JEAN GUITTON de l'Acad mie françai e L E TRAVAIL INTELLECTUEL CONSEILS A CEUX Q
JEAN GUITTON de l'Acad mie françai e L E TRAVAIL INTELLECTUEL CONSEILS A CEUX QUI TUDIENT ET A CEUX QUI CRIVENT tOITI 0 NI MONTAIGNE, AUBIER, PAR 1 S L E TRAVAIL INTELLECTUEL DU MÊME AUTEUR Pédagogie. LE NouVEL ART DE PENSER. PoRTRAIT n'uNE MÈRE. CONSEIL A DEUX ENFANTS DE FRANCE. PAGES POUR LES JEUNES. Philosophie. ESSAI SUR L'AMOUR HUMAIN (coll. tt Philosophie de l'Esprit »). L'EXISTENCE TEMPORELLE (même collection), Nouvelles. CÉSARINE. J E A N G UIT T O N LE TRAVAIL INTELLECTUEL CONSEILS A CEUX QUI ÉTUDIENT ET A CEUX QUI ÉCRIVENT AUBIER ÉDITIONS MONTAIGNE, 13, QUAI CONTI, PARIS-VI• Copyright 1951 by Éditions Montaigne. Droits de reproduction réservés pour tous pays. à FÉLIX DE CLINCHAMPS et ANDRÉ RAILLIET AVANT -PROPOS Les vérités les plus précieuses sont celles que l'on découvre en dernier lieu; mais les vérités les plus précieuses ce sont les mé thodes. NmTzsCHE. Ce petit livre de conseils fait suite au Nouvel Art de pen ser, paru dans la même collection. Son dessein est analogue il est né d'un sentiment d'amitié profonde pour les étudiants, surtout pour ceux qui souff rect du désarroi et de la solitude. Il vise à les aider dans leur travail. Il voudrait les libér\':!' de toute impression d'infériorité ou d'angoisse. Mais il s'adresse aussi à tous ceux qui, dans lªs tracas de l'existence moderne, n'ont pas renoncé à lire, à écrire, à penser. Et il s'adresse même à ceu."{ qui savent: car nous sommes tous, en matière de connaissance, de style et de parole, des apprentis, et, comme le disait Gœthe, il est bon d'apprendre à faire la moindre chose de la manière la plus grande. On peut observer qu'il est rare qu'un maître, dans votre jeune âge, vous apprenne à travailler. Le maître vous donne des énoncés de devoir; il apprécie, il cote vos travaux; par fois, et plus rarement à mesure que l'on monte en savoir, il vous propose des corrigés, il vous montre dans un modèle qu'il a composé lui-même ce qu'il aurait fallu faire. Mais 8 LE TRAVAIL INTELLECTUEL il ne vous dit guère comment il fait; il laisse votre appren tissage au hasard ou à l'inspiration. Cette inexpérience du comm ent faire entre pour une vaste part dans l'impression de découragement que plusieurs retirent de leurs études. Au reste, à chaque âge de la vie, nous utilisons notre énergie mentale imparfaitement. Elle est si abondante, cette énergie, que nous ne pensons pas devoir nous occuper de son usage! Pourtant, avec le même effort, si nous l'appli quions mieux, nous pourrions faire tellement davantage : comme nos existences seraient plus suaves et plus pleines, si nous avions plus d'art et de patience! Il est vrai que l'ex périence du savoir-faire est incommunicable et que chacun doit s'écorcher à ses propres ronces. Mais je sais aussi le secours que m'ont donné jadis des ouvrages portant sur la méthode du travail et qui m'ont inspiré pour les compléter · d'écrire ce livre-ci 1. Que le lecteur ne cherche pas ici d'extraordinaires recettes. Je réveille des idées simples et que je crois présentes dans les plus vieilles traditions des pédagogues de mon pays. Vous y verrez que l'esprit doit apprendre à se concentrer et à trouver, en quelque sujet que ce soit, son point d'appli cation; qu'il doit faire travailler le repos et l'intervalle du temps, afin de mûrir; qu'il lui faut s'exprimer pour se connaître, car le fond et la forme ne sont pas séparables (et c'est pourquoi il sera parlé du style); enfin qu'il n'y a pas d'état où l'on ne puisse penser (et c'est pourquoi il sera parlé du travail de l'esprit dans la fatigue et dans la peine). Ce qui m'a guidé pour écrire ce livre d'utilité, c'est le souvenir de ces classes d'apprentissage où l'on travaille dans l'atelier d'un maître de dessin. Celui-ci ne procède pas comme le maître des Lettres ou des Sciences. On le voit opérer. On s'exerce à son tour devant le modèle ou 1. Je songe ici principalement au Travail intellectuel et la volonté de Payot et sunout à la Vie intellectuelle, de Senillanges. AVANT-PROPOS 9 devant des œuvres inimitables. Et, de temps en temps, on entend ce maître qui grommelle dans votre dos; puis, il prend votre place et il corrige sous vos yeux vos ébauches. Ces méthodes valent à mon sens tous les cours du monde. Et, pour ma part, j'aurais préféré passer, comme les Tha raud, un seul jour dans l'atelier de Barrès que de suivre pendant des mois les cours de licence à la Sorbonne. Et c'est pourquoi, selon l'idée de Descartes qui a raconté son histoire avant d'expliquer sa méthode, je dirai certaines des occasions de la \lie qui m'ont fait redécouvrir les règles immuables de l'art de travailler. Si le lecteur ne fait pas des épreuves semblables, ces conseils seront poussière et cendre. Je dois dire enfin que les règles qui sont ici suggérées ne conviennent peut-être pas à toutes les familles d'esprit. Je n'ai pas cherché à être complet, mais seulement à me rendre profitable à ceux auxquels ces pages sont prédestinées. CHAPITRE PREMIER EN REGARDANT TRAVAILLER LES AUTRES 1. - LA PRIVATION. Il.