Université de Toulouse-Le Mirail CLLE-ERSS (CNRS) Les Adverbes d’énonciation. C

Université de Toulouse-Le Mirail CLLE-ERSS (CNRS) Les Adverbes d’énonciation. Comment les définir et les sous-classifier ? 1. Introduction La distinction Adverbes de phrase vs Adverbes adjoints ou intégrés à la proposition est devenue classique aujourd’hui. Tandis que les seconds portent sur le verbe ou tel ou tel constituant auprès duquel ils jouent le rôle de modifieur, les premiers portent sur la phrase prise globalement, à laquelle ils assignent des commentaires de diverses sortes1. Dans l’ensemble des adverbes de phrase, une fois isolés les adverbes conjonctifs –ou connecteurs, qui établissent un lien entre la phrase où ils figurent et une ou des phrases du contexte gauche, il semble légitime de distinguer deux grandes classes d’adverbes, ceux qui concernent l’acte d’énonciation et ceux qui concernent le contenu de l’énoncé. Ainsi, pour R. Quirk et S. Greenbaum (1973 : 242), les premiers, dénommés par ces auteurs « style disjuncts », sont « des adverbes qui véhiculent le commentaire du locuteur sur la forme de ce qu’il dit, définissant en quelque sorte sous quelles conditions il parle », tandis que les seconds, dénommés par ces mêmes auteurs « attitudinal disjuncts », « commentent le contenu de l’énoncé ». Cette nouvelle distinction est à son tour largement admise et la classe des adverbes d’énonciation fait l’objet dans les études spécialisées de définitions proches les unes des autres, du genre de celle de R. Quirk et S. Greenbaum. Pour C. Guimier (1996 : 154), qui parle à leur propos d’adverbes allocutifs, un tel adverbe est « apte à caractériser l’acte d’allocution ou les partenaires de cet acte, individuellement ou conjointement ». Pour O. Ducrot (1995 : 605), dans le cadre de sa théorie de l’énonciation, plus spécifiquement, un adverbe d’énonciation « qualifie l’énonciation dans laquelle l’énoncé est apparu » et l’auteur ajoute que de tels adverbes « participent à une représentation de l’événement énonciatif à qui ils attribuent tel ou tel caractère ». Cela étant, il est difficile de tracer des limites précises à la classe et de les répartir en sous-classes cohérentes, comme le montre H. N∅lke (1993 : 87 et sq.). On posera donc simplement et informellement, en nous référant aux formes les plus représentatives de la classe (franchement, honnêtement, concrètement, etc.), que les adverbes d’énonciation servent au locuteur à rendre compte de conditions particulières de la production de l’énoncé et qu’ils constituent une forme de manifestation particulière du locuteur dans l’énoncé. Nous proposerons ici un inventaire et un classement des adverbes d’énonciation en partant de l’ensemble, préalablement constitué, des adverbes de phrase, et en usant de traits de différenciation par rapport aux classes voisines, pour délimiter notre classe des adverbes d’énonciation. 1 Pour isoler l’ensemble des adverbes de phrases, on peut se fonder conjointement sur la propriété de rejet de l’extraction dans C’est … que – qui indique qu’un constituant n’est pas sous la dépendance du verbe, et sur la propriété d’admission en position détachée en tête de phrase positive ou négative – qui indique la portée sur la phrase entière (Ch. Molinier et F. Levrier 2000). Ainsi, Au fond, Franchement ou Apparemment sont des adverbes de phrase dans les phrases suivantes : (Au fond + Franchement + Apparemment), cet homme est dangereux puisque l’on a : *C’est (au fond + franchement + apparemment) que cet homme est dangereux (Au fond + Franchement + Apparemment), cet homme (n’) est (pas) dangereux. Par adverbe2, nous entendons les formes monolexicales traditionnelles (cf. franchement, honnêtement, etc. ), mais aussi des groupes prépositionnels figés à degrés divers (cf. en toute honnêteté, entre nous, etc. ) ou encore des phrases plus ou moins figées utilisées en incise (cf. autant que je sache, si j’ai bonne mémoire, etc.). Pour circonscrire la classe, on peut dans un premier temps recourir aux propriétés suivantes, non exclusives l’une de l’autre, qui mettent en évidence la portée de l’adverbe sur le dire du locuteur : - Possibilité pour l’adverbe d’entrer dans une paraphrase dans laquelle il qualifie un verbe de parole placé dans une phrase supérieure : Honnêtement, cet homme est dangereux = Je te dis honnêtement que cet homme est dangereux - Présence dans des formes syntaxiquement complexes de substantifs tels que mots, termes, propos, ou de verbes tels que parler ou dire : (En deux mots + Soit dit entre nous), cet homme est dangereux - Possibilité de paraphrases mettant en jeu des substantifs tels que mots, termes, propos, ou de verbes tels que parler ou dire : En clair, cet homme est dangereux = En termes clairs, cet homme est dangereux On isole ainsi essentiellement