé à partir du XIX e – confère un statut supérieur. Leurs migrations sont moins une quête d’Autrui qu’une Fuite de Soi, moins une curiosité de l’Ailleurs qu’une réponse au Spleen. « Anywhere out of this world. » Ainsi Baudelaire commence-t-il le Spleen de Paris ; il explicite son pro- pos : « La vie est un hôpital où chaque patient est occupé à changer de lit » ; ensuite, il énumère les préférences : « près de la porte ou de la fenêtre, se rendre à Lisbonne, en Suède, en Hollande... N’importe où ». L’Américain Dean Mac- Cannell a placé ce poème en exergue de son essai The tourist, a new theory of the leisure class. Cet ouvrage se situe dans la lignée du grand livre de Thorstein Veblen qui, en 1899, avait publié The theory of the leisure uploads/Voyage/ 8-etudiertourisme-boyer.pdf
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- Publié le Sep 30, 2022
- Catégorie Travel / Voayage
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