APC-MCX, Atelier n° 37 - «Complexité à l’œuvre : musique, musicologie, spectacl

APC-MCX, Atelier n° 37 - «Complexité à l’œuvre : musique, musicologie, spectacle vivant» Du fait gestuel à l’empreinte sonore : pour un geste musical par Apollinaire ANAKESA KULULUKA1 S'il est un concept étrange, de plus en plus employé en musique, même pour décrire des figures de l'écriture la plus abstraite- je pense par exemple à un compositeur contemporain comme Ferneyhough -, aussi pertinent en anthropologie qu'en analyse musicale, s'il est un concept par essence transdisciplinaire... c'est bien celui de "geste". Le geste musical est l’un des phénomènes complexes de l’expression humaine et animalière, qui relève de réactions synchrones diverses et variées. Chez l’homme, différents gestes contribuent ainsi à l’éclosion de toutes sortes de sons vivants qui nous entourent ou agissent en nous, bien que chacun d’eux ne revête pas la même importance. C’est le travail de la perception et de l’organisation du matériau sonore capté ou imaginé par chacun – l’art de sons – qui permet d’explorer leurs différentes possibilités et de leur donner un sens musical. Ces gestes deviennent ainsi musicaux, et la musique vivante, par le truchement de leurs énergies sonores fluctuantes et agencées, qui sont exprimées en matières et mouvements ¬et mis en jeu dans le temps et dans l’espace, dans le « paysage sonore ». Dans le cadre de cet article, rechercher la racine et l’acte créateur d’un geste musical d’une part, comprendre son mécanisme ou sa fonctionnalité d’autre part, forme la problématique que je tente de traiter. Le geste musical est l’un des phénomènes complexes de l’expression humaine et animalière, qui relève de réactions synchrones diverses et variées. En effet, mille observations et expériences me font croire que, dans l’univers, d’infinis processus d’injonction et de réaction réciproques jouent entre différentes choses existantes. A travers cette opération, les êtres vivants – en particulier l’homme et l’animal – reçoivent, enregistrent et, dans la mesure du possible, rejouent le réel ambiant. Ainsi se font-ils miroir d’interactions d’une réalité donnée ou simplement leur font-ils écho. Chez l’homme, cette saisie du réel - dans chacune de ses “phases” interactionnelles : « agent, action, agi », pour reprendre l’expression de Marcel Jousse (1974 :411 p.)2 - est une prise de conscience permettant l’analyse globale des choses. Il peut alors les exprimer normalement, soit par un langage gestuel phonatoire ou oral, soit par un langage gestuel manuel spontané. Cela peut l’être également par un geste expressif ou par un graphisme, à travers un mimogramme ou un idéogramme. Dans le cadre de cet article, rechercher la racine et l’acte créateur d’un geste musical d’une part, comprendre son mécanisme ou sa fonctionnalité d’autre part, forment la problématique que je tente de traiter. Pour ce faire, je me suis composé la mélodie qui suit, laquelle j’ai d’abord chantée, puis jouée au piano et au violon, le but étant d’expérimenter consciencieusement les sons et les gestes mis en œuvre pour le jeu des sons musicaux. 1 Apollinaire ANAKESA KULULUKA, musicien, musicologue, ethnomusicologue et sinologue, a consacré son doctorat d’histoire de la musique et musicologie plus particulièrement aux échanges des cultures musicales entre l’Occident, l’Afrique et l’Asie. Auteur de quelques articles et de l’ouvrage Florentz… sur la marche du soleil, il s’intéresse aux diverses traditions musicales de ces trois continents et de la place qu’elles occupent dans la société occidentale contemporaine. 2 Selon JOUSSE, « L’agent – agissant – l’Agi » constituent un mécanisme qui gouverne des gestes et des balancements corporels humains. L’Agent c’est « le peloton d’énergies, un être-action » qui va perpétuellement propulser telle action caractéristique. L’Agi forme « l’agissement d’un peloton d’énergies d’une action », tandis que agissant c’est l’acte ou le geste essentiel de l’expression humaine. APC-MCX, Atelier n° 37 - «Complexité à l’œuvre : musique, musicologie, spectacle vivant» 2 Dans ma démarche, je me suis ainsi trouvé devant une pensée musicale reçue biologiquement, structurée et fixée dans ma mémoire. Ensuite, je l’ai produite physiquement par la voix, transcrite graphiquement, pour enfin la matérialiser en mélodie, à travers le jeu des deux instruments précités. Pour préciser cette intention musicale, mettre en œuvre ses composantes - en les coordonnant le plus justement possible, en vue de leur donner une cohérence -, il m’a fallu structurer, par accumulation, divers gestes biologiques et physiques aléatoires ou non, pulsés, réguliers et irréguliers, successifs et décalés, alternatifs et simultanés. Musicalement, ces gestes physiques font apparaître des différences notamment de hauteur, de métrique, de durée et de timbre, que j’ai sélectionnés, hiérarchisés