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Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/histoiredelar04faur HISTOIRE DE L'ART L'ART MODERNE ELIE FAURE HISTOIRE DE L'ART L'ART MODERNE Le merveilleux nous enveloppe et nous abreuve connue l'atmosphère ; mais nous ne le voyons pas. CH. BAUDELAIRE. PARIS LES ÉDITIONS G. CRÈS & C ie 21, RUE HAUTEFEUILLE MCMXXl Copyright by Les Editions G. Crès & C> 1920 Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Art LIbrary 5300 A RENOIR 1437124 RUBENS. La Ronde. {Prado). INTRODUCTION Margaritas antt porcos. La Révolution française est la dernière étape du mouve- ment qu'inaugura la Renaissance. Elle est marquée par la Réforme de métaphysique sociale et de moralité, mais desti- née sans doute, dans les profondeurs des instincts, à définir l'individu. C'est l'acte violent qui renverse la dernière résis- tance opposée par la monarchie à l'enquête ébauchée, cinq siècles avant, par les maçons des communes françaises, et définitivement ouverte par les artistes italiens. Les corpora- tions étant brisées, le droit d'association frappé, l'égalité théo- riquement conquise des droits civils et de l'impôt, l'analyse sociale s'effectue. L'analyse philosophique de Kant, apportant une conclusion rigoureuse à l'effort de Descartes, de Spinoza, de Bayle, de Montesquieu, de Leibnitz, des sensualistes anglais, de Voltaire, de Diderot, de Rousseau, comme à la tragédie psychologique vécue par Montaigne, par Cervantes, par Shakespeare, par Pascal, l'avait rendue nécessaire. L'ana- lyse scientifique la suivra fatalement, puisqu'il n'est plus aucun obstacle politique entre l'intelligence et l'expérience où l'homme, un siècle durant, va poursuivre l'absolu. Si elle ne le mène qu'au relatif, c'est qu'il est trop pressé peut-être, ou qu'il cherchait ce relatif pour se refaire une mystique en libé- rant son intuition. Il n'importe. La possibilité d'effectuer, par l'enquête sociale parmi les hommes, et par l'enquête scienti- fique parmi les faits et les idées, une sélection nouvelle, jus- tifie la Révolution. On la combat, de nos jours, au nom des valeurs aristocra- tiques et religieuses qui ont fait vingt siècles d'histoire. Epui- sées par leur force même, ces valeurs étaient en poussière. Elle n'eut qu'à souffler dessus. Ses erreurs, ses puérilités, ses insuffisances, sa haine aveugle pour ce qu'elle avait à abattre, n'en diminuent pas l'importance. En France et hors de France, l'individu, lâché par elle dans la pleine liberté de la sensation et de la recherche, a presque conquis son milieu physique, et, refluant de toute sa puissance dans le domaine inexploré de l'orgueil intellectuel, il a donné à l'avenir le poème de cet orgueil. De Carlyle à Ibsen, de Stendhal à Emerson, de Scho- penhaùer à Nietzsche, une race nouvelle de prophètes est appa- rue, sommant les hommes de les suivre, ou de périr. Ainsi, la Révolution, qui les avait arrachés au vieux panthéisme social ébranlé par la Renaissance, préparait des rythmes nou- veaux. Tout en sort depuis un siècle, même le réalisme alle- mand, beaucoup plus près, peut-être, des forces libérées par elle, que tant de doctrines inorganiques qui vivotent tant bien que mal sur les mots hâtivement forgés où son action s'est appuyée. Les poèmes de l'individualisme referont le monde social. Quand l'individu est si fort qu'il tend à tout absorber, c'est qu'il a besoin d'être absorbé lui-même, de se fondre et de disparaître dans la multitude et l'univers. La peinture française, depuis cent ans, a rempli la même tâche. Elle est méconnue, encore, surtout par les Français. Elle est un des miracles de l'Histoire, comparable aux plus surprenants. Elle a produit dix hommes de génie, plus que le grand siècle hollandais, ou flamand, ou espagnol, autant que les grands siècles italiens. Elle est apparue précisément au lendemain de l'expansion révolutionnaire sur l'Europe, offrant aux âmes silencieuses la force de libération qu'apportait l'élan des armées républicaines aux appétits légitimes des peuples et aux idées de leurs pasteurs. C'est grâce à cet élan qu'elle est venue en France, et non ailleurs, comme c'est grâce à la lutte de l'Allemagne pour se reconquérir contre Napoléon, que la grande musique allemande, par Richard Wagner, a fermé son cycle héroïque. L'explosion sentimentale longtemps refoulée a la couleur pour expression. L'Europe conquise, l'Orient entrevu, entrent en tumulte dans l'émotion sensuelle des Français. Le rêve romantique et le réalisme classique se heurtent et se mêlent en France, où l'Italie et l'Allemagne se rencontrent pour la troisième fois. Et c'est ici que la Renais- sance du Sud et la Renaissance du Nord se confrontent pour affirmer un accord définitif. Cet accord, que consacre la peinture