CONSEIL DE L’EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EUR

CONSEIL DE L’EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS PREMIERE SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n° 54210/00 présentée par Maurice PAPON contre la France La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 15 novembre 2001 en une chambre composée de M. C.L. ROZAKIS, président, Mme F. TULKENS, M. J.-P. COSTA, M. P. LORENZEN, Mme N. VAJIĆ, MM. A. KOVLER, V. ZAGREBELSKY, juges, et de M. E. FRIBERGH, greffier de section Vu la requête susmentionnée introduite le 14 janvier 2000 et enregistrée le 21 janvier 2000, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante : 2 DECISION PAPON c. FRANCE EN FAIT Le requérant est un ressortissant français né en 1910, et actuellement détenu à la prison de la Santé à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me Luc Argand, avocat au barreau de Genève, et Me Jean-Marc Varaut, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement défendeur est représenté par Mme M. Dubrocard, sous-directrice des Droits de l’Homme au ministère des Affaires étrangères. A. Les circonstances de l’espèce De mai 1942 à août 1944, le requérant occupait les fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Gironde, sous l’autorité du préfet Sabatier. Après la Libération, d’après les chiffres fournis par le requérant, plus de 30 000 fonctionnaires ayant servi sous l’occupation furent sanctionnés tandis que plusieurs milliers de personnes furent exécutées, officiellement et officieusement. Dans un avis daté du 6 décembre 1944, le comité d’épuration du ministère de l’Intérieur estima que, bien qu’ayant occupé des fonctions officielles sous le régime de Vichy, le requérant avait manifesté une attitude favorable à la Résistance, et proposa son maintien dans ses fonctions. Il fut donc maintenu à son poste de directeur de cabinet de Gaston Cusin, Commissaire de la République de Bordeaux. Nommé au grade de préfet et affecté en Corse dès 1947, il fut préfet de police de Paris de 1958 à 1966. Député de 1968 à 1978, il fut maire de Saint-Amand-Montrond de 1971 à 1988. Il occupa les fonctions de président de la commission des finances de l’Assemblée nationale de 1972 à 1973, puis de rapporteur général du budget jusqu’en 1978. Il fut ministre du Budget de 1978 à 1981. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 6 mai 1981, entre les deux tours de l’élection présidentielle, l’hebdomadaire Le Canard Enchaîné publia le premier d’une série d’articles dans lesquels le requérant, alors ministre du Budget, était mis en cause quant à son comportement pendant la seconde guerre mondiale. Le requérant demanda au Comité d’action de la Résistance la mise en place d’un jury d’honneur chargé d’apprécier son comportement sous l’occupation allemande. Le 15 décembre 1981, après avoir entendu son DECISION PAPON c. FRANCE 3 supérieur hiérarchique direct, Maurice Sabatier, qui déclara « assumer l’entière responsabilité de la répression antijuive dans le ressort de sa préfecture », le jury d’honneur rendit une sentence donnant acte au requérant de son appartenance à la Résistance à compter de janvier 1943, mais concluant « qu’au nom même des principes qu’il croyait défendre et faute d’avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance pour demeurer à son poste, il aurait dû démissionner de ses fonctions de secrétaire général de la Gironde en juillet 1942 ». Le 8 décembre 1981, une plainte avec constitution de partie civile concernant la déportation de huit personnes, arrêtées par la police française à Bordeaux, internées à Bordeaux puis au camp de Drancy avant d’être déportées et exterminées à Auschwitz, fut déposée par Me Boulanger contre le requérant des chefs de crime contre l’humanité, complicité d’assassinats et abus d’autorité. Six autres plaintes avec constitution de partie civile concernant dix-sept autres victimes de déportations furent déposées en mars et avril 1982 par Me Serge Klarsfeld, par ailleurs président de l’association des « Fils et filles de déportés juifs de France ». Pour chacune de ces sept plaintes, le parquet de Bordeaux requit l’ouverture d’une information le 29 juillet 1982. 