Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication E
Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication © Éditions Gallimard, 1987. Extrait de la publication Extrait de la publication A l'orée de l'existence Extrait de la publication Extrait de la publication Lorsque le Christ descendit aux enfers, les justes de l'ancienne loi, Abel, Énoch, Noé, se méfièrent de son enseignement et ne répondirent pas à son appel. Ils le prirent pour un émissaire du Tentateur dont ils redou- taient les embûches. Seul Caïn et ceux de son espèce adhérèrent à sa doctrine ou firent semblant, le suivirent et quittèrent avec lui les enfers. Voilà ce que professait Marcion. « Le bonheur du méchant », cette vieille objection contre l'idée d'un Créateur miséricordieux ou tout au moins honorable, qui l'a consolidée mieux que cet hérésiarque, qui d'autre a perçu avec une telle acuité ce qu'elle a d'invincible ? Paléontologue d'occasion, j'ai passé plusieurs mois à ruminer sur le squelette. Résultat quelques pages à peine. Le sujet, il est vrai, n'invitait pas à la prolixité. Appliquer le même traitement à un poète et à un penseur me semble une faute de goût. Il est des domaines auxquels les philosophes ne devraient pas toucher. Extrait de la publication Désarticuler un poème comme on désarticule un système est un délit, voire un sacrilège. Chose curieuse les poètes exultent quand ils ne comprennent pas ce qu'on débite sur eux. Le jargon les flatte, et leur donne l'illusion d'un avancement. Cette faiblesse les rabaisse au niveau de leurs glossateurs. Le néant pour le bouddhisme (à vrai dire pour l'Orient en général) ne comporte pas la signification quelque peu sinistre que nous lui attribuons. Il se confond avec une expérience-limite de la lumière, ou, si on veut, avec un état d'éternelle absence lumineuse, de vide rayonnant c'est l'être qui a triomphé de toutes ses propriétés, ou plutôt un non-être suprêmement positif qui dispense un bonheur sans matière, sans substrat, sans aucun appui dans quelque monde que ce soit. Tant la solitude me comble que le moindre rendez- vous m'est une crucifixion. La philosophie hindoue poursuit la délivrance; la grecque, à l'exception de Pyrrhon, d'Épicure, et de quelques inclassables, est décevante elle ne cherche que la. vérité. On a comparé le nirvâna à un miroir qui ne refléterait plus aucun objet. À un miroir donc à jamais pur, à jamais sans emploi. Extrait de la publication Le Christ ayant appelé Satan « Prince de ce monde », saint Paul, voulant renchérir, allait frapper juste « dieu de ce monde ». Quand de telles autorités désignent nommément celui qui nous gouverne, avons-nous le droit de jouer aux déshérités ? L'homme est libre, sauf en ce qu'il a de profond. À la surface, il fait ce qu'il veut; dans ses couches obscures, « volonté » est vocable dépourvu de sens. Pour désarmer les envieux, nous devrions sortir dans la rue avec des béquilles. Il n'est guère que le spectacle de notre déchéance qui humanise quelque peu nos amis et nos ennemis. C'est avec raison qu'à chaque époque on croit assister à la disparition des dernières traces du Paradis terrestre. Le Christ encore. D'après un récit gnostique, il serait, par haine du fatum, monté au ciel pour y déranger la disposition des sphères et empêcher qu'on interroge les astres. Dans ce remue-ménage, qu'a-t-il bien pu arriver à ma pauvre étoile ? Extrait de la publication Kant a attendu l'extrême vieillesse pour apercevoir les côtés sombres de l'existence et signaler « l'échec de toute théodicée rationnelle ». D'autres, plus chanceux, s'en sont avisés avant même de commencer à philosopher. On dirait que la matière, jalouse de la vie, s'emploie à l'épier pour trouver ses points faibles et pour la punir de ses initiatives et de ses trahisons. C'est que la vie n'est vie que par infidélité à la matière. Je suis distinct de toutes mes sensations. Je n'arrive pas à comprendre comment. Je n'arrive même pas à comprendre qui les éprouve. Et d'ailleurs qui est ce je au début des trois propositions? Je viens de parcourir une biographie. L'idée que tous les personnages qui y sont évoqués n'existent plus que dans ce livre m'a paru si insoutenable que j'ai dû m'allonger pour éviter une défaillance. De quel droit me lancez-vous à la figure mes vérités ? Vous vous arrogez une liberté que je récuse. Tout ce que vous alléguez est exact, je le reconnais. Mais je ne vous ai pas autorisé à être franc à mon égard. (Après chaque explosion de fureur, honte accompagnée de l'invariable