Madame Tia DeNora Beethoven et l'invention du génie In: Actes de la recherche e

Madame Tia DeNora Beethoven et l'invention du génie In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 110, décembre 1995. Musique et musiciens. pp. 36-45. Citer ce document / Cite this document : DeNora Tia. Beethoven et l'invention du génie. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 110, décembre 1995. Musique et musiciens. pp. 36-45. doi : 10.3406/arss.1995.3160 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1995_num_110_1_3160 Abstract Beethoven and the Invention of Genius Beethoven is typically portrayed as the quintessential genius of western culture and as a revolutionary of music. These portrayals underplay the ways in which his success and reputation as a genius among his contemporaries can be understood as a social, cultural und technological construction. This paper explores the social bases of Beethoven's success during his first decade and a half in Vienna. Beethoven's success was facilitated by changes in the social organization and cultural climate of musical patronage, by the supportive and practical activities of his close circle of aristocratie patrons, and by Beethoven's own efforts to renegotiate the musician-patron relationship at the turn of the nineteenth century. The expanding climate of receptivity to Beethoven's work became in turn a resource for the further development of Beethoven's own artistic projects and for the perceived idiosyncrasies of Beethoven's musical style. Résumé Beethoven et invention du génie Beethoven est souvent décrit comme le génie de la culture européenne et comme un révolutionnaire de la musique Ce portrait sous-estime la manière dont son succès et sa réputation de génie auprès de ses contemporains peuvent être compris comme une construction sociale, culturelle et technique. Cet article explore les fondements sociaux du succès de Beethoven pendant ses premières quinze années à Vienne. Le succès de Beethoven fut facilité par les changements dans l'organisation sociale et le climat culturel du parrainage musical, par le soutien du cercle proche de ses mécènes aristocrates et par les propres efforts de Beethoven pour renégocier la relation musicien/mécène au tournant du XIXe siècle. Le climat de réceptivité à l'oeuvre de Beethoven devint à son tour une ressource pour le développement des projets artistiques de Beethoven et pour la réception de son style musical. Zusammenfassung Beethoven und die Erfindung des Genies In unzähligen Schriften ist Beethoven als das Genie der europäischen Kultur und als Revolutionär der Musik dargestellt worden. Diese Art von Portrait läßt außer Betracht, daß sein Erfolg und sein Ruf des Genies unter seinen Zeitgenossen darüber hinaus als soziale, kulturelle und technische Konstruktion begriffen werden können. Der Artikel untersucht den sozialen Hintergrund der Beethovenschen Laufbahn während seiner ersten fiinfzehn Jahre in Wien. Insofern ist Beethovens Erfolg ebensowohl durch Veränderungen der sozialen Organisation und des kulturellen Klimas des musikalischen Gönnertums, durch die Unterstützung im Umkreis seiner aristokratischen Mäzene und durch eigene Bemühungen um eine Neubestimmung der Beziehung Musiker/ Mäzene um die Jahrhundertwende möglich geworden. Dieses Klima erhöhter Aufnahmebereitschaft gegenüber dem Beethovenschen Werk wird umgekehrt fur Beethoven zu einer Quelle der Entwicklung neuartiger künstlerischer Projekte und geeigneten Boden fur die Annahme seines musikalischen Stils. Tia DeNora Beethoven et l'invention du génie E premier portrait connu de Beethoven représente un jeune homme bien coiffé, d'apparence modeste et habillé avec goût. Publié comme gravure dans Y Allgemeine Musikalische Zeitung en 1801, le portrait ne laisse en rien présager du Beethoven qui surgit peu de temps après comme le génie par essence de la culture occidentale. C'est sous cet aspect altier, maussade et éche- velé, celui d'un lion de la vie musicale à cheveux longs, que Beethoven s'est inscrit dans l'imagination populaire comme le génie musical au début du xixe siècle. Aujourd'hui, la mystique beethovénienne s'est répandue un peu partout - posters sur les murs des chambres d'adolescents, adulations extatiques des aficionados et films récents d'Hollywood. Elle a même contaminé la