DIDIER DECOIN de l’académie Goncourt DICTIONNAIRE AMOUREUX DE LA BIBLE Dessins

DIDIER DECOIN de l’académie Goncourt DICTIONNAIRE AMOUREUX DE LA BIBLE Dessins d’Audrey Malfione COLLECTION DIRIGÉE PAR JEAN-CLAUDE SIMOËN © Plon, 2009 EAN : 978-2-259-21418-6 La liste des ouvrages du même auteur figure en fin de volume Alphabet extrait de Fancy Alphabets, édité par The Pepin Press www.pepinpress.com Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo A Chantal, Benjamin, Benoît et Julien, mes paradis sur terre… « Dans cet immense océan qu’est la Bible, dont on ne peut suivre les rives sans que le regard demeure attiré vers les profondeurs de l’infini, Dieu a donné un travail interminable à l’intelligence humaine. » P. Marie-Joseph LAGRANGE « Le fait que l’on n’ait pas trouvé la selle du chameau d’Abraham ne signifie pas qu’Abraham n’avait pas de chameau ni de selle. » Rabbin Ken SPIRO « Éprouvez tout et retenez ce qui est bon. » ORIGÈNE Abraham « Avec sa gueule de métèque, de Juif errant, de pâtre grec », Abraham est l’un des héros non seulement de la Bible* 1 mais de l’aventure humaine. Revendiqué par les juifs, les chrétiens et les musulmans (dans l’ordre chronologique). Pour David Van Biema, spécialiste des religions au magazine Time, Abraham est « quelqu’un comme un père qui aurait laissé un testament âprement disputé ». Père (donc) de tous les croyants, Abraham prêcha un Dieu unique, ce qui était furieusement original à l’époque où l’on présume qu’il aurait pu vivre, mais aussi, et ça n’était pas moins novateur dans un monde où régnait l’arbitraire, un Dieu juste qui se gardait bien d’exterminer l’innocent en même temps que le coupable. On le représente généralement barbu et la chevelure neigeuse – voir tout de même, a contrario, l’époustouflante lithographie de Salvador Dali, L’Épreuve d’Abraham, où le patriarche, sur le point d’égorger Isaac*, est peint noir de poil, plutôt fringant, dégingandé, et si maigrichon que les os lui percent sous la peau. C’est vrai, on en oublie qu’il a été jeune. Et sans doute le premier de la longue lignée des ados contestataires. Et que c’est peut-être à son attitude conflictuelle qu’on doit l’émergence du concept révolutionnaire du Dieu unique. Abraham, au temps où il ne s’appelait encore qu’Abram, vivait à Ur en Chaldée. C’était aux alentours de 1900 avant notre ère, à l’époque du bronze moyen. On sait peu de chose de sa famille, sinon que son père, Terah, était idolâtre et qu’il affichait d’autant plus sa dévotion aux idoles qu’il en faisait commerce. Terah possédait une boutique avec un tour de potier pour façonner ses dieux d’argile, un four pour les cuire, une salle pour les exposer, et surtout un fils pour les vendre. Le midrash 2 Bereshit Rabba raconte en effet que Terah, lorsqu’il devait s’absenter, avait pour habitude de confier la garde du magasin à Abram. Et la plupart du temps, quand Terah réintégrait la boutique, il constatait que son garçon avait fait de bonnes ventes – la clientèle l’appréciant pour son honnêteté, mais aussi pour l’agrément qu’il y avait à discuter avec lui : à défaut de consentir des rabais sur les divinités de terre cuite, Abram ne manquait jamais de gratifier les acheteurs d’une réflexion inattendue qui faisait rire sur l’instant (« Cet Abram, disait-on, quel numéro ! En voilà un qui n’a pas sa langue dans sa poche ! ») mais qui donnait à réfléchir une fois qu’on avait quitté la boutique pour se plonger à nouveau dans le bruit, la chaleur et les remugles des ruelles sinuant entre les maisons de briques crues. Un jour, en regagnant sa boutique, Terah la retrouva dévastée. Toutes les idoles – il en avait toujours plusieurs centaines en stock – gisaient par terre, fracassées, décapitées, démembrées. Un seul dieu, le plus imposant de tous ceux qu’il avait fabriqués, avait échappé au massacre. Un bâton serré dans sa main d’argile, il se tenait droit au milieu du désastre, rigide, indifférent. Terah chercha dans la poussière des débris qui jonchaient le sol les traces de bêtes sauvages qui, pourchassées peut-être, auraient pu se retrouver acculées, piégées dans la boutique où, prises de frayeur, elles eussent alors mené une sarabande infernale. Aucun animal (voir : Animaux) pourtant n’avait marqué le sol de son empreinte. L’idée d’une vengeance perpétrée par des clients insatisfaits l’effleura un instant. Mais qui pouvait se plaindre de la marchandise dont il faisait négoce ? Vides de toute espèce de mécanisme, ses idoles ne risquaient pas de se détraquer. Muettes, elles ne contrariaient personne. Quant à savoir si elles