M. Alain Bonnet La réforme de l'Ecole des beaux-arts de 1863 : Peinture et scul
M. Alain Bonnet La réforme de l'Ecole des beaux-arts de 1863 : Peinture et sculpture In: Romantisme, 1996, n°93. pp. 27-38. Résumé Le décret du 13 novembre 1863 réformant l'Ecole des Beaux-Arts de Paris a suscité sous le Second Empire un important débat sur la fonction de l'enseignement artistique. Cet article étudie les conditions de réalisation de la réforme, les modifications apportées au système pédagogique et à l'organisation administrative de l'Ecole. Il analyse également la notion d'originalité, introduite comme critère scolaire par le décret. Abstract The 13th November 1863 decree that reformed Paris' Ecole des Beaux-Arts aroused a major debate over the role of artistic education. This article deals with the making of the reform and the changes in the educational system and in the administrative organisation of the « Ecole ». The notion of originality, introduced as an academie criterion by the decree, is also analysed. Citer ce document / Cite this document : Bonnet Alain. La réforme de l'Ecole des beaux-arts de 1863 : Peinture et sculpture. In: Romantisme, 1996, n°93. pp. 27-38. doi : 10.3406/roman.1996.3124 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1996_num_26_93_3124 Alain BONNET La réforme de l'Ecole des beaux-arts de 1863 Peinture et sculpture « [La réforme] éclata comme une bombe, et Dieu sait avec quel tapage ! Jamais le monde des arts n'avait été soulevé si violemment » '. Le 15 novembre 1863 parut au Moniteur universel un décret, daté du 13 novembre et signé de l'empereur Napoléon III, réformant l'organisation de l'Ecole impériale et spéciale des beaux-arts. Le préambule au décret de réforme, signé par le maréchal Vaillant, ministre de la Maison de l'Empereur et des Beaux- Arts, précisait l'esprit de l'acte de réforme 2 : remettre l'enseignement artistique en accord avec les aspirations de la vie contemporaine en établissant son organisation administrative sur de nou velles bases : l'organisation de l'Ecole impériale des beaux-arts, qui date de 1819, [...] a cessé d'être en harmonie avec la marche des idées et les besoins de l'époque actuelle. J'ai l'honneur de soumettre un projet de décret qui, en séparant les attributions administratives de celles de l'enseignement, reconstitue cet établissement sur des bases nouvelles et nor males, et dont les dispositions principales ont pour but de faire disparaître des privilèges et des restrictions incompatibles aujourd'hui avec les principes libéraux qui dirigent le gouvernement de V. M. \ Le rapport introductif, signé par le comte de Nieuwerkerke, surintendant général des Beaux-Arts, attaquait avec une vivacité inhabituelle pour un document officiel le mode d'enseignement en usage à l'Ecole, et, à travers lui, l'Académie des beaux-arts qui l'avait défini. Les promoteurs de la réforme, en avertissant l'Empereur par des notes secrètes en marge du rapport sur « l'état de chose qui a produit l'horrible décadence », affirmaient vouloir détruire « la république aristocratique de l'Ecole » 4 et enlever des mains des membres de l'Académie le contrôle de la formation artistique. 1. Philippe de Chennevières-Pointel, « Souvenirs d'un directeur des Beaux-Arts », L'Artiste, 1 883- 1889, réédition Arthéna, 1979. Sur cette réforme dont on ne saurait sous-estimer l'importance, voir ma thèse, La Réforme de l'Ecole des beaux-arts de 1863. Problèmes de l'enseignement artistique au XIXe siècle (thèse Université de Nanterre, 1993, sous la direction de P. Vaisse) et « L'Institut et l'enseigne ment de la peinture » dans Pierre Vaisse, La Troisième République et les peintres, Flammarion, 1995, p. 66-93. 2. Ce préambule fut rédigé par Prosper Mérimée, qui se chargeait habituellement des discours du ministre; voir la lettre 3433 du 29 juin 1863 dans la Correspondance générale établie et annotée pr M. Parturier, Le Divan, 1941-1958. 3. Le décret du 13 novembre, le préambule et le rapport introductif ont été republiés dans Débats et polémiques : à propos de l'enseignement des arts du dessin. Louis Vitet, Eugène Viollet-le-Duc, préface de Bruno Foucart, Paris, EBA, 1984. 4. Lettre de Prosper Mérimée citée dans une correspondance d'Henri Courmont, chef de bureau, au comte de Nieuwerkerke, datée du 21 septembre 1863, archives du Louvre, Z 65, carton Ecole des beaux- arts. Cette lettre n'est pas reproduite dans la Correspondance générale. ROMANTISME n° 93 (1996-3) 28 Alain Bonnet Ce décret provoqua un débat passionné qui secoua pendant de longs mois le monde des arts et suscita un nombre considérable d'articles de presse qui étudiaient la fonction et les modalités de l'enseignement des arts, de prises de position sur la légal ité ou le bien-fondé du décret ou, portant le débat sur un plan plus théorique, sur la notion d'originalité que les réformateurs entendaient imposer comme valeur suprême de l'enseignement 5. Pourquoi le gouvernement impérial entreprit-il en 1863 d'opérer un coup d'Etat