MÉMOIRE POUR LE COMTE DE CAGLIOSTRO ACCUSÉ CONTRE MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL
MÉMOIRE POUR LE COMTE DE CAGLIOSTRO ACCUSÉ CONTRE MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL ACCUSATEUR En présence de M. le Cardinal de ROHAN, de la comtesse de LA MOTTE & autres CO-ACCUSÉS M. de Cagliostro ne demande que Tranquillité et Sûreté ; L’hospitalité les lui assure. Extrait d’une lettre écrite par M. le comte de Vergennes, Ministre des Affaires Etrangères à M. Gérard, Prêteur de Strasbourg, le 13 mars 1783. PARIS 18 février 1786 Je suis opprimé, je suis accusé, je suis calomnié. Ai-je mérité mon sort? Je descends dans ma conscience et j’y trouve la paix que les hommes me refusent. J’ai beaucoup voyagé ; je suis connu dans toute l’Europe et dans une grande partie de l’Afrique et de l’Asie. Je me suis montré partout l’ami de mes semblables. Mes connaissances, mon temps, ma fortune ont toujours et constamment été employées au soulagement des malheureux. J’ai étudié, j’ai exercé la médecine ; mais je n’ai point dégrade par des spéculations lucratives, le plus noble et le plus consolant des arts. Un attrait, une impulsion irrésistible m’a porté vers un être souffrant et je suis devenu Médecin. Assez riche pour pouvoir parcourir le cercle des bienfaisance que je m’étais tracé ; j’ai su conserver mon indépendance, en donnant toujours et en ne recevant jamais ; j’ai porté la délicatesse jusqu'à refuser les bienfaits des Souverains. Les riches ont eu gratuitement mes remèdes et mes conseils. Les pauvres ont reçu de moi des remèdes et de l'argent. Je n'ai jamais contracté de dettes; mes mœurs sont pures, austères même, j'ose le dire; je n'ai jamais offensé personne, ni par mes paroles, ni par mes actions, ni par mes écrits. Les injures que j'ai reçues, je les ai pardonnées; le bien que j'ai fait, je l'ai fait en silence. Etranger partout, j'ai rempli partout les devoirs de Citoyen, partout j'ai respecté la religion, les lois et le gouvernement. Telle est l'histoire de ma vie. Fixé depuis six ans chez un peuple spirituel, généreux, hospitalier, je pensais avoir trouvé une patrie adoptive: je me félicitais d'avance du bien que je pouvais faire à mes nouveaux Concitoyens: un coup de tonnerre a détruit l'illusion; je suis précipité dans les cachots de la Bastille. Mon épouse, la plus aimable, la plus vertueuse des femmes a été traînée dans le même gouffre; des murs épais; des verroux multipliés la séparent de moi; elle gémit, et je ne puis l'entendre! J'interroge mes gardiens; ils se taisent. Peut-être hélas! n’est-elle plus... Une créature faible et souffrante aura-t-elle pu vivre six mois dans un séjour où l'homme a besoin de toute sa force, de tout son courage et de toute sa résignation pour lutter contre le désespoir? Mais j'entretiens le Lecteur de mes peines, et j'oublie que je suis condamné à me justifier. Je suis décrété de prise de corps. Quel crime ai-je commis? De quoi m'accuse-t-on? Quel est mon dénonciateur? Y a-t-il des témoins qui déposent contre moi? J'ignore tout. On ne me donne pas même connaissance de la plainte sur laquelle le décret a été rendu, et l'on veut que je me justifie! Comment parer des coups qui sont portés par une puissance invisible? On me répond que l'Ordonnance criminelle le veut ainsi. Je me tais, et m'incline en gémissant devant une loi aussi rigoureuse qu'alarmante pour l'innocence accusée. 1 Je ne puis donc que soupçonner le genre de délit dont je suis accusé. Si je me trompe, j'aurai combattu des chimères; mai j'aurai du moins parlé en faveur de la vérité, et mis la saine partie du Public en état d'apprécier des libelles distribués contre un infortuné, dans le temps même où il est détenu dans les fers, menacé du double glaive de la justice et de l'autorité. ETAT DE LA QUESTION Il parait constant que les sieurs Bohmer et Bassanges ont remis à M. le Cardinal de Rohan, un Collier de diamants de la valeur de 1.600.000 liv. Il parait également constant que M. le Cardinal de Rohan a annoncé aux joailliers qu'il n'était que le négociateur de cette acquisition; que le véritable acquéreur était la Reine; et qu'if leur a montré, à cet effet, un écrit contenant les conditions de la vente, en marge duquel se trouvaient les mots bon... bon... approuvé, Marie-Antoinette de France. La Reine a déclaré qu'elle n'avait jamais donné d'ordres pour l'acquisition du collier; que jamais elle n'avait approuvé aucune condition d'achat, et qu'elle n'avait pas reçu le collier. Il existe donc un corps de délit certain. Ce corps de