284 LA DIMENSION ONTOLOGIQUE DU VOYAGEUR DANS LE VOYAGE EN FRANCE DE BENOÎT DUT
284 LA DIMENSION ONTOLOGIQUE DU VOYAGEUR DANS LE VOYAGE EN FRANCE DE BENOÎT DUTEURTRE Brînduşa IONESCU* Abstract : To writers who had the experience of the exile, of uprooting or of travel, space always represented an essential part of their personality. For Benoît Duteurtre, a French novelist, essayist and music critic, distant space is reconstructed through myths, dreams or works of art, thus becoming, after the travel itself has taken place, a significant point in the identity trajectory of the individual. This is what the author aims at illustrating in his novel Le voyage en France (2001), through two characters – travellers originating from different continents, to whom the contact with a foreign country offers a life lesson, enabling them to discover the charm of their country of origin and the bond that unites them to it. Keywords : traveller, identity, space. L’espace a toujours eu pour les écrivains francophones qui ont expérimenté l’exil, le déracinement, la mouvance, un rôle essentiel dans la détermination identitaire. Il s’agissait le plus souvent d’un lieu mémoriel, celui de l’enfance ou d’un pays perdu, symbole de stabilité et d’identification personnelle. Chez Benoît Duteurtre1, romancier, essayiste et critique musical français du XXIe siècle, qui partage son temps entre Paris et Normandie, entre l’Europe et l’Amérique, l’espace lointain nourri par des mythes, rêves et œuvres d’art ou découvert par contact direct représente un repère de base dans le trajet identitaire de l’individu. C’est un thème que l’auteur essaie d’adapter à un contexte contemporain, à côté d’autres aspects plus ou moins autobiographiques et à des problèmes concrets de notre temps, tels l’évolution de la musique classique française et les questions que soulève la musique contemporaine, la nostalgie de la Belle Époque et ses conséquences sur la France d’aujourd’hui, la communauté des marginaux (homosexuels, immigrés, handicapés, condamnés à mort), le rôle de l’écrivain, l’univers des médias et des communications, les mondes imaginaires. La découverte des États-Unis, l’amitié avec l’écrivain américain Bruce Benderson et l’admiration pour l’auteur français Michel Houellebecq influencent le parcours littéraire et la conception de Benoît Duteurtre sur l’œuvre. Il en résulte le roman Le voyage en France, récompensé avec le prix Médicis en 2001, qui valorise le rôle important de l’espace étranger dans la redécouverte de soi. Le livre raconte l’histoire de deux personnages à la recherche d’une place dans la société en permanente transformation : un Américain épris de la France telle qu’elle est illustrée dans les tableaux de Claude Monet et un Français fasciné par une Amérique idéale, archétype de la liberté. Leur nature profonde de rêveurs, leurs désirs inaccomplis poussent les deux hommes à voyager à petites ou à longues distances et à entreprendre ainsi une confrontation entre l’ancien et le nouveau monde, dans le but d’éclaircir leurs pensées, de se trouver ou retrouver l’identité. * Université « A. I. Cuza » Iasi, brindusapi@yahoo.fr. L’article est réalisé dans le cadre du Projet « Idées » 2011/ n° 218, L’Espace identitaire dans la littérature francophone contemporaine, financé par CNCS-UEFISCDI. 1 Pour plusieurs détails concernant la vie et l’œuvre de Benoît Duteurtre, voir le site officiel de l’auteur : http ://duteurtre.free.fr/guppy/index.php?lng=fr. Provided by Diacronia.ro for IP 89.47.225.182 (2018-03-09 12:38:29 UTC) BDD-A6064 © 2013 Universitatea din Pitești 285 Le voyage, définit par une certaine dose de secret et de mystère, se produit grâce au caractère inconnu d’un lieu. Le sentiment d’attente, l’incertitude favorise l’imagination, entraîne la curiosité et offre à la personne qui entreprend le déplacement une expérience analogue à celle du lecteur face à son livre. D’ailleurs, « partir c’est d’abord chercher, le voyage est une quête où l’imaginaire distribue toutes les cartes, et ou le destin commet toutes les tricheries », constate Alain Verjat (Verjat, A., 1988 : 74). Le voyage effectif ou littéraire favorise la naissance d’un genre de subterfuge, une aventure de l’inconnu, par le fait qu’il permet la découverte et le contact avec d’autres pays et cultures, tout en identifiant les ressemblances et en expérimentant les différences (Baudrillard, Guillaume, op. cit. : 81-107). Tous les voyageurs n’ont pas les mêmes intentions, ni les mêmes impulsions au départ : un périple à l’étranger peut être déclenché par la simple curiosité, la recherche de perfection artistique, la soif du savoir, le désir d’apprendre, de s’instruire, de mieux se connaître, de prendre une distance vis-à-vis de sa propre société. Aller à la découverte de l’inconnu conduit jusqu’à un certain point à une conquête de l’espace et