académique en réformant brutalement la vieille institution scolaire? Quel intérêt espér ait-il retirer de cette réforme ? On a souvent fait du décret de 1 863 un exemple de la modernisation des institutions artistiques sous le Second Empire, en le rapprochant du Salon des refusés 6. Ce décret n'engageait pas seulement une décision administrative portant sur des questions artistiques et l'on peut se demander si le but poursuivi par le gouvernement de l'Empereur était bien l'introduction des principes modernes au sein de l'Ecole. La réforme fut en fait le fruit d'une conjoncture politique bien particulière. Napoléon III, en signant le décret de réforme quelques mois après avoir autorisé l'ouverture du Salon des refusés, obtenait à moindre coût un triple succès. Il portait un coup sévère au crédit et à l'autorité de l'Académie des beaux-arts et, à travers elle, à l'Institut tout entier, qui avait la prétention de faire contrepoids à l'autorité gouver nementale; il faisait la preuve de son libéralisme esthétique auprès des artistes et du public; il récupérait la prérogative de l'Etat sur l'enseignement artistique qui était entre les mains d'une compagnie indépendante juridiquement irresponsable. La réfo rme fut également l'œuvre de quelques personnalités influentes ayant en commun le désir de saper la puissance académique. Cette volonté commune ne découlait cepen dant pas d'une conviction esthétique identique : unis pour l'occasion, et sous couvert de redonner à l'Ecole un enseignement plus en accord avec les aspirations et les contraintes de la vie moderne, Prosper Mérimée, Eugène Viollet-le-Duc et A.E. de Nieuwerkerke poursuivaient des buts dissemblables qui ne se bornaient pas à la seule question scolaire. Le contexte économique et le développement des échanges com merciaux jouèrent également un rôle non négligeable dans la promulgation du décret ; ils expliquent en grande partie l'introduction de la notion d'originalité dans le syst ème scolaire. L'Ecole était, au XIXe siècle, l'héritière de la section enseignante de l'ancienne Académie royale de peinture et de sculpture dissoute en août 1793 7. Les modalités fon damentales de l'instruction étaient restées, depuis la fondation de l'Académie en 1648 et sa réorganisation en 1663 jusqu'au décret du 13 novembre 1863, remarquablement stables. Elles se résumaient à une formation pratique élémentaire contrôlée par une série méthodique de concours, à l'exclusion de tout apprentissage des techniques artistiques dispensé dans les ateliers privés des artistes en renom. Les élèves de l'Ecole n'appre naient en effet que le dessin à l'Ecole, sur le modèle vivant ou sur la bosse, et devaient 5. Voir à la Bibliothèque de l'Institut le recueil factice Ecole impériale des beaux-arts - Mélanges, 1863-1864, réorganisation de l'Ecole des beaux-arts; E. Chesneau, Le Décret du 13 novembre suivi du rapport de Nieuwerkerke, du décret du 13 novembre, de la protestation de l'Académie des beaux-arts et de la réponse du maréchal Vaillant, brochure, 1864. 6. Voir Jeanne Laurent, A propos de l'Ecole des beaux-arts, Paris, ENSBA, 1987; Gérard Monnier, Des beaux-arts aux arts plastiques, Besançon, La Manufacture, 1991, p. 56 et suiv. 7. Sur les rapports entre l'Ecole et l'Académie des beaux-arts au XIXe siècle, voir Pierre Vaisse. ouvr. cité n. 1 . La réforme de l'Ecole des beaux-arts de 1863 29 aller chercher en dehors de l'établissement les compléments techniques indispensables à la pratique de la peinture et de la sculpture. Ils avaient également des cours dans trois matières jugées indispensables pour la pratique des beaux-arts, l'anatomie, la perspecti ve et l'histoire (c'est-à-dire un cours sur le costume et les mœurs antiques). La principal e caractéristique pédagogique de l'Ecole était en fait le système des concours. Alors que les élèves n'avaient à fréquenter l'établissement que deux heures par jour en moyenne pour recevoir un entraînement graphique sur académie, il existait quatre types de concours, de fréquence et d'importance variées, auxquels il convient d'ajouter les épreuves du prix de Rome (fondation de l'Académie des beaux-arts, ils n'entraient pas dans le cours normal des études). L'importance de ces épreuves ne saurait être mésesti mée ; les cours spéciaux et les études quotidiennes ne comptaient que dans la mesure où ils débouchaient sur un concours. L'établissement pouvait donc être considéré comme une arène plutôt qu' une école. Cette particularité, en déchaînant les critiques dans la deuxième moitié du XIXe siècle, fut l'une des causes proclamées de la réforme. Les adversaires du syst ème instructif académique identifiaient le programme de l'Ecole des beaux-arts à l'él evage d'animaux savants. Les concours, affirmaient-ils, avaient pour seule justification de contraindre les élèves à uploads/s3/ aesthetics-beaux-arts-reforme-1863.pdf
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- Publié le Nov 18, 2021
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