des adverbes concernant le locuteur en tant que personne morale ou la formulation de l’énoncé par ce même locuteur. On peut encore comprendre dans la classe des adverbes d’énonciation des formes incluant presque toujours un morphème de première personne dont l’objet est d’indiquer la part d’engagement du locuteur dans l’information qu’il transmet, celle-ci pouvant être le résultat d’un jugement subjectif (cf. à mon avis, à mon sens, à mon sentiment etc. ), être donnée sous toute réserve (cf. autant que je sache, à ma connaissance, sauf erreur de ma part, etc. ), ou être seulement relayé (cf. à ce que j’ai entendu dire, à ce qu’il paraît, etc. ). Certaines formes, de type reformulatif notamment, cf. en bref, en résumé, en conclusion, etc., répondent à la fois à la définition des adverbes conjonctifs - ils établissent un lien avec le contexte gauche, et à la définition des adverbes d’énonciation – ils concernent la formulation de l’énoncé. Dans la mesure où les adverbes conjonctifs sont isolés en priorité dans l’ensemble des adverbes de phrase, ces adverbes relèvent donc des conjonctifs. Nous étudierons successivement les trois sous-classes majeures qui se dégagent dans l’ensemble des adverbes d’énonciation : les adverbes qui concernent la disposition psychologique ou morale du locuteur vis-à-vis de l’interlocuteur (§2), les adverbes concernant la formulation de l’énoncé (§3), les adverbes concernant la source de l’information (§4). 2. Adverbes concernant la disposition psychologique ou morale du locuteur vis-à-vis de l’interlocuteur On peut regrouper ces adverbes selon diverses rubriques sémantiques : - L’adverbe permet au locuteur d’engager sa franchise, son honnêteté, sa sincérité, autant de qualités premières normalement requises de tout locuteur3. Le locuteur se rend ainsi plus 2 Cf. la notion d’adverbe généralisé de M. Gross 1990. persuasif, plus digne de confiance, plus crédible auprès de son interlocuteur, comme le montre l’ajout de l’adverbe à la phrase de base dans l’exemple suivant : (Franchement + Honnêtement + Sincèrement), cet homme est dangereux Nous avons dans cette rubrique les formes suivantes, en relation syntaxique de paraphrase pour la plupart d’entre elles : franchement, honnêtement, sincèrement, sérieusement franchement parlant, honnêtement parlant, sincèrement parlant, sérieusement parlant à franchement parler en toute (franchise + honnêteté + sincérité) pour être (franc + honnête + sincère + sérieux) sans mentir On notera les traits de figement suivants : seul franchement entre dans la structure à Adj- ment parler, les formes suivantes en effet ne sont pas utilisées : *A (honnêtement + sincèrement + etc. ) parler, je suis déçu Le N = : sérieux n’entre pas dans la structure en tout N : *En tout sérieux, il n’y a pas de temps à perdre Toutes les formes Adj-ment et en tout N sont admises en tant que modifieur de manière d’un verbe (Je lui ai parlé (franchement + en toute franchise) ), mais alors que les formes en – ment utilisées en tant que modifieur d’un verbe admettent les paraphrases de (façon + manière) Adj ainsi que avec N, ces paraphrases sont exclues pour l’adverbe d’énonciation : *(De manière franche + Avec franchise), elle est à plaindre On observera que la possibilité d’adjonction du gérondif parlant à la forme en –ment pour former une unité synonyme (franchement = franchement parlant) concerne aussi les adverbes de point de vue ( (Juridiquement = Juridiquement parlant), cet homme est responsable), mais c’est là un trait isolé de la classe des adverbes de point de vue, clairement identifiable par ailleurs et nettement distincte de la classe des adverbes d’énonciation. L’ensemble de ces formes –à l’exception de celles qui présentent la structure Pour être Adj, sont admises dans une phrase interrogative. Le locuteur demande alors à l’interlocuteur d’engager sa franchise, son honnêteté, etc., dans la réponse à sa question. Notons pour terminer que la présence de telles formes dans l’énoncé ne garantit pas l’honnêteté, la franchise, etc. du locuteur. Un locuteur peu très bien dire : Sans mentir, vous êtes le phénix des hôtes de ces bois ou Sans mentir, j’ai rarement entendu une interprétation de cette qualité, sans être nécessairement sincère. - L’adverbe indique que le locuteur s’exprime au nom de la vérité ou de la réalité. C’est le cas pour les trois adverbes suivants : réellement, vraiment, véritablement 3 Cela apparaît clairement par le fait qu’un adverbe de manière du type de fourbement (Il a parlé fourbement) est inconcevable en tant qu’adverbe d’énonciation. dans des phrases du type suivant : (Réellement + Vraiment + Véritablement), je ne m’attendais pas à cela Il convient de distinguer uploads/s3/ adverbes-d-x27-enonciation-lf07-2.pdf

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