et organisés au fur et à mesure de mon jeu et de la nécessité d’enchaîner, par exemple, tel son avec tel autre ou d’alterner telle nuance avec telle autre en vue de l’expression des émotions précises et désirées. Ainsi, à force de variations dans la répétition, les éléments de valeur musicaux et esthétiques se sont dégagés, délimitant en même temps les structures et les lois régissant cette mélodie. Ce processus m’a permis quelques observations. Comme intermédiaires entre la pensée musicale et le son produit, plusieurs gestes ont servi à traduire tout ce que j’ai voulu techniquement et esthétiquement mettre dans les sons sous-jacents cette ligne mélodique. Ces sons ne sont devenus musicaux que lorsqu’ils ont ainsi été précisément ajustés à mon émotion et à mon intention. J’ai également remarqué que les différents gestes mis en contribution étaient de la plus haute importance dans la fabrication d’un son, tant ils permettaient de traduire et de véhiculer la pensée sonore désirée. En comparaison avec mes expériences passées d’instrumentiste (violon, tambour, xylophone et piano) et de joueur de football, je constate que, dans la pratique, un son musical en l’occurrence est propulsé tel un ballon shooté dans une direction précise. Soit que le joueur y met toute son énergie, et le ballon une fois lancé poursuit sa course tout seul (il en est de même du fonctionnement d’un son très résonnant où un seul geste suffit à donner une impulsion durable), soit qu’il accompagne le ballon jusqu’à sa destination (ainsi les sons « entretenus » sont-ils animés de bout en bout par différents gestes de l’exécutant ; c’est le cas, d’une part des sons brefs joués aux percussions et qui nécessitent une répétition du geste, d’autre part des sons continus, comme ceux des instruments à vent par la tenue du souffle, ou ceux à cordes par le frottement tenu de l’archet.) Il résulte donc qu’un des facteurs fondateurs de l’expression musicale est la parenté existant entre les schèmes rythmico-mélodiques, avec tous leurs paramètres, et les schèmes gestuels qui accompagnent le comportement du musicien ou du chanteur. C’est aussi là le produit des états psychiques fondamentaux, dont la tension-détente, le calme-excitation, l’exaltation-dépression, qui se traduisent ordinairement par diverses formes gestuelles au rythme bien déterminé, ceci, à travers des directions spatiales et des mouvements montants, descendants ou latéraux. Leur structuration se fait notamment par des formes APC-MCX, Atelier n° 37 - «Complexité à l’œuvre : musique, musicologie, spectacle vivant» 3 partielles au sein de formes globales diverses - périodiques, constantes ou évolutives -, avec une récurrence obstinée ou non. Quant aux émotions, elles sont liées à toutes sortes de dynamiques sonores produites par des gestes qui, par ailleurs, aident à l’apprentissage du jeu instrumental et servent son expressivité. Toutefois, dans ce processus, la défaillance gestuelle peut être source d’affaiblissement plus ou moins grande de la pensée musicale. Mais, de sa vitalité dépendra la qualité future du son et la manière dont il se développera, ce, quel que soit le matériau employé. Ainsi cette qualité sonore est-elle subsidiaire à celle du geste exécuté. Il y a là comme un transfert plus ou moins massif d’énergie du musicien projetée délicatement vers un « objet sonore ». Il en résultera un son avec une attaque dure ou douce, suivant le matériau utilisé – baguette molle ou dure par exemple – et du geste, ce qui permettra à chaque son de se développer, dans l’espace et dans le temps, d’une manière différente. Puis, la forme et la dynamique, de la matière sonore produite, seront liées à la fois au geste générateur et à l’instrument subissant celui-ci, afin de répercuter la pensée de l’exécutant. Dans chaque geste, ce dernier manifestera le plaisir qu’il a à faire naître des sonorités qui lui semblent musicales. Suivant l’instrument utilisé et le matériau sonore désiré, il adaptera les gestes, afin que la dynamique du son traduise le plus justement possible la pensée musicale. Par ces gestes, il mesurera également tant la durée que le rythme des événements sonores. Grâce à eux, non seulement il imprimera les pulsions dynamiques, les tensions-détentes ainsi que les ruptures ou les silences, mais il fera aussi naître le temps de l’attente et celui de la résolution. Aussi doit-il sentir la relation étroite entre le temps musical, qu’il peut vivre intérieurement, et la manifestation de celui-ci, par le truchement de ses propres gestes vocaux ou instrumentaux, le travail musical consistant alors à ajuster le plus précisément possible le résultat sonore à sa pensée de musicien. Ce qui suppose évidemment que ce dernier a, en lui, ce désir musical3 préexistant au geste. Qu’est c’est alors qu’un geste uploads/s3/ 0905-anakesa.pdf

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