Numéro du document : GAJA/17/2009/0063 Publication : Les grands arrêts de la ju

Numéro du document : GAJA/17/2009/0063 Publication : Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 17e édition 2009, p. 395 Type de document : 63 Décision commentée : Conseil d'Etat, 07-07-1950 n° 01645 Indexation FONCTION PUBLIQUE 1.Droit et obligation des agents 2.Droit de grève 3.Service public 4.Faute disciplinaire GREVE DANS LES SERVICES PUBLICS CE Ass. 7 juill. 1950, DEHAENE Lebon 426 (RD publ. 1950.691, concl. Gazier, note M. Waline ; JCP 1950.II.5681, concl. Gazier ; RA 1950.366, concl Gazier, note Liet-Veaux ; Dr. soc. 1950.317, concl. Gazier ; S. 1950.3.109, note J.D.V. ; D. 1950.538, note Gervais) Marceau Long, Vice-président honoraire du Conseil d'Etat Prosper Weil, Membre de l'Institut ; Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) Guy Braibant, Président de section honoraire au Conseil d'État Pierre Delvolvé, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) Bruno Genevois, Président de section du Conseil d'État En ce qui concerne le blâme : Cons. que le sieur Dehaene soutient que cette sanction a été prise en méconnaissance du droit de grève reconnu par la Constitution ; Cons. qu'en indiquant dans le préambule de la Constitution que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », l'Assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l'intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte ; Cons. que les lois des 27 déc. 1947 et 28 sept. 1948, qui se sont bornées à soumettre les personnels des compagnies républicaines de sécurité et de la police à un statut spécial et à les priver, en cas de cessation concertée du service, des garanties disciplinaires, ne sauraient être regardées, à elles seules, comme constituant, en ce qui concerne les services publics, la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution ; Cons. qu'en l'absence de cette réglementation la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ; qu'en l'état actuel de la législation, il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l'étendue desdites limitations ; Cons. qu'une grève qui, quel qu'en soit le motif, aurait pour effet de compromettre dans ses attributions essentielles l'exercice de la fonction préfectorale porterait une atteinte grave à l'ordre public ; que, dès lors, le gouvernement a pu légalement faire interdire et réprimer la participation des chefs de bureau de préfecture à la grève de juillet 1948 ; Cons. qu'il est constant que le sieur Dehaene, chef de bureau à la préfecture d'Indre-et-Loire a, nonobstant cette interdiction, fait grève du 13 au 20 juill. 1948 ; qu'il résulte de ce qui précède que cette attitude, si elle a été inspirée par un souci de solidarité, n'en a pas moins constitué une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ; qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en lui infligeant un blâme le préfet d'Indre-et-Loire a excédé ses pouvoirs ;... (Rejet). Observations 1 I. - Le 13 juillet 1948, un mouvement de grève à l'origine duquel se trouvaient des revendications d'ordre professionnel se déclenchait parmi les fonctionnaires des préfectures. Le ministre de l'intérieur fit savoir, le jour même, que tous les agents d'autorité - plus précisément les agents d'un grade égal ou supérieur à celui de chef de bureau - qui se mettraient en grève devaient être immédiatement suspendus. La majorité des agents ainsi visés cessa néanmoins le travail, et ne le reprit qu'une semaine plus tard, lorsque leur syndicat leur en eut donné la consigne. Les préfets prononcèrent, le 13 juillet, la suspension des chefs de bureau en grève ; lors de la reprise du travail, la suspension fut remplacée par un blâme. Six chefs de bureau de la préfecture d'Indre-et-Loire formèrent un recours contre la sanction dont ils étaient frappés, soutenant que l'exercice du droit de grève reconnu par le préambule de la Constitution ne pouvait constituer une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. 