La Franc maçonnerie, entre mythes fantasmatiques et réalité historique Jacques
La Franc maçonnerie, entre mythes fantasmatiques et réalité historique Jacques Ravenne , Ecrivain, Diplômé de l’Université L’anecdote date de la fin des années 1970 : interrogée par un journaliste qui mène un reportage sur la Franc maçonnerie, une brave dame dont la fenêtre du salon donne sur l’entrée d’une loge de province se livre à une confession imprévue. Chaque vendredi soir, à l’heure où les maçons se réunissent, cette voisine indiscrète a pris l’habitude de compter le nombre de frères qui passent la porte du Temple. Un décompte qu’elle reprend quelques heures plus tard quand les initiés ressortent de leur lieu de rendez-vous. Et à chaque fois, c’est la même surprise teintée de frisson, le chiffre n’est pas le même : il manque un individu ! Conclusion à voix basse de cette citoyenne vigilante : à chaque réunion, les frères font disparaître l’un des leurs ! A ce rythme, on se demande seulement comment la loge peut encore avoir des membres au bout de quelques mois ! En fait, cette anecdote n’est en rien isolée, elle reprend les poncifs et autre lieux communs sur la maçonnerie dont le 19° siècle finissant s’est fait une spécialité. Le champion du genre fut sans conteste l’ébouriffant Léo Taxil, spécialiste, ès canulars, qui en 1886 révèle à une France horrifiée comment Lucifer a pris l’habitude d’apparaître régulièrement dans les loges maçonniques. Le diable d’ailleurs « n’apparaît pas sous une forme monstrueuse, mais comme un beau jeune homme d’une trentaine d’années. Des fois il a des ailes, d’autres fois, non. Les arcades sourcilières sont généralement contractées. » On sourirait à pareille description fantaisiste si le livre de Taxil, Les mystères de la franc-maçonnerie dévoilés, n’avait connu un succès foudroyant qui amènera son auteur jusqu’à Rome où le pape d’alors, Léon XIII, lui consacrera trois quart d’heure d’entretien particulier. Une consécration pour cet auteur amateur de fumisterie qui va récidiver dans les révélations de plus en plus outrancières sur les liens secrets entre la maçonnerie et le Diable. On apprend ainsi que le chef suprême des Francs maçons, « le premier pape luciférien… confère régulièrement chaque vendredi à trois heures de l’après midi avec messire Lucifer en personne » Pendant douze ans, Taxil va multiplier les récits les plus extravagants allant jusqu’à produire des preuves de ses dires : des photos d’une grande prêtresse maçonne volant dans les airs ou bien un fragment de la queue du Moloch, dérobée par Taxil lors d’une tenue maçonnique et remis par lui… aux pères Jésuites ! Pourtant Léo Taxil, lui même se lassera de ses propres inventions et, en 1897, lors d’une réunion publique , il avouera son imposture sur la franc-maçonnerie commençant son discours par ses mots : « J’arrive donc à la plus grandiose fumisterie de mon existence, à celle qui prend fin aujourd’hui et qui sera évidemment la dernière. » Une fumisterie dont André Gide se souviendra quand il écrira Les caves du vatican. Dans ce roman, est mis en scène une joyeuse escroquerie où de faux prêtres sillonnent les provinces en quête de fonds catholiques pour délivrer le Pape secrètement emprisonné par la Franc maçonnerie ! Le Pape en question étant justement ce Léon XIII qui, à la suite des pseudo révélations de Taxil, avait en décembre 1892, mis en garde le monde catholique contre le danger que représentaient les loges maçonniques, soumises au pouvoir occulte de Lucifer.. Quant à cette rumeur de l’enlèvement du Saint Père par les maçons, elle a réellement circulé en France durant toute l’année 1893, présentant ainsi les Francs maçons comme des disciples fanatiques de Satan. Pour autant, pareils préjugés trouvent encore des adeptes. En 1973, une enquête d’opinion sur la maçonnerie laisse apparaître qu’un pourcentage non négligeable de français croient encore que la Franc maçonnerie a partie liée avec le diable. A l’origine de cette croyance, se retrouve l’opposition, parfois radicale, de la maçonnerie française et de l’Eglise catholique romaine. Toute la seconde moitié du 19° siècle, jusqu’à la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, se ressent de ce combat entre des courants de pensée laïcs, inspirés par la maçonnerie, et un refus ou une hésitation de l’Eglise catholique à reconnaître la République comme la forme légale de l’état en France. Pour autant, croire que la maçonnerie ait été dès son origine une société de pensée et d’action républicaine et anticléricale relève, là aussi, d’une spéculation particulièrement hasardeuse. Au contraire une étude sociologique des loges, de la seconde moitié du 18° siècle , montre autant dans la pratique des rituels que dans le recrutement des frères, une fidélité régulière à la fois à la religion catholique et au régime monarchique. Certes les idées