1. La procédure d’instruction Le 19 janvier 1983, le requérant fut inculpé de crimes contre l’humanité par le premier juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Bordeaux. Le 22 février 1984, le juge d’instruction ordonna une expertise historique confiée à trois historiens. Le rapport d’expertise fut déposé le 11 janvier 1985. Entre temps, le 23 mai 1983, le juge d’instruction avait procédé à l’audition en qualité de témoin notamment de Maurice Sabatier, préfet de la Gironde à l’époque des faits. Or, l’ancien article 681 du code de procédure pénale1 prévoit que lorsqu’un fonctionnaire est susceptible d’être inculpé pour un crime ou un délit commis dans l’exercice de ses fonctions, le procureur de la République doit d’abord saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation d’une requête en désignation de la juridiction qui pourra être chargée de l’instruction. Le non-respect de cette formalité constituant une nullité substantielle d’ordre public, conformément à l’article 171 du code de procédure pénale, la Cour de cassation, par arrêt du 11 février 1987, déclara nuls tous les actes de poursuite et d’instruction accomplis après le 5 janvier 1983 comme émanant d’un magistrat incompétent, y compris l’inculpation du requérant, 1 abrogé par la loi du 4 janvier 1993 4 DECISION PAPON c. FRANCE et désigna la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux pour poursuivre l’instruction. Par arrêt du 4 août 1987, la chambre d’accusation ordonna la jonction des sept procédures ouvertes sur les plaintes déposées avant le 5 janvier 1983, et ordonna que l’information soit poursuivie, désignant pour y procéder un conseiller de la chambre d’accusation. Par arrêts des 9 novembre et 8 décembre 1987, la chambre d’accusation constata le dépôt de trois nouvelles plaintes avec constitution de partie civile intervenante par des associations et ordonna leur versement au dossier. Une plainte de deux parties civiles de mars 1982 donna encore lieu à un arrêt de désignation de juridiction rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 9 décembre 1987 et à un arrêt du 28 juin 1988 de la chambre d’accusation ordonnant la jonction de procédures et confirmant la mission d’instruction du conseiller. Le 2 février 1988, la chambre d’accusation constata le dépôt d’une nouvelle plainte avec constitution de partie civile intervenante, datée du 24 juillet 1987, et ordonna son dépôt au dossier. Par arrêt du 5 janvier 1988, la chambre d’accusation rejeta la demande d’expertise historique formée par le ministère public. Les 8 juillet et 20 octobre 1988 respectivement, le requérant et Maurice Sabatier furent inculpés de crimes contre l’humanité. Ce dernier étant décédé le 19 avril 1989, la chambre d’accusation constata l’extinction de l’action publique à son encontre le 6 février 1990. En février, juin, octobre et décembre 1988, de nouvelles associations intervinrent dans la procédure par voie de plaintes avec constitution de partie civile, qui furent constatées par arrêts de la chambre d’accusation en février, mars, juin et novembre 1988, et en janvier 1989. Une autre plainte avec constitution de partie civile fut déposée les 18 novembre 1988 et 3 février 1989 par l’association « Les fils et filles des déportés juifs de France ». Elle visait non seulement le requérant et Maurice Sabatier mais aussi Jean Leguay et René Bousquet, tous deux anciens hauts fonctionnaires ayant grade de préfets du Gouvernement de Vichy, ainsi que Norbert Techoueyres, commissaire aux délégations judiciaires à l’époque des faits. Par arrêt du 20 décembre 1988, la chambre d’accusation avait déclaré recevable par voie d’intervention cette constitution pour les faits dont elle était déjà régulièrement saisie et avait ordonné pour le surplus communication de celle-ci au procureur général. En application de l’article 681 du code de procédure pénale, cette plainte fut à l’origine d’une nouvelle saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, par arrêt du 26 avril 1989, désigna à nouveau la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux pour instruire ces faits nouveaux, mais la plainte fut par la suite déclarée irrecevable faute de paiement de la consignation dans le délai prescrit. DECISION PAPON c. FRANCE 5 Norbert Techoueyres et Jean Leguay décédèrent respectivement le 4 avril 1989 et le 3 juillet 1989, avant leur inculpation, et l’action publique se trouva donc éteinte à leur égard. Le requérant fut interrogé à quatre reprises entre le 31 mai et le 6 octobre 1989. Le 6 février 1990, la chambre d’accusation désigna un nouveau conseiller pour poursuivre l’information. Le 16 mai 1990, vingt nouvelles plaintes avec constitution de partie civile concernant des faits de déportations commis en 1943 et 1944, non visés par les premières plaintes, furent déposées contre le requérant par Me Boulanger pour le compte de plusieurs personnes physiques. Trois de ces constitutions de parties civiles furent déclarées recevables et versées au dossier le 3 juillet 1990. Les dix-sept autres plaintes visant notamment des faits nouveaux pouvant être imputés à

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  • Publié le Jui 26, 2022
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