Cet ouvrage est publié sous la direction d’Alexandre Wickham © Éditions Albin M
Cet ouvrage est publié sous la direction d’Alexandre Wickham © Éditions Albin Michel, 2021 ISBN : 9782226463265 À tous ces amis qui m’ont permis de parcourir ce chemin « Non, je ne rougis pas de mon accent ! Mon accent ? Il faudrait l’écouter à genoux… Il nous fait emporter la Provence avec nous, Et fait chanter sa voix dans tous mes bavardages […] Et quand vous l’entendez chanter dans mes paroles Tous les mots que je dis dansent la farandole. » Miguel ZAMACOÏS, La Fleur merveilleuse Prologue Lorsque j’ai pris la décision de rédiger ces Mémoires, mes intentions étaient claires. Je souhaitais rétablir la vérité, du moins ma part de vérité, faire apparaître les mensonges dont j’ai eu à souffrir au long de ces années. Au fur et à mesure de ce difficile exercice, j’ai pris conscience que ces pages dévoilent autre chose, qu’elles recèlent une autre réalité au-delà des faits, des étapes, des anecdotes. D’abord, je ne parviens qu’avec difficulté à « régler mes comptes ». Cette démarche, nécessaire pour mettre à plat des situations, va à l’encontre de mon caractère. Je ne suis porté ni à la rancune, ni à la méchanceté, ni à la délation. Je ne changerai pas sur ces points non plus. À la relecture, je retrouve un itinéraire. Celui d’un adolescent puis d’un homme pour lequel la réussite politique et sociale semblait a priori exclue. Je n’avais reçu en héritage aucun des bienfaits qui ont permis aux élus m’ayant servi de modèles ou de références d’émerger sur la scène politique. Mes origines populaires auraient peut-être constitué un atout dans une formation de gauche. Mais mon histoire personnelle, mes racines familiales, mes croyances religieuses aussi, comme ma culture et mes convictions, m’ont poussé vers le centre et la droite. Ce choix n’est que l’expression de qui je suis. Au fil des ans, j’ai mesuré combien l’origine sociale, les diplômes universitaires mais aussi la surface financière s’avèrent sinon indispensables du moins extrêmement nécessaires pour celles et ceux qui envisagent une carrière politique au sein du camp qui a toujours été le mien. Or, je ne suis pas un rejeton de la bourgeoisie marseillaise. Je ne possède aucun de ces prestigieux diplômes, je ne suis issu ni de l’ENA 1 ni de Polytechnique. Oui, j’étais enseignant, mais sans afficher le cursus qui en France ouvre les portes et vous rattache aux castes dominantes. La situation financière de ma famille – et donc la mienne – n’avait rien de rutilant. Mon salaire de professeur restait modeste et ne me permettait en aucun cas de faire face aux dépenses imposées par l’action politique. Pourtant, marche après marche, mois après mois, élection après élection, j’ai grandi. J’ai franchi une à une les étapes de la vie politique, sans percevoir clairement où ce chemin, sur lequel j’avançais depuis mes dix- sept ans, allait me conduire. J’ai revécu, en rédigeant ces pages, les efforts, le travail, les luttes et le dépassement de soi-même que ce parcours a exigés. La famille, la fortune, les diplômes, éléments essentiels de la réussite politique ? Certes. Il existe toutefois un autre facteur, plus décisif encore : être protégé, avancer sur une voie construite par d’autres. Les héritiers sont nombreux dans notre pays, qu’il s’agisse de népotisme pur et simple à l’abri du pouvoir, ou de successions faciles et préservées. Je ne dresserai pas la liste de ces privilégiés, ce n’est pas mon rôle. Ce dont je peux témoigner, c’est que je n’ai jamais bénéficié de pareil traitement de faveur, qu’il vienne de l’État ou de ma formation politique. Je n’ai jamais hérité de la circonscription facile ou de la commune imperdable. Un jour, j’ai invité Emmanuel Macron à déjeuner, à Paris, derrière les Invalides, au restaurant D’chez eux. Il est encore ministre de l’Économie et des Finances. Déjà, on lui prête des ambitions plus grandes encore. Quand je lui suggère de se faire élire, il me dévisage et répond : « Je ne veux pas être député, je veux être président de la République. » Puis, songeant sans doute à lui-même, il me demande : « Comment avez-vous fait pour durer si longtemps ? » Après son élection, Emmanuel Macron me rend cette invitation, dans le même restaurant. Il me rappelle notre précédent échange et conclut : « Vous m’aviez conseillé de devenir député. Je suis président de la République. » Plus un mot sur la durée. Sans qu’il ait besoin de le dire, je sais que, pour lui comme pour moi, quand ce sera fini, tout cela va nous manquer. Pour