- LE TRAVAIL DES CLERCS. III. - LE TRAVAIL ARTISTE. IV. -HOMMES DE GUERRE; HOMMES D'ÉTAT. V. -RENTRÉES D'OCTOBRE ET DE NOVEMBRE. VI. - LA SPIRITUALITÉ DU MÉTIER. I Je n'ai jamais considéré mon action et toute mon œuvre que symboliquement, et il m'a été assez indiff érent de savoir si je faisais des pots ou des plats. GœTHB. L'insatisfaction vis-à-vis de la pédagogie de nos enfances e st un sentiment honorable et nécessaire. Une pédagogie parfaite serait sans valeur pour former un homme, qui a besoin tout à la fois qu'on soit avec lui adroit et maladroit pour qu'il arrive à sa taille. Le vice d'une éducation systé matique, c'est de ne produire qu'un homme-enfant, comme souvent le sont les dauphins, peut-être même comme l'était Émile? Rendons donc grâce au ciel des défauts, des lacunes de nos premiers maîtres, sans quoi nous n'aurions disposé d'aucune matière réfractaire. Le contraste est la condition d'une expérience originale. Un maître nous instruit par ce qu'il nous donne. Il nous excite par ce qui lui manque et qui nous sollicite à être notre propre maître intérieur. Il est rare d'avoir au milieu de sa vie un temps de vacance et de vide qui permette de revoir longuement la première étape, pour la juger sous le regard d'un esprit mûr et pour recommencer ses études à l'alphabet. C'est meill eur encore lorsque cette reprise de soi s'accompagne de privation. Beaucoup de gens de ce siècle, après le fameux an 40, dans la solitude de la province, dans la vie clandestine, dans la 14 LE TRAVAIL INTELLECTUEL prison, dans l'émigration, dans l'exil, ont connu ces périodes de réenfantement. Je voudrais dire ce que m'ont appris cinq ans de réclusion au sujet du travail de l'esprit. Un des premiers caractères de ces états est qu'on y manque de tout ce qui vous paraissait jusque-là être bien nécessaire, et qu'on en est réduit à l'attention, à la mémoire, à de rares entretiens. Ce qui porte à penser d'abord que les livres ne sont pas indispensables, qu'un tout petit nombre en tout cas doit suffire. Je le savais pour avoir vu vivre un aveugle pensant. Notre civilisation sursaturée de connaissances et de moyens de savoir offre tant de masques et de faux appuis que l'homme ne sait plus ce qu'il sait et ce qu'il ignore. La preuve que l'on sait quelque chose, dit Aristote, c'est que l'on peut l'enseigner. J'ai mesuré dans cette absence des livres et des notes combien les plus savants savaient peu; mais ce peu, quand il était tiré de leurs entrailles, ils l'enseignaient bien. Le premier hiver fut sans plume ni encre. Peu de papier et pas une table calme, pas un coin de tranquillité, mais toujours ce va-et-vient du<< ménage»; en somme, ce travail dans une cuisine, auquel tant et tant d'enfants pauvres sont astreints, le cahier au milieu de la vaisselle et l'atten· tion obligée de se durcir et d'émerger hors des bruits. Les instruments nous furent rendus goutte à goutte, avec de longs intervalles. Si le stylo, les cahiers, les livres avaient été redonnés à la fois, alors on aurait de nouveau plié sous l'abondance. L'existence captive mettait à l'épreuve les divers genres de culture acquise dans les écoles. Voici des hommes de vingt à cinquante ans pris à la force de leur âge et pourvus de ce bien que les hommes cherchent toujours et ne trouvent presque jamais : le loisir. Une journée entière sans occu· pation et qu'ils pouvaient consacrer à s'instruire, s'ils le voulaient. Chaque nation se caractérise par ce qu'elle recons· EN REGARDANT TRAVAILLER LES AUTRES 15 titue le plus aisément. Les Anglais, c'est un club; les Polo nais, c'est une armée ou son noyau; les Russes, c'est un peuple; les Musulmans, un lieu de prière. Nous, ce qui sor tait du sol, c'était une École, un embryon uploads/s1/ jean-guitton-le-travail-intellectuel-pdf 1 .pdf
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- Publié le Aoû 15, 2021
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