véhiculées par les philosophes des Lumières, alimentent les réflexions des loges, mais bien moins que dans les cercles et les salons de la haute aristocratie. Jusqu’à la Terreur, l’immense majorité des maçons, acteurs politiques ou simples citoyens, n’apparaissent pas comme des vecteurs d’une révolution radicale, mais bien comme les sympathisants éclairés d’une réforme modérée vers une monarchie plus constitutionnelle. D’ailleurs, le nombre de maçons, participant aux travaux et décisions des différentes assemblées, de la période révolutionnaire, n’excède jamais 18% pas plus qu’on ne peut prétendre qu’ils aient jamais joué un rôle décisif dans la dynamique sociale et politique de l’époque. Tout au contraire, suspectés de tous côtés, ils ont rapidement fait frais de leur choix de modération. Dès 1792, il ne restait plus en loge qu’un dixième des effectifs maçonniques. On voit même d’anciens frères, proches du pouvoir révolutionnaire, parcourir les provinces pour fermer les loges suspectées de tiédeur à l’égard du nouveau pouvoir parisien. Seules une trentaines de loges auraient pu continuer leurs travaux, comme à Bordeaux et à Toulouse, et à la condition de substituer à leurs symboles traditionnels les signes de ralliement à la République. Dès le début de l’année 1793, le Grand Maître Philippe d’Orléans, bientôt guillotiné, sacrifie l’esprit d’indépendance de la maçonnerie en la déclarant caduque au sein de la société nouvelle, transparente et égalitaire, qu’il appelle de ses vœux. Quant au Grand Orient, en tant qu’instance dirigeante, il disparaît à l’été 1794. L’ordre maçonnique ne reverra vraiment le jour qu’avec l’arrivée de Bonaparte, premier consul, au pouvoir. Si les faits historiques démentent tout complot maçonnique en vue de déstabiliser la royauté française, pourtant la littérature va rapidement s’emparer de ce fantasme occulte pour le transformer en mythe historique. Et c’est en 1797-98 que l’abbé Barruel, , auteur des Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, va donner forme et postérité à la thèse d’un gigantesque complot maçonnique destiné à renverser toutes les royautés d’Europe. Une thèse, au succès colossal, puisqu’elle fournissait un bouc émissaire à tous les conservatismes et que Dumas reprendra allègement dans Joseph Basalmo, transformant la maçonnerie en une redoutable société secrète, quasi militarisée et fanatisée dans la plus belle tradition du roman historique occulte. Dans les deux cas, Barruel et Dumas, les confusions, les mélanges, les approximations sont pourtant légions, mais rien n’ y fait. Une majeure partie des élites cultivées, à commencer par nombre de maçons eux-mêmes, est convaincue que la Révolution française dont les idées secouent toute la vieille Europe monarchique, est l’œuvre préméditée et réalisée de la maçonnerie. A tel point que, sous la Restauration, on verra des royalistes exaspérés réclamer à cor et à cris la dissolution de toute obédience maçonnique, frappée à jamais d’un crime originel, quasi diabolique. C’est d’ailleurs, dès cette époque, que les premiers opuscules sont diffusés faisant de la maçonnerie, le temple de Satan. Le Grand Ennemi, lui même, ne pouvant être qu’à l’origine d’une telle machination, tout simplement démoniaque. Un fantasme qui ressurgit, au début de notre XXI° siècle, sous la forme modernisée et américanisée du Grand Complot. Un simple coup d’œil sur la littérature antimaçonnique présente sur le Web est, à ce titre, plus qu’éclairante. Pour nombre d’associations ouvertement anti- maçonniques, la Franc maçonnerie, le plus souvent associée aux Juifs, est responsable de la Révolution française, du déclenchement de la Seconde guerre mondiale jusqu’à la récente guerre en Irak. Bref, on la montre du doigt comme l’origine de tous les malheurs de la civilisation humaine. Avec parfois même des révélations plus qu’imprévues ! On peut ainsi découvrir dans le site Bible et nombres que Walt Disney était un Franc maçon de haut rang et qu’ « il dissimulait trois 6 dans sa signature » le chiffre, bien sûr, de la Bête de l’Apocalypse ! En conséquence de quoi, on apprend aussi dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia que « son personnage Mickey avec ses gants blancs et son short tablier à deux points symbolise un franc maçon » D’ailleurs, et l’argument est irréfutable, « l’alphabet franc maçonnique est… diffusé dans le Manuel des castors juniors » ! Ultime conséquence en ligne : « Les enfants qui ont disparu à Disneyland et n’ont jamais été retrouvés, ont été kidnappés par l’organisation Disney et sacrifiés ou utilisés comme esclaves sous contrôle mental… » ! Une phobie fantasmatique qui touche même des scientifiques de renom comme le professeur Lejeune, uploads/s1/ fm.pdf
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- Publié le Dec 27, 2022
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