La fascination du Commandeur Le sacré et l’écriture en France à partir du débat

La fascination du Commandeur Le sacré et l’écriture en France à partir du débat-Bataille FAUX TITRE 284 Etudes de langue et littérature françaises publiées sous la direction de Keith Busby, M.J. Freeman, Sjef Houppermans et Paul Pelckmans Christophe Halsberghe AMSTERDAM - NEW YORK, NY 2006 La fascination du Commandeur Le sacré et l’écriture en France à partir du débat-Bataille Illustration couverture: © Bibliothèque nationale de France Cover design: Pier Post The paper on which this book is printed meets the requirements of ‘ISO 9706: 1994, Information and documentation - Paper for documents - Requirements for permanence’. Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents - Prescriptions pour la permanence’. ISBN-10: 90-420-2027-X ISBN-13: 978-90-420-2027-6 © Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2006 Printed in The Netherlands à Christel, qui sait… Page laissée blanche intentionnellement 0. INTRODUCTION « SACRÉ (le décrasser) » (M. Leiris) Le désir refoulé Où nous situons-nous par rapport à Bataille aujourd’hui ? Pour- quoi encore évoquer son nom de nos jours ? Son œuvre aura marqué une époque, celle qui conduit de l’éclosion des fascismes à la fin de la guerre froide. Soit de l’entre-deux-guerres à la chute symbolique du mur de Berlin en 1989. Autant dire qu’elle accompagne une large part du vingtième siècle, qu’elle aura eu le souci de comprendre. Du sur- réalisme aux philosophes dits de la déconstruction en passant par l’avant-gardisme de Tel Quel, Bataille contribua à une vision neuve en matière politique, économique, philosophique, anthropologique et es- thétique. Son influence aura été réelle : souterraine de son vivant, plus explicite par après. Mais participe-t-il toujours aux débats actuels ? Nous aide-t-il encore, plus de quarante ans après sa mort, à compren- dre notre société ? En termes derridiens : y a-t-il acceptation ou refus de son héritage ? Les universitaires continuent à s’y s’intéresser, mul- tipliant les séminaires, colloques et publications à son sujet. Son édi- teur a investi tout récemment dans une édition en Pléaide de son œu- vre fictionnelle. Celle-ci vient même d’être portée à l’écran. Bataille n’est donc pas sans public. Il continue à fasciner. Or, depuis sa mort, les paysages politique et social ont subi des mutations profondes, qui à leur tour ont engendré une évolution paradigmatique mettant les caté- gories de sa pensée à l’épreuve. À la guerre froide a succédé l’ébranle- ment toujours actif de l’empire russe, la domination géopolitique des États-Unis, ainsi que l’irruption brutale d’un fondamentalisme musul- man, à l’anti-colonialisme le tiers-mondisme, au marxisme et à sa dérive stalinienne un ultra-libéralisme triomphant, aux états militaires un fascisme à visage couvert, au refoulement de l’inconscient la pra- 8 La fascination du Commandeur tique du clonage et la manipulation des gênes humains, à la transcen- dance religieuse un immanentisme dénué de tout repère (soit la pro- blématique des sectes et de la société dite du spectacle). La réflexion de Bataille offre-t-elle l’outillage requis pour faire face aux problèmes auxquels nous nous trouvons confrontés ? La génération d’intellectuels qui prit forme dans l’ébullition d’un printemps agité se place toujours dans l’orbite de l’auteur, dont elle contribua à diffuser l’œuvre, non sans l’avoir élargie depuis par la lecture de certains de ses contemporains (dont Paulhan, Leiris, Blanchot et Lacan). D’autres demeurent à l’écoute de cette pensée, sans pour autant la revendiquer. C’est le cas notamment de Michel Onfray, que sa conception du bonheur contraint à se défaire de la logique de la transgression propre à Bataille. Son plaidoyer pour un hédonisme assumé, loin de tomber dans l’écueil d’un retour à une plénitude originaire - étant sur ce point en accord parfait avec Bataille -, s’inscrit dans la veine des Lumières qu’avec Sollers et d’Ormesson, il est un des rares à actualiser en France. Également penseur du désir et de son tabou camouflé par le mensonge du bonheur perpétuel, Pascal Bruckner ne se situe pas plus qu’Onfray dans l’axe de Bataille. Mais il dénonce autant que ce dernier à l’époque le refoulement du désir. Il en est de même pour Michel Houellebecq. L’univers fade et désolant qu’il dépeint dans ses romans est à mille lieux de celui du Bleu du Ciel ou de Madame Edwarda. Le désir n’ayant plus droit de cité dans une société où le mercantilisme fait loi, la tyrannie de la jouissance tient ses personnages en otage. Mécanique, leur désir demeure inassouvi. Leur déchéance est inéluctable, que Houellebecq décrit avec l’ironie du désespoir. Le désir comme exploration des limites alimente en revanche la fiction de Christine Angot, qui avec Catherine Millet place l’écriture de