française — c'est l'éternelle destinée de la France d'équilibrer, dans une divine mesure, la vie diffuse du Nord et l'intelligence du Sud — Rubens l'avait réalisé une heure. Par lui, l'esprit de Michel- Ange rejoignait l'humanité de Rembrandt pour définir, dans l'œuvre la plus instinctive, la plus spontanée, la plus animale, mais aussi la plus permanente de la peinture par son indiffé- rence à tout ce qui n'est pas l'objet et le mouvement, la mis- sion européenne dans sa profonde unité. Sous peine de mort, le Nord de l'Europe devait accepter de s'assimiler la pensée méditerranéenne, comme la pensée méditerranéenne, pour se survivre, devait charger son arabesque de la marée de sensa- tions directes, de musique, de rêverie et de mystère que l'âme du Nord apportait. Nous vivons de notre ingénuité première, mais quand les mouvements d'idées naissent autour de nous et nous encerclent peu à peu, comme de grandes eaux autour d'une île. si notre ingénuité refuse d'y puiser l'aliment qui la refera, une affreuse aridité succède à l'éruption des fruits qui la rendaient si savoureuse. Ce qui tue, ce n'est pas d'ap- prendre, c'est de ne pas sentir ce qu'on apprend. L'innocence est immortelle chez qui cherche toujours. Elle renaît de ses cendres, et le pressentiment nouveau n'apparaît que quand l'expérience et l'étude ont détruit ou confirmé le pressenti- ment ancien. Le Xord et le Sud s'étaient, depuis les invasions barbares, influencés réciproquement sans arrêt, mais jamais, jusqu'à Rubens, le prophétisme intellectuel n'avait introduit sa ligne continue dans le torrent indistinct des couleurs et des matières, pour infliger à l'image du monde, par la puis- sance d'un seul homme, la forme une et vivante de l'esprit européen. C'était l'étape décisive après la mission de Mon- taigne, les épousailles formidables du lyrisme et de la volonté recréant un monde imaginaire sur les ruines de la métaphy- sique chrétienne sapée par le pessimiste français. L'univers théologique peut crouler de partout. Dans l'âme du grand Européen, de Montaigne à Schopenhaùer, bercé sur le flot mouvant de la peinture symphonique, soulevé sur les grandes ailes du poème orchestral, étayé par les hypothèses sublimes de la gravitation et du transformisme, un mythe nouveau se reforme pour l'homme de l'avenir. Vivant au sein d'un monde qui n'a très probablement d'autre fin que l'échange ininter- rompu, croissant et chaque jour plus complexe des formes indifférentes de l'énergie et de l'amour, l'homme de l'avenir ne connaîtra pas d'autre paradis dans le ciel et sur la terre que la conquête du besoin d'accroître et d'harmoniser en lui- même son énergie et son amour. C'est du moins le désir obs- cur que les héros du pessimisme européen expriment, à leur insu je le veux bien, dans leur philosophie, leur art, leur science depuis trois cents ans. Le Prométhée moderne, don Quichotte, croit à la sainteté de sa mission. Mais Cervantes aime ce fou bien moins pour les fantômes que poursuivent sa générosité et son courage, que pour la puissance divine de son Illusion. Pourquoi ce mouvement, qui prit naissance dans le Sud, s'est-il épanoui dans les régions du Nord? L'Italie, par les Vénitiens, avait écrit le prélude du grand poème symphonique que le Nord allait faire entrer dans la chair et les os de l'Eu- rope par Rubens et Sébastien Bach, établir dans son intelli- gence par Spinoza et Leibnitz, émouvoir dans son cœur par Rembrandt et Beethoven, étendre à l'espace et à la durée par Newton et Lamarck, subtiliser dans l'échange passionné des âmes et des sensations par Dostoiewsky et les musiciens rus- ses, et enfin diffuser dans la volonté des élites par les pessi- mistes allemands et dans leur sensibilité par les peintres fran- çais, — les uns et les autres soulevés d'ivresse lyrique, mais maintenus dans leur puissance intellectuelle par les deux siè- cles de discipline et de méthode qui vont de Descartes à Kant. Seulement, cet effort avait épuisé l'Italie que, par surcroît, déchiraient la France et l'Empire. De plus, la découverte de l'Amérique transportait des mers du Sud à l'Océan le centre de gravité du globe. Enfin, la Réforme, arrachant les peuples du Nord à la domination spirituelle de l'Eglise et a la tyrannie politique de l'Espagne, leur avait permis d'explorer leur pro- pre mystère. De fait, il n'y a plus dans le Sud qu'un homme, Vélazquez, qui est un miracle, et en qui l'on peut voir tour à tour, avec des raisons également valables, un simple vir- tuose — il est vrai le premier de tous — et le plus rare esprit de la peinture, le roi du silence et de uploads/s1/ histoire-de-lart-art-moderne-elie-faure.pdf
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- Publié le Jan 10, 2022
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