délit, quel est-il? Le bon sens et mes conseils me disent que ce n'est point un faux matériel; on n'a pas cherché à contrefaire l'écriture de la Reine; la signature qui a fait illusion aux sieurs Bohmer et Bassanges n'est pas même, dit-on, celle dont la Reine a coutume de se servi. Qu'est-ce-donc? C'est une supposition de signature imaginée pour tromper les joailliers et les engager à livrer à crédit un bijou de grand prix, qu'ils n'auraient peut-être pas livré, s'ils avoient su qu'il fut destiné pour d'autres que pour la Reine. Quelle est la peine réservée à ce délit? A l'abus d'un nom sacré? Je l'ignore; je n'ai point d'intérêt à le savoir; je me borne dans cette affaire, à demander pour moi justice, et grâce pour le coupable. L'innocence résignée a peut-être le droit de s'exprimer ainsi: Mais quel est ce coupable? M. le Cardinal de Rohan savait-il que la signature était supposée? Savait-il que la Reine n'avait point donné d'ordres pour l'achat du collier? Savait-il enfin que le collier ne serait pas remis à la Reine? M. le Cardinal de Rohan n'a-t-il été au contraire que l'artisan innocent d'une tromperie dont il a été la première victime? A-t-il cru, n'a-t-il pas dû croire qu'il avait été choisi pour être le négociateur d'une opération agréable à la Reine, et que S. M. voulait envelopper, pendant quelque temps, des ombres du secret? Impliqué, je ne sais comment, dans de si grands intérêts, je ne démentirai point, dans cette circonstance, la qualité d'ami des hommes que l'on m'a déférée quelque fois, et que j'ai peut-être méritée; je défendrai mon innocence, sans embrasser aucun parti. Diffamé de la manière la plus étrange par une femme à laquelle je n'ai jamais fait aucun mal; je fais des vœux bien sincères pour qu'elle puisse se justifier. Heureux, si dans cette affaire, la justice ne trouvait aucun coupable à punir! M. le Cardinal de Rohan a prétendu qu'il avait été trompé par la Comtesse de la Motte. Cette dernière s'est empressée, avant qu'il y eût aucun décret de prononcé, de faire paraître un Mémoire dans lequel elle m'accuse d'escroquerie, de sortilège de vol, et notamment d'avoir conçu et exécuté le projet de ruiner M. le Cardinal de 2 Rohan, et de m’être emparé de la masse d'un collier dont j’étais dépositaire, pour en grossir le trésor occulte d'une fortune inouïe. Telles sont, en peu de mots, les imputations, qui insérées dans un interrogatoire ministériel, m'ont fait conduire moi et mon épouse dans les cachots de la Bastille, et qui depuis, répétées dans un Mémoire imprimé avec des circonstances atroces, imaginées à loisir, ont fait décerner contre moi un décret de prise de corps. Je répondrai, puisque j' y suis forcé à des imputations que dans toute autre circonstance, je me serais contenté de dédaigner, mais auparavant je crois devoir me montrer tel que je suis. Il est temps qu'on sache quel est ce Comte de Cagliostro, au sujet duquel on a débité tant de fables impertinentes. Tant qu'il m'a été permis de vivre en homme obscur, j'ai constamment refusé de satisfaire la curiosité publique; aujourd'hui que je suis dans les fers; aujourd'hui que les Lois me demandent compte de mes actions, je parlerai. Je dirai avec ingénuité ce que je sais de moi, et peut-être l'histoire de ma vie ne sera-t-elle pas la pièce la moins importante de ma justification: CONFESSION DU COMTE DE CAGLIOSTRO J’ignore le lieu qui m'a vu naître et les parents qui m'ont donné le jour. Différentes circonstances de ma vie m'ont fait concevoir des doutes, des soupçons que le Lecteur pourra partager; mais, je le répète, toutes mes recherches n'ont abouti, à cet égard, qu'à, me donner sur ma naissance des idées grandes à la vérité, mais vagues et incertaines. J'ai passé ma première enfance dans la Ville de Médine en Arabie. J'y ai été élevé sous le nom d'Acharat, nom que j'ai conservé dans mes voyages d'Afrique et Asie. J’étais logé dans le palais du Muphti Salahaym. Je me rappelle parfaitement que j'avais autour de moi quatre personnes un Gouverneur, âgé de 55 à 6o ans, nommé Althotas, trois domestiques, un blanc qui me servait de valet de chambre, et deux noirs, dont l' un était jour et nuit avec moi. Mon Gouverneur m'a toujours dit que j’étais resté orphelin à l’âge de trois mois, et que mes parents étaient nobles et chrétiens; mais il a gardé le silence le plus absolu sur leur nom et sur le lieu uploads/Voyage/ memoire-pour-le-comte-de-cagliostro.pdf
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- Publié le Mai 16, 2022
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