Jankovic / Descola. Une anthropologie de la figuration 3 août 2018 dans Art con

Jankovic / Descola. Une anthropologie de la figuration 3 août 2018 dans Art contemporain, Everyday Life, Reader par Liliane | Lien permanent In Artpress, juillet 2007. Entretien entre Nicola Jankovic et Philippe Descola à propos de son projet d’«anthropologie de la figuration», alternative contestable à l’«anthropologie de l’art» telle que définie par Alfred Gell et qui ouvre un champ d’étude permettant une étude de l’art occidental à partir de l’art dit ethnique : quatrième de couverture du livre L’art et ses agents de Gell : «Plutôt que de penser l’œuvre d’art en termes de beauté, Alfred Gell propose de la situer à l’intérieur d’un réseau de relations entre agents et patients qui manifestent une certaine agentivité (agency) par l’intermédiaire de l’œuvre. Cette théorie a une vocation universelle : il s’agit moins de relativiser le système occidental de l’esthétique que de se rendre sensible aux mécanismes de l’intentionnalité, des ignames décorés de Nouvelle-Guinée aux ready- made de Duchamp.» etc. http://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=1219 Philippe Descola intervient différemment à la fondation Vuitton en mai 2018 Extraits pour mémoire des positions de Descola sur l’art contemporain développées dans l’entretien avec Jankovic, datant de 2001. Nicola Jankovic : Depuis la parution de Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005), vous avez justement orienté vos recherches vers ce que vous appelez une «anthropologie de la figuration». Vous dites qu’elle se distingue clairement d’une anthropologie de l’art. En quoi ? Philippe Descola : Au fil du temps, l’anthropologie s’est fixé toute une série d’objets qui étaient définis par homologie avec les grandes catégories de l’expérience humaine perçues depuis le monde occidental moderne. L’art en fait partie. Était considérée comme «anthropologie de l’art» celle des objets qui paraissaient présenter des qualités ou des propriétés analogues à celles des objets considérés comme artistiques chez nous. Le problème que l’anthropologie a très rapidement rencontré est que «l’Art» n’existe pourtant pas dans la plupart des sociétés. L’anthropologie de l’art revient donc à n’être que l’équivalent de l’histoire de l’art pour les sociétés non occidentales – c’est-à-dire l’étude des conditions de production des objets que nous appelons d’«art», la mise au jour des esthétiques locales. J’appellerais cela plutôt de l’ethnologie de l’art ; car, pour qu’il y ait anthropologie de l’art, il faut une théorie anthropologique générale de cette classe d’objets qui, à quelques exceptions près, n’existe pas. [!] À travers l’anthropologie de la figuration, je m’intéresse de ce fait aux modes de production des images qui ont un caractère iconique —c’est-à-dire dans lesquelles au moins une des qualités du prototype peut être reconnue. Ce qui m’intéresse aussi, c’est la dimension ontologique que ces images rendent manifeste, le type de combinaisons des qualités de l’intériorité et de la physicalité qu’elles rendent visible. En ce sens, je ne m’intéresse pas à toutes les images iconiques —par exemple la pictographie (comme art de la mémoire pour accompagner des récits) ou l’héraldique (qui combine structurellement des images de manière à dénoter un statut social, une généalogie, etc.). Dans son important livre, Art and Agency (1998) (1), Alfred Gell montre que la meilleure façon d’analyser des œuvres d’art n’est pas tant de trouver leurs significations, que de les considérer comme des agents ayant une action dans le monde. Les images ont donc une «agence», c’est-à-dire qu’elles sont animées d’une causalité intentionnelle à l’instar d’une personne humaine. Gell analyse alors les différents modes de relations qui peuvent exister entre quatre termes du réseau de l’art (art nexus) : le prototype, l’icône (ou l’indice), le destinataire et l’artiste. Ce faisant, il reste dans le domaine de l’art, figuratif ou non. Moi, je m’intéresse à l’opération de figuration, c’est-à-dire à l’opération qui consiste à rendre visibles de façon reconnaissable les propriétés d’une ontologie. Mon objectif est essayer de comprendre s’il existe pour chacun des modes d’identification évoqués plus haut des modes de figuration. Nicola Jankovic : L’année dernière a vu s’ouvrir le musée du Quai Branly. Que pensez- vous de cette entreprise ? Les objets exposés ont-ils pour vous un statut «artistique» ? Philippe Descola : Justement non. Je suis assez convaincu par Jean-Marie Schaeffer quand il montre dans Les Célibataires de l’art (1996) qu’il n’y a pas vraiment de moyens de qualifier d’«artistique» ou d’«esthétique» un objet —même avec des propriétés relationnelles. C’est là, je crois, que Gell achoppe. Il ne montre pas de façon convaincante ce qu’est un objet d’art, il le présuppose (2). Marcel Duchamp est, à cet égard, celui qui a