rengorgement « Ça, du moins, c'est de la vie », suivi, à son tour, d'une honte plus grande encore.) Extrait de la publication « Je suis un lâche, je ne puis supporter la souffrance d'être heureux. » Pour pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il me suffit de voir comment il réagit à cet aveu de Keats. S'il ne comprend pas tout de suite, inutile de continuer. Épouvantement quel dommage que le mot ait disparu avec les grands prédicateurs L'homme étant un animal égrotant, n'importe lequel de ses propos ou de ses gestes a valeur de symptôme. « Je suis étonné qu'un homme aussi remarquable ait pu mourir », ai-je écrit à la veuve d'un philosophe. Je ne me suis aperçu de la stupidité de ma lettre qu'après l'avoir expédiée. Lui en envoyer une autre, c'eût été risquer une seconde bourde. En matière de condoléances, tout ce qui n'est pas cliché frise l'inconvenance ou l'aberration. Septuagénaire, lady Montague avouait avoir cessé de se regarder dans un miroir depuis onze ans. Excentricité? Peut-être, mais pour ceux-là seuls qui ignorent le calvaire de la rencontre quotidienne avec sa propre gueule. Extrait de la publication Je ne peux parler que de ce que j'éprouve; or, je n'éprouve rien en ce moment. Tout me semble annulé, tout est suspendu pour moi. J'essaie de n'en tirer ni amertume ni vanité. « Au cours de nombreuses vies que nous avons vécues, lit-on dans Le Trésor de la vraie Loi, combien de fois sommes-nous nés en vain, morts en vain » Plus l'homme avance, moins il aura à quoi se convertir. Le meilleur moyen de se débarrasser d'un ennemi est d'en dire partout du bien. On le lui répétera, et il n'aura plus la force de vous nuire vous avez brisé son ressort. Il mènera toujours campagne contre vous mais sans vigueur ni suite, car inconsciemment il aura cessé de vous haïr. Il est vaincu, tout en ignorant sa défaite. On connaît l'ukase de Claudel « Je suis pour tous les Jupiter contre tous les Prométhée. » On a beau avoir perdu toute illusion sur la révolte, une telle énormité réveille le terroriste assoupi en vous. On n'en veut pas à ceux qu'on a insultés; on est, au contraire, disposé à leur reconnaître tous les mérites imaginables. Cette générosité ne se rencontre malheureu- sement jamais chez l'insulté. Extrait de la publication Je fais peu de cas de quiconque se passe du Péché originel. J'y ai recours, quant à moi, dans toutes les circonstances, et, sans lui, je ne vois pas comment j'éviterais une consternation ininterrompue. Kandinsky soutient que lejaune est la couleur de la vie. On saisit maintenant pourquoi cette couleur fait si mal aux yeux. Quand on doit prendre une décision capitale, la chose la plus dangereuse est de consulter autrui, vu que, à l'exception de quelques égarés, il n'est personne qui veuille sincèrement notre bien. Inventer des mots nouveaux serait, selon M" de Staël, le « symptôme le plus sûr de la stérilité des idées ». La remarque semble plus juste aujourd'hui qu'elle ne l'était au début du siècle dernier. En 1649 déjà, Vaugelas avait décrété « Il n'est permis à qui que ce soit de faire de nouveaux mots, non pas même au souverain. » Que les philosophes, plus encore que les écrivains, méditent sur cette interdiction avant même de se mettre à penser On apprend plus dans une nuit blanche que dans une année de sommeil. Autant dire que le passage à tabac est autrement instructif que la sieste. Extrait de la publication Les maux d'oreilles dont souffrait Swift sont en partie à l'origine de sa misanthropie. Si je m'intéresse tant aux infirmités des autres, c'est pour me trouver tout de suite des points communs avec eux. Parfois j'ai l'impression d'avoir partagé tous les supplices de ceux que j'ai admirés. Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette à quoi bon se laver encore ? L'ennui est bien une forme d'anxiété mais d'une anxiété purgée de peur. Lorsqu'on s'ennuie on ne redoute en effet rien, sinon l'ennui lui-même. Quiconque est passé par une épreuve regarde de haut ceux qui n'ont pas eu à la subir. L'insupportable infatuation des opérés. À l'exposition Paris-Moscou, saisissement devant le portrait de Remizov jeune par Ilya Répine. Quand je le connus, Remizov avait quatre-vingt-six ans il habitait un appartement presque vide que convoitait pour sa fille la concierge qui intriguait pour uploads/s1/ emil-cioran-aveux-et-anathemes.pdf
Documents similaires
-
27
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 14, 2021
- Catégorie Administration
- Langue French
- Taille du fichier 1.6981MB