répondre, avec retard, à sa question initiale, je dirais que mon parcours, que certains trouvent sans doute trop long, je l’ai construit en affrontant mes adversaires. Et il ne s’agissait ni de figurants ni de seconds rôles. J’ai trouvé face à moi Gaston Defferre, Bernard Tapie et Jean- Marie Le Pen. Excusez du peu. Même contre Jean-Noël Guérini et Charles- Émile Loo, il ne s’est pas agi de duels à fleurets mouchetés. Aucun de ces combats n’a jamais été gagné d’avance. On se grandit de la taille de ses adversaires, on s’enrichit de la rudesse des épreuves que l’on a le courage d’affronter, on se renforce des difficultés et des échecs que l’on ose regarder en face pour les dominer. Rien ne m’a été donné. Alors, pour compléter ma réponse au Président, j’ajouterai que ce long chemin, je le dois aux électeurs marseillais et, aussi, à l’aide de quelques amis vrais qui, par leurs efforts, leur travail et leur affection, m’ont aidé à surmonter les obstacles. Ce livre témoigne d’une longue marche, d’une osmose avec ma ville. Il retrace une histoire singulière dans un pays où la volonté, le travail et le don de soi peuvent encore compenser l’absence d’atouts jugés indispensables. J’ambitionne de donner ainsi de l’espoir à ceux qui, aimant la vie publique, pourraient se décourager dès lors qu’ils n’appartiennent pas aux classes privilégiées. C’est, je crois, ce qu’il faut retenir de ces pages. J’ai tenté, avec sincérité, d’y montrer qu’avec le temps, le travail et la volonté, il est possible de faire vivre son rêve. Marseille, février 2021 Note 1. École nationale d’administration. Prologue (2) Avant d’entamer ce récit, je me rends compte que j’allais oublier de vous dire deux ou trois choses ! La première, c’est qu’avant le rêve il y a… les clichés. « Sa faconde toute provençale en a fait le Marcel Pagnol de la politique 1. » Combien de fois ai-je lu ou entendu, dans les médias, ce genre de lieu commun me concernant. Une de ces images d’Épinal paresseuses resservies à propos de Marseille et de la Provence, au même titre que l’accent, le pastis, la sieste, la voyoucratie, l’exagération, les cagoles et la pétanque. Et je pourrais prolonger la liste. Marcel Pagnol, dites-vous ? J’assume. « Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins 2. » Son œuvre comme sa famille m’ont accompagné depuis mes plus jeunes années. Voilà pourquoi je place cet exercice de mémoire sous son égide comme, en mai 1981, j’avais fait appel à lui pour mes premiers pas d’opposant à l’Assemblée nationale et répondre au premier chef de gouvernement nommé par François Mitterrand, Pierre Mauroy : « Monsieur le Premier ministre, vous avez dit tout à l’heure, parodiant Winston Churchill, qu’après la période giscardienne vous n’aviez à proposer au pays que du sang, de la sueur et des larmes. Voyez-vous, en vous écoutant, une œuvre de Marcel Pagnol m’est revenue en mémoire. C’est Le Schpountz. Dans cette œuvre, l’oncle dit à son neveu : “Tu vois, ce n’est pas que tu es bon à rien, c’est que tu es mauvais en tout.” » Ma mère, Marie-Louise Piquenot, contremaître dans l’entreprise Bernard Duboul, fabrique de cordes et d’espadrilles où elle a travaillé pendant quinze ans et où on l’appelait « petite », a aussi servi chez les Rachet, des industriels du cinéma. À leur table défilaient les Raimu, Charpin et autres Fernandel, parmi lesquels l’inévitable Marcel Pagnol. Elle sollicitait de ces vedettes des photos dédicacées. J’avais une douzaine d’années quand j’ai commencé à fourrer mon nez dans cette collection et à découvrir ce milieu. Lorsque Jacqueline, son épouse et muse, pour laquelle Marcel Pagnol a écrit et réalisé Manon des sources, est allée le rejoindre au village de La Treille sous une stèle de pierre de Cassis, j’ai jugé que la Provence devenait orpheline. Un an plus tard, en août 2017, je me suis rendu à l’inauguration, sur la voie historique de Marseille, rue Caisserie, de la boutique Marcel Pagnol. Oui, décidément, ce patronage me convient, même si je ne bois pas de pastis et ne joue ni à la belote ni à la pétanque ! Quant à l’accent, je constate que le Premier ministre Jean Castex, tout juste nommé, a dû affronter ce que le sociologue Philippe Blanchet nomme la « glottophobie » et qui n’est qu’une des formes, parmi tant d’autres, du mépris dont une certaine bourgeoisie parisienne témoigne à uploads/s1/ ebook-jean-claude-gaudin-maintenant-je-vais-tout-vous-raconter.pdf
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- Publié le Jan 29, 2022
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