Romanica Cracoviensia 15 (2015): 11–18 doi: 10.4467/20843917RC.15.001.3998 www.
Romanica Cracoviensia 15 (2015): 11–18 doi: 10.4467/20843917RC.15.001.3998 www.ejournals.eu/Romanica-Cracoviensia Przemysław Dębowiak Université Jagellonne de Cracovie SURVIE DES DIMINUTIFS LATINS EN FRANÇAIS * Continuance of Latin diminutives in French ABSTRACT The article deals with French words coming from Latin diminutives. The corpus, based mainly on the Reino Hakamies’ work (Étude sur l’origine et l’évolution du diminutif latin et sa survie dans les langues romanes, Helsinki, 1951) that has been verified and completed, includes 184 terms. It is shown that diminutives lose their original meaning, taking the sense of the primitive which has not survived (e.g. soleil ‘sun’ ← *sōlĭcŭlus, aiguille ‘needle’ ← *acūcŭla, while sōl and acŭs → ø). Sometimes they have been preserved next to the primitives, but with a particular meaning (e.g. chapelle ‘chapel’ ← cappella, chapeau ‘hat’ ← cappellus, while cappa → chap(p)e ‘cloak’). The purpose of the article is to point out some examples of Latin diminutives inherited in French and to characterise not only their historical development from the semantic and formal point of view, but also the evolution of their non-diminutive primitives. KEY WORDS: diminutive, French, Latin, morphology, suffixal derivation. Dans les grammaires de différentes langues, la dérivation suffixale est considérée comme un processus linguistique productif (en ce qui concerne le français, voir p.ex. Grevisse 1993 : 198–222 ; Riegel, Pellat, Rioul 2009 : 905–906). La diminution, qui en est un cas particulier, sert à créer des dérivés pouvant remplir quelques fonctions : exprimer l’idée concrète de petitesse, donc indiquer une relation d’appartenance ou de ressemblance avec le mot de base, ou porter une nuance subjective sur le référent, mar- quant l’affection, la dépréciation, etc. Le problème de la valeur primitive des diminutifs (notionnelle ou émotionnelle ?) a d’ailleurs été soulevé plusieurs fois dans la littérature linguistique et il ne fera pas l’objet de cette étude (cf. p.ex. Nyrop 1908 : 69 ; Alonso 1951 ; Hakamies 1951 : 16 et suiv. ; Hasselrot 1957 : 304 ; Väänänen 1967 : 87 ; Dę- bowiak 2014 : 173–174). Du point de vue diachronique, la productivité de la dérivation diminutive a considé- rablement changé durant le passage du latin au français et le long du développement ultérieur de celui-ci. En latin vulgaire, elle constituait un moyen assez populaire de créer des mots nouveaux (Väänänen 1967 : 82–82, 93–94). En français, elle était pro- ductive surtout au Moyen Âge, et bien que certains historiens de la langue soulignent la prolifération des diminutifs synthétiques dans les textes littéraires du XVIe siècle, cette * Le texte a été présenté au colloque international Filología Románica Hoy qui s’est tenu du 3 au 5 novembre 2011 à l’Université Complutense de Madrid. Depuis ce temps-là, nous l’avons légère- ment remanié, en actualisant également la bibliographie. Przemysław Dębowiak 12 richesse prétendue, qui se serait prolongée dans le français du XVIIe siècle, n’était qu’apparente. En effet, la présence accentuée des diminutifs dans la poésie de la Renaissance reflétait une mode artificielle qui était loin d’être représentative même du style littéraire de l’époque. Le déclin de la formation diminutive synthétique, obser- vable depuis le moyen français, s’est produit en parallèle avec les changements concer- nant le système dérivationnel, provoqués par les réductions phonétiques avancées : le français devenait une langue de plus en plus analytique et les diminutifs se formaient de plus en plus souvent à l’aide de l’adjectif petit. Alors, si au XVIIe siècle les partisans du bon usage, comme Malherbe et Bouhours, ont sévèrement blâmé l’emploi des dimi- nutifs dans la langue littéraire, leurs interventions n’ont pas été la cause, mais plutôt une confirmation de l’appauvrissement déjà existant de la formation des diminutifs synthétiques (cf. Nyrop 1908 : 69–70, 389 et suiv. ; Hakamies 1951 : 210 ; Hasselrot 1957 : 174–175 ; Togeby 1958 : 195–198 ; Rey, Duval, Siouffi 2007 : 527, 605 ; Bidaud 2012 : 52–53). Dans ses Remarques, Vaugelas écrivait, à propos de l’emploi de la forme islette : Islette pour petite isle est fort bon. M. Coëffeteau en use, quoique les diminutifs ne soient pas fort en usage en nostre Langue. Car lors mesme que l’on s’en sert, on les adoucit d’ordinaire avec l’épithéte de petit. On dit plustost un petit livret, qu’un livret ; un petit oisillon qu’un oisillon simplement. Et ainsi des autres. (Chassang 1880 : 412–413) Alors, il est justifié de constater que la formation diminutive en français dès le XVIIe siècle se fait plutôt analytiquement que synthétiquement, c’est-à-dire par l’ad- jonction de l’adjectif petit au mot respectif, quelquefois déjà diminutif, ce qui mène à des