exauçaient les prières, cela ne relevait pas de Terah : il leur façonnait des oreilles en terre cuite – sensiblement plus grandes que des oreilles humaines, ça rassurait la clientèle –, mais son implication s’arrêtait là. Il n’avait d’ailleurs jamais trouvé aucun critère permettant d’évaluer les performances des idoles. Voilà sans doute pourquoi cette production, au contraire d’autres techniques chaldéennes, n’évoluait guère. Le seul reproche qu’on aurait pu faire à Terah était que ses dieux n’étaient pas d’une solidité à toute épreuve. Mais ne fallait-il pas une certaine fragilité du produit pour que la clientèle fût obligée de renouveler ses achats et que l’entreprise tournât ? N’importe qui pouvait comprendre ça. Car en plus d’Abram, Terah devait subvenir aux besoins de deux autres fils, Haran et Nahor, de ses belles-filles Saraï et Milka, de sa femme et de l’ensemble de ses serviteurs et ouvriers, sans compter ses troupeaux. Dans les rais de soleil tombant des claies de roseaux de la toiture, Abram balayait les tessons de terre cuite. Il n’avait pas l’air particulièrement consterné. — M’expliqueras-tu enfin ce qui s’est passé ici ? demanda Terah. — Voici le coupable, dit Abram en désignant le plus grand des dieux d’argile, celui qui était resté debout. Tu vois ce bâton qu’il serre dans sa main ? Eh bien, il l’a brandi, il l’a abattu sur les autres idoles, il a cogné et cogné encore, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que ces débris éparpillés. Terah considéra Abram en silence. Puis il hocha la tête avec commisération, comme on fait en présence de quelqu’un qui n’a pas toute sa raison : — Voyons, mon fils, une idole que j’ai façonnée de ma main et durcie dans mon four est incapable de faire ce dont tu l’accuses : ce n’est qu’une statue de terre cuite. — Oh, vraiment ? triompha Abram. J’espère que tes oreilles entendent ce que ta bouche vient d’articuler… Car il y avait longtemps qu’Abram savait à quoi s’en tenir sur les idoles terreuses. À plusieurs reprises, il s’en était ouvert à son père : aucune de ces effigies de glaise n’avait jamais rien fait de bon (ni de mauvais non plus, soyons juste) pour les hommes. Leur seul mérite était d’être de beaux objets – oui, ô Terah mon père, rien que des objets, et c’est une supercherie, à la limite de l’escroquerie, de les vendre comme sujets. Pourtant Terah n’en démordait pas : si les habitants d’Ur, réputés pour avoir le sens des affaires, lui achetaient ses idoles sans presque jamais marchander, c’était forcément qu’elles leur donnaient satisfaction. Alors Abram avait eu cette idée, tout à l’heure, d’abattre les faux* dieux de la boutique, n’en laissant qu’un seul intact – précisément pour provoquer la réflexion de son père : voyons, mon enfant, ce n’est qu’une statue de terre cuite. Et quand Abram les avait renversées, fracturées, disloquées, aucune des idoles n’avait émis le moindre chuintement de protestation. Mortes elles étaient, mortes elles avaient toujours été. Pour autant, Abram ne savait pas par quoi remplacer les idoles de son père. Il fallait certainement qu’il y eût un dieu, au moins un, mais lequel ? Il se disait : la lune, pourquoi pas la lune qui est déjà révérée sous le nom de Nanna ou de Sîn, à qui Ur a élevé un temple*, qui a son clergé, ses adorateurs ? Va pour la lune. Sauf que la lune, à l’aube, pâlissait jusqu’à disparaître tandis que le soleil irradiait le ciel. Très bien, constatait Abram, c’est le signe que le soleil est un dieu plus puissant que la lune – soleil ou lune, au fond, qu’est-ce que cela me fait, à moi ? Pourtant, le soir, le soleil s’enfonçait, et c’était au tour de la lune d’escalader à nouveau le firmament. La lune l’emportait donc finalement sur le soleil – mais pour un temps seulement, car l’aurore venait, qui remettait tout en question. Abram en avait conclu que lune et soleil n’étaient pas des divinités très fiables. Il devait exister un dieu plus puissant qui les dominait, aigle au-dessus des alouettes. C’est à ce dieu qu’Abram ferait allégeance s’il le rencontrait jamais. Mais une vie entière, fût-elle aussi longue que celles d’Adam* (neuf cent trente ans) ou de Noé (neuf cent cinquante ans), ou même de ce pauvre Sem (un des fils de Noé, mort à six cents ans, autant dire à la fleur de l’âge), risquait de ne pas suffire à établir un tel contact. Le temps passa. Terah rassembla sa famille et ses serviteurs, uploads/s1/ dictionnaire-amoureux-de-la-bible.pdf

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  • Publié le Mai 19, 2021
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