2 II. - La législation française est demeurée longtemps muette au sujet de la grève des fonctionnaires. Un seul texte pouvait être considéré comme régissant cette matière : c'était l'art. 123 du Code pénal aux termes duquel « Tout concert de mesures contraires aux lois pratiqué soit par la réunion d'individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d'un emprisonnement... ». Jèze observait en 1909 (RD publ. 1909.500) que ce texte, qui n'avait jamais été appliqué sous les régimes monarchiques et sous l'Empire, ne le serait jamais sous la IIIe République. Il ne se trompait que de fort peu, l'art. 123 n'ayant été appliqué qu'une seule fois (T. corr. de la Seine, 4 déc. 1934, D. 1935.2.57, note M. Waline). C'est donc à la jurisprudence administrative qu'il revint d'élaborer les règles de droit relatives à la grève des agents publics. Elle adopta une attitude rigoureuse, en considérant que l'agent qui se mettait en grève s'excluait par là même du service et, par voie de conséquence, du bénéfice des garanties disciplinaires (CE 7 août 1909 Winkell, Lebon 826 et 1296, concl. Tardieu ; S. 1909.3.145, concl., note Hauriou ; RD publ. 1909.494, note Jèze). Cette jurisprudence sévère pour les grévistes appelait tout naturellement une jurisprudence favorable aux mesures prises par les pouvoirs publics pour briser les grèves de fonctionnaires ou d'agents des services concédés. Ainsi le Conseil d'Etat jugeait que le rappel des cheminots pour une période militaire ne constituait pas un détournement de pouvoir alors même que cette mesure était prise dans le but de briser une grève (18 juill. 1913, Syndicat national des chemins de fer de France et des colonies, Lebon 882 ; RD publ. 1913.506, concl. Helbronner, note Jèze) et estimait légale la réquisition par décret des agents et ouvriers des services publics concédés, en vue de briser une grève (5 déc. 1941, Sellier, Lebon 208 ; S. 1942.3.25, note Mestre). La jurisprudence devint la loi avec le statut des fonctionnaires du 14 sept. 1941, dont l'art. 17 disposait : « Tout acte d'un fonctionnaire portant atteinte à la continuité indispensable à la marche normale du service public qu'il a reçu mission d'assurer constitue le manquement le plus grave à ses devoirs essentiels. Lorsqu'un acte de cette nature résulte d'une action collective ou concertée, il a pour effet de priver le fonctionnaire des garanties prévues par le présent statut en matière disciplinaire. » Mais cette loi a été déclarée nulle par l'ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine. 3 III. - Les données juridiques du problème furent modifiées par le Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, d'après lequel : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. » Or la loi du 19 oct. 1946 relative au statut des fonctionnaires leur reconnaissait le droit syndical, mais restait muette sur l'exercice du droit de grève. Deux lois seulement étaient venues réglementer ce droit : la loi du 27 déc. 1947 sur les compagnies républicaines de sécurité qui le retirait à leurs membres et assimilait la grève à l'abandon de poste, et la loi du 28 sept. 1948 relative à la police qui disposait que « toute cessation concertée du service pourra être sanctionnée en dehors des garanties disciplinaires ». Le commissaire du gouvernement Gazier n'eut guère de peine à convaincre le Conseil d'Etat que ces lois ne pouvaient constituer la réglementation d'ensemble du droit de grève. Il restait alors à apprécier la valeur juridique du préambule de la Constitution. La doctrine lui assignait, en général, la valeur de règle de droit positif, tout au moins à l'égard du pouvoir exécutif et du juge. Elle était plus partagée sur la question de savoir si la formule du préambule était assez précise pour s'appliquer : les auteurs admettaient cependant, à peu près unanimement, que le préambule réservait la matière à la loi. Le commissaire du gouvernement Gazier soutint au contraire que le préambule n'exprimait que des principes fondamentaux du droit et que le principe du droit de grève devait être concilié avec d'autres principes non moins respectables, notamment celui de la continuité du service public : « Admettre sans restriction la grève des fonctionnaires, ce serait ouvrir des parenthèses dans la vie constitutionnelle et, comme on l'a dit, consacrer officiellement la notion d'un Etat à éclipses. Une telle solution est radicalement contraire aux principes les plus fondamentaux de notre droit public. » Le maintien de l'ancienne jurisprudence n'était cependant plus possible : outre qu'elle ne cadrait plus avec le préambule, elle était en divorce complet avec les faits ; elle opposait radicalement les agents des services publics et les salariés de droit commun, dont la condition ne cessait de se rapprocher ; d'autre uploads/s1/ grands-arret-s-63.pdf

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  • Publié le Nov 17, 2022
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