redondances formelles (comme petit livret et petit oisillon de Vaugelas). À présent, les suffixes diminutifs, d’ailleurs pas très nombreux 1 : -eau, -et, -iche, -ille, -in, -oche, -on, -ot, -uche, -ule et leurs formes élargies -elet, -ereau, -eton, -ichon, -illon, en quelque sorte doublement diminutives, ne sont généralement pas productifs (p.ex. maisonnette ou garçonnet sont acceptables, mais *bouteillette ou *pigeonnot ne le sont pas). D’après une étude de Hasselrot (1957 : 279–281, 1972 : 11–13), le français contemporain s’avère le moins productif en diminutifs parmi toutes les langues romanes. Néanmoins, abondent en français les formations lexicalisées primitivement diminu- tives, soit héritées du latin soit créées dans la langue du Moyen Âge et de la Renais- sance. Les diminutifs nés jusqu’à l’époque classique sont encore assez transparents à cause de leurs formes, les suffixes restant pratiquement les mêmes dans la langue con- temporaine ; ainsi reconnaissons-nous les suffixes diminutifs dans les mots hameau, filet, fourchette et menotte. Parfois, il existe aussi un lien sémantique visible entre le mot primitif et le dérivé (fourchette < fourche ; côtelette < côte) ; dans d’autres cas, ce lien est perceptible à peine à cause du développement formel (menotte < main) ou sémantique (vignette ‘motif ornemental d’un texte imprimé’, primitivement ‘ornement en forme de branches, de feuilles de vigne’ < vigne) avancé, ou du tout (brouette < a.fr. *beroue ← bas lat. bĭrŏta ‘véhicule à deux roues’, formé de bĭs ‘deux’ et rŏta ‘roue’) 2. 1 Si l’on compare leur nombre avec les répertoires de suffixes diminutifs dont disposent les autres langues romanes. 2 Toutes les étymologies, ainsi que toutes les formes du latin, de l’ancien et du moyen français viennent citées d’après : TLF, DHLF, DMF, Godefroy 1880–1895 et Gaffiot 1934. Survie des diminutifs latins en français 13 Dans son lexique, le français dispose d’un nombre considérable de mots qui pro- viennent de diminutifs latins. Dans son travail sur la survie des diminutifs latins dans les langues romanes, Reino Hakamies (1951) en a énuméré près de 200 qu’il soutient être (ou avoir été) continués en français. Pourtant, si le linguiste finlandais est précis en ce qui concerne les côtés formel et sémantique des vocables latins, il ne l’est plus pour leurs continuateurs romans ; dans la plupart des cas, il se limite à mentionner les langues dans lesquelles un mot donné survit, sans noter la forme qu’il revêt dans les langues respectives ni le(s) sens qu’il y a développé(s). Nous nous sommes donc proposé de passer en revue le corpus de Hakamies et de le compléter, en établissant la forme et la signification des diminutifs qui ont survécu en français. Parfois il a fallu aussi que nous corrigions l’auteur finlandais, car dans son ouvrage, nous avons trouvé quelques formations inexactes voire inexistantes dans les dictionnaires du français. Nous avons vérifié quelle est la signification des diminutifs latins pris en compte et des mots non-marqués dont ils dérivent, ainsi que celle des mots français qui en pro- viennent, y compris les vocables présents en ancien ou en moyen français mais qui ont ensuite disparu. Nous avons décidé d’inclure au corpus des mots survivant dans tous les dialectes d’oïl, l’occitan et l’arpitan restant à part. Nous n’avons pas pris en consi- dération les diminutifs empruntés tardivement comme savants (tels canicule, clavicule, particule, pédoncule, etc.) ni hérités dans d’autres langues romanes puis empruntés par le français (comme abeille et rossignol, venus par l’intermédiaire de l’ancien proven- çal ; panache et pastel, empruntés à l’italien, etc.). Nous omettons aussi les mots que Hakamies qualifie comme s’étant conservés dans « le français du Sud » ; nous préfé- rons les classer comme faisant partie du domaine d’oc. Tout d’abord, nous avons dû séparer les vrais diminutifs latins des vocables que Hakamies appelle « pseudo-diminutifs », c’est-à-dire des mots adoptant apparemment une finale habituelle aux diminutifs mais qui n’ont pas la valeur de ceux-ci. En voici quelques exemples : ▪ pōpŭlus ‘peuplier’ (Hakamies 1951 : 75) → a.fr. pople, peuple > fr. peuplier ; ▪ cŭnīcŭlus ‘lapin’ (ibidem, p. 128) → fr. connil, connin ‘id.’ ; ▪ manĭpŭlus ‘manipule, poignée, gerbe’ (ibidem, p. 114) → a. et m.fr. manoil ‘anse, poignée’ ; ▪ caprĕŏlus ‘jeune chevreuil’ (ibidem, p. 62) → fr. chevreuil. Pōpŭlus et cŭnīcŭlus ne sont pas des dérivés dénominatifs ; manĭpŭlus provient de manus ‘main’, mais son suffixe indique l’instrument et non pas la diminution ; caprĕŏlus est effectivement un dérivé de capĕr ‘bouc’, mais issu d’un emploi métaphorique, le « vrai » diminutif de capĕr ayant uploads/s3/ 5-de-bowiak-rc-15.pdf
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- Publié le Jul 25, 2021
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