soi sur le plan de la transgression. Bataille se situe donc au croisement d’un débat brûlant sur le refoule- ment du désir. Inspirée à la fois de la phénoménologie allemande, de la sociologie durkheimienne, de la psychanalyse, du marxisme, du tra- gique nietzschéen, ainsi que de Proust et de Blanchot, son œuvre s’écarte des sentiers battus pour offrir, plus qu’une simple synthèse, une philosophie originale et novatrice, à même d’aborder l’être com- me donnée biologique, sujet clivé et désirant ou entité sociale. Cette pensée hors cadre, en marge de l’université, voyage dans l’éther. Elle nourrit la réflexion contemporaine, mais sans se minéraliser sous forme d’un credo ou d’une école quelconque. Bataille a franchi avec Introduction 9 nous le cap du vingt et unième siècle tant par l’acuité de sa réflexion que par l’actualité des questions qu’il soulève. Bataille t/Tel q/Quel Aujourd’hui spectrale, la présence de Bataille a été plus mani- feste dans le passé. Bien avant que Foucault le présente au grand public en 1970 comme « un des écrivains les plus importants de son siècle », Bataille aura ouvert la voie à une réflexion sur le sujet dans son rapport au désir. Une réflexion qui engendra une révision de fond en comble du politique, ainsi qu’une révolution parallèle dans les arts. Soit le programme du mouvement Tel Quel, qui n’a jamais fait mys- tère de sa dette envers Bataille. Au contraire, l’équipe qui s’est formée autour de Sollers en 1962 revendiqua haut et fort le principe de souve- raineté bataillien. Encore aujourd’hui, Kristeva et Pleynel continuent avec Sollers à fréquenter cette œuvre, dont la découverte fut décisive pour le cheminement de leur pensée. Bataille permit aux Telqueliens à l’époque de se positionner par rapport au surréalisme et à l’existen- tialisme sartrien, de même qu’il leur sembla offrir une issue à un gaul- lisme sclérosé et à un marxisme doctrinaire. Dès 1963, Sollers soulig- nera dans un numéro d’hommage de la revue Critique consacré à Bataille l’importance de cette écriture, qui s’est avancée après Sade et Proust sur un terrain où la dialectique est sévèrement mise à mal. Bataille conduit la raison discursive à son point d’implosion. Son grand mérite pour Sollers est d’avoir confronté la culture occidentale, façonnée par deux millénaires de christianisme, à son dehors. Sur le porche de l’église s’opère un sacrifice blasphématoire. Ce rituel profa- nateur est destiné à rendre aux convulsions d’énergie leur force de loi. Dieu mis à mort, le langage articule la souveraineté du désir. Instru- ment de travail ou enveloppe recouvrant l’esprit, le corps se trans- forme chez Bataille en un théâtre fascinant, où l’horreur le dispute à l’angoisse, le désir à l’effroi et la perversion au plaisir. Effrontée, la femme s’y exhibe, rompant le contrat qui la lie depuis toujours au social. Madame Edwarda supplante la Vierge Marie. Le référent est ainsi sacrifié au profit d’une écriture convulsive, à même le corps.1 1 P. Sollers, « Le toit », in Id., Logiques, Paris, Seuil, 1968, coll. Tel Quel, pp. 164- 197. 10 La fascination du Commandeur Au moment où paraît l’article de Sollers, la revue est en pleine mutation. À l’origine une plateforme littéraire, elle se transforme en un laboratoire de réflexions sur les possibilités du langage. C’est l’époque de la sémiologie et ses variantes textuelles. Sur le plan poli- tique, l’Algérie connaît un retour au calme, le marxisme est en perte de vitesse, tandis que l’économie reprend son souffle.2 L’engagement n’est donc plus une priorité. Il n’en sera plus de même en juin 1972, date à laquelle les Telqueliens organisent à Cérisy-La-Salle un double colloque intitulé Vers une révolution culturelle : Artaud, Bataille et destiné à cautionner sa nouvelle orientation politique. Sollers et les siens s’étaient tournés à l’époque vers la Chine de Mao, en qui ils pla- cèrent désormais leur espoir pour un Occident en mal d’identité.3 Dans l’intervalle, le Quartier Latin avait connu l’ébullition de mai 1968. En août de la même année, Moscou mit brutalement un terme au Prin- temps de Prague. La pression augmenta sur Tel Quel, acculé à prendre position et à choisir son camp. D’abord hésitant à se défaire du cadre marxiste-léniniste, le groupe fera une cure symbolique en Chine. L’idéologisation accrue de la revue accélérera le départ de Derrida. Celui-ci ne se montra pas réfractaire en soi à l’idée de prendre posi- tion, à condition cependant de faire preuve de la prudence de mise. Aux yeux de Derrida, même uploads/s1/ faux-titre-no-284-halsberghe-christophe-bataille-georges-la-fascination-du-commandeur-le-sacre-et-l-x27-e-criture-en-france-a-partir-du-de-bat-bataille-editions-rodopi-bv-2006.pdf

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  • Publié le Sep 19, 2022
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