favorise un voyage parallèle poursuivant un itinéraire intérieur (Djaider, Khadda, 1990 : 217). Dans son livre Nous et les autres, Tzvetan Todorov propose une classification des voyageurs, en fonction des raisons trouvés à la base de leurs déplacements. Il mentionne ainsi l’assimilateur (celui qui voyage pour assimiler l’autre culture), le profiteur (c’est le commerçant qui voyage sans avoir de rapports à l’autre dans son originalité et son authenticité), le touriste, l’assimilé (c’est celui qui pénètre vraiment une culture, qui adopte un mode de vie ; l’immigrant, en quelque sorte), l’exilé (politique ou non), l’allégoriste (qui prend l’étranger comme métaphore critique ; l’autre pays lui sert d’allégorie), le voyageur philosophique (à la manière de Montaigne, qui se propose de vérifier la variété), etc. (Todorov, T., 1988). Dans le roman Le voyage en France, Benoît Duteurtre met admirablement face à face deux voyageurs, qui, en différents moments de leurs expériences, réunissent des traits du touriste, de l’assimilateur, de l’allégoriste et du voyageur philosophique. Le premier d’entre eux, sur l’expérience duquel l’auteur insiste le plus, est David, un jeune de vingt-deux ans, né à New York d’une mère américaine et d’un père français, grand voyageur. La filiation paternelle l’encourage à découvrir plus en détail le pays européen qu’il commence à idolâtrer dès l’adolescence. C’est à partir des livres, des tableaux impressionnistes de Claude Monet et des objets 1900 qu’il se construit l’image sur la France et les Français, voire sur sa propre personne (descendance, pensée, habitudes, art de vivre, style vestimentaire) : il s’imaginait dans le jeune couple de la toile Jardin à Sainte-Adresse1 ses propres ancêtres, s’habillait avec une chemise en brocante portant les initiales C. M. « comme Claude Monet » et un « pantalon de flanelle grise » qui « rappelait celui du jeune homme du tableau » ; la chevelure lui donnait l’allure bohème d’un « faux artiste » (Duteurtre, B., 2001 : 31) du XIXe siècle, d’un « fils de l’impressionnisme » (Ibidem : 33) ; de plus, il aimait écouter la musique de Debussy et portait correspondance avec une parisienne, Ophélie, elle aussi à un esprit d’artiste. Né « un siècle trop tard » (Ibidem : 43), persuadé que « l’Europe d’hier était supérieure à l’Amérique d’aujourd’hui », le jeune homme « vivait de cette nostalgie éveillée, ponctuée de morceaux de vie moderne » (Ibidem : 31-32). Par la façon dont il 1 Le tableau de Claude Monet, Jardin à Sainte-Adresse (1867) n’est pas aléatoirement choisi par Benoît Duteurtre comme élément clé dans le parcours de son personnage. Conservé au Metropolitan Museum of Art de New York, il reflète une image de la Normandie, terre natale de l’auteur et lieu préféré pour l’écriture de ses romans et essais. Provided by Diacronia.ro for IP 89.47.225.182 (2018-03-09 12:38:29 UTC) BDD-A6064 © 2013 Universitatea din Pitești 286 trouve des critiques à son pays natal en se rapportant à une France idéale, il rappelle ce que Tzvetan Todorov appelle « l’allégoriste ». À juste titre, David veut aller de l’autre côté de l’Atlantique, à la rencontre de soi-même et de son art. Seulement un séjour dans la France actuelle pourrait le faire passer de la rêverie à la réalité. Véritable découvreur, un « assimilateur » et un bon vivant, David se laisse porter par l’aventure avec une franche naïveté, comme Candide de Voltaire : gagnant à la loterie un chèque de presque 10 000 dollars, il projette son départ en bateau de New York à Havre en 8 jours, afin de « connaître le glissement progressif du vrai voyage » (Duteurtre, B., op. cit. : 45). Selon l’exemple des grands explorateurs, il se réjouit en égale mesure du périple et du pays de destination. « Décidé à ne rien perdre de cette arrivée sur la terre promise » (Ibidem : 49), une terre des poètes et des artistes, du raffinement et de la culture, l’Américain regarde la côte française comme à peine éveillé d’un long sommeil. Arrivé sur les quais, il identifie l’ancien débarcadère avec le nom du port « Le Havre » et dans la masse de blocs modernes, il cherche les traces vestige du siècle passé où essayera de s’intégrer. Arrivé à Sainte-Adresse – Panorama Monet, David y reconnait le monde enchanté qu’il étudiait, à distance, depuis l’âge de quinze ans : le port lumineux, le vaste paysage qui avait inspiré les peintres, voire quelques éléments précis des tableaux impressionnistes : de beaux jardin, des immeubles résidentiels et villas de la Belle Époque, un clocher d’église, des baigneurs sur la plage, même l’emplacement exacte du tableau Jardin à Sainte-Adresse ; la présence d’un peintre avec son uploads/Voyage/ scriitor-francez-pdf.pdf
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- Publié le Jan 19, 2021
- Catégorie Travel / Voayage
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