technologie minière, puisque la boîte qui constitue le dispositif d'allumage de la charge dynamique est connue, en Grande-Bretagne tout au moins, comme un « Beethoven » 1. Le statut emblématique de Beethoven s'est forgé de son vivant. La musicologie a contribué à articuler cette idéologie charismatique à partir du début du xixe siècle ; elle continue à la reproduire aujourd'hui à travers toutes les représentations de Beethoven comme un «révolutionnaire » de la musique. « Grâce à son génie et à sa personnalité sans compromis», nous indique un manuel, « Beethoven s'est fait pur compositeur et il a obligé l'aristocratie viennoise à le soutenir, comme il l'entendait » (Kerman et Kerman, 1976, p. 190). L'idéologie charismatique n'a été nulle part ailleurs aussi clairement illustrée que dans l'histoire de la carrière talentueuse et triomphante de Beethoven. À l'encontre de cette déformation hagiographique, je souhaiterais ici étudier l'émergence du « génie » de Beethoven dans le contexte des changements culturels et des transformations de la structure sociale dans la vie musicale viennoise de la fin du xvnie siècle. À mon avis, le succès de Beethoven et sa réputation de «grand» compositeur ne peuvent être compris que comme le résultat de l'interaction entre ses efforts artistiques et des intérêts de certains réseaux sociaux, avec les transformations des conventions concernant la manière d'écouter la musique et des critères esthétiques, les innovations dans le discours et la culture matérielle de la vie musicale à la fin du xvnie siècle et les tâches parfois très pratiques, souvent mondaines, accomplies par Beethoven et ses patrons aristocratiques. Comme je le montrerai plus loin, la relation qu'entretenait Beethoven avec ces derniers était symbiotique. Non seulement sa réussite coïncidait avec les attentes culturelles et sociales de ses commanditaires, mais, au travers de leurs interactions, elle modifiait leurs besoins et, ce faisant, contribuait à redéfinir le canon des compositeurs et des œuvres qui avaient commencé à émerger dans la dernière décennie du xviiie siècle. Les patrons de Beethoven Les imageries populaires et contradictoires concernant le statut de Beethoven à Vienne de son vivant abondent et continuent à s'accumuler. D'un côté, Beethoven est parfois dépeint comme ayant été ignoré et peu apprécié. De l'autre, il apparaît comme le compositeur «du peuple » . Toutefois, lorsque le baron Braun, directeur du Théâtre de Vienne (où la plupart des grandes œuvres de 1 - Mes remerciements au Dr Roger Burt, historien des Mines, pour cette information. Beethoven et l'invention du génie 37 Beethoven ont été jouées pour la première fois), supplia Beethoven en 1806 d'essayer de remplir toute la salle (et par conséquent d'augmenter la vente des tickets pour Fidelio), Beethoven répondit : «Je n'écris pas pour les galeries! » (Thayer-Forbes, I, p. 397-398). Le désintérêt apparent de Beethoven pour son public ne nous surprendra pas car l'accueil populaire fait à Beethoven ne fut jamais qu'un soutien passager pendant les années autour de 1814 et pendant le congrès de Vienne, lorsqu'il produisit des œuvres que les musicologues aujourd'hui qualifient d'oeuvres alimentaires (par exemple, La Victoire de Wellington). Ni la popularité de Beethoven pendant sa maturité ni sa reconnaissance à ses débuts comme le plus grand des maîtres en musique n'auraient été obtenues sans le soutien initial qu'il a reçu des aristocrates dans les années 1790 et 1800. Il est donc nécessaire d'étudier plus précisément «la première décennie des triomphes sans précédent » de Beethoven, selon l'expression de Maynard Solomon (1977a, p. 57). Il nous faut comprendre notamment pourquoi les élites viennoises ont été aussi réceptives à Beethoven et pourquoi elles ont inventé à son propos l'idée de génie. En outre, il faut examiner comment ces commanditaires, le prince Karl Lichnowsky en particulier, aidèrent Beethoven à progresser comme pianiste, compositeur de pièces pour piano, à partir de 1800 environ, puis comme compositeur prédominant d'oeuvres sympho- niques à grande échelle. Comme préambule à ces questions, il faut examiner les changements de la structure sociale du monde des mécènes musicaux viennois. 1790, la situation empira pour la majorité des musiciens (Moore, p. 419-429), parce