montré la capacité de (dé)contextualisation du ready-made dans le cadre muséographique qui l’inscrit. Les objets ethnographiques sont eux aussi perçus à travers le prisme de la muséographie, puisque c’est ainsi qu’on les a d’abord appréhendés. Une des façons de présenter des objets est de leur donner un sens dans un musée, de singulariser certains d’entre eux plus que d’autres —et donc d’utiliser le pouvoir de fascination ou d’émotion que l’on ressent à les regarder. Cela se fait en particulier dans ce que j’ai appelé la «muséographie polyphonique» (3), qui se développe par rapport à la muséographie de contextualisation, comme celle du diorama. Mettre un accent polyphonique sur un objet revient à le mettre au centre d’une constellation. Pas seulement d’objets mais aussi de discours, de pratiques, d’attitudes qui l’éclairent. Le plus économique, c’est évidemment de prendre ceux des objets qui fascinent. La plupart des objets des musées d’ethnographie ou du Quai Branly sont pour l’essentiel rituels, utilisés dans des opérations de médiation entre les humains, les non- humains ou le surnaturel. Leur perfection et l’effet saisissant qu’ils exercent (y compris par leurs bruits, leurs odeurs) jouent un rôle important —comme par exemple les masques-parasols Sulka de Nouvelle-Bretagne. Il n’y a donc pas de raison de se priver dans une exposition de ces qualités-là. Comme l’a souligné Schaeffer, ce type de dispositif souligne les conventions d’exposition de l’art qu’on adresse aux musées ethnographiques sans le faire pour les musées d’art. L’artiste Pinoncelli qui, l’année dernière, dans l’exposition Dada, cassa l’urinoir de Marcel Duchamp, met à nu le dispositif non pas tant d’un objet comme ready made que sa sacralisation comme œuvre d’art. Je pense qu’il y a une immense confusion dans la pensée de la plupart des gens à ce propos-là. La récente affaire à propos de la publicité s’inspirant de la Cène de Vinci le montre elle aussi. L’idée que ce ne soit pas du tout la mise en scène d’un dieu vivant partageant sa nourriture avec ses disciples mais que ce soit un tableau —ou même la reproduction de quelque chose à laquelle Vinci lui-même n’avait pas assisté— n’a traversé l’esprit ni de l’association de chrétiens ayant déposé la plainte ni du juge de première instance ! Or si les conservateurs de musées se posent ces questions, ils ne le font pas de manière à ce que le public en ait conscience. Nicola Jankovic : Compte tenu de vos quatre ontologies, pouvez-vous décrire quelles en sont alors les préférences morphologiques ? Philippe Descola : Il y a quatre opérations de base qui correspondent aux quatre modes d’identification dont les ontologies que j’ai décrites sont le produit. Notre monde à nous, qui est celui du naturalisme, a certaines propriétés mais n’en est pas moins un cas particulier. Utiliser la structure de ce monde —et notamment la distinction entre des phénomènes naturels d’un côté et des conventions sociales ou culturelles de l’autre — pose un problème : celui inhérent à projeter la structure d’une cosmologie sur d’autres. Distinguer ces quatre opérations en en expliquant l’agence permet d’éviter ce problème. Dans le premier cas —l’animisme—, c’est ce que j’appelle la commutation . Les suites du naturalisme Les façons les plus exemplaires de figurer cela consistent principalement en des masques —dont ceux, par exemple, des Yup’it d’Alaska— dans lesquels sont figurés simultanément un ou plusieurs visages humains et les attributs d’espèce de l’animal (ou de l’esprit animal). Une autre façon de montrer cette commutation se manifeste dans les masques à volets de la côte Nord-Ouest américaine. Par ce procédé très simple, ils rendent évidente la métamorphose —ce qui est une autre caractéristique de l’animisme : on voit un animal quand le masque est fermé, et la figure humaine dévoilée lorsqu’il est ouvert. Le deuxième type de relation —la ressemblance— correspond au naturalisme. Même s’il en existe des prodromes dans l’Antiquité, il s’est passé quelque chose en Occident à partir de l’Ars nova du 15e siècle : on va figurer la singularité de l’intériorité humaine en individualisant de manière reconnaissable les personnages, l’art du portrait —comme par exemple dans la Vierge au Chancelier Rolin de Van Eyck. D’un autre côté, on va pousser très loin l’imitation de la nature —«morte» ou en paysage—, c’est-à-dire précisément la continuité dans la physicalité, une répartition des objets du monde dépeint avec une très grande minutie dans un espace homogène —par exemple Le Lièvre de Dürer. Prose du monde provenant d’un fonds analogique (ainsi que l’a montré Michel Foucault), c’est quelque chose de très nouveau et très rapide, se jouant sur cent ou cent cinquante ans. La troisième forme —l’ordonnancement— se retrouve dans l’art aborigène, uploads/s3/ anthropologie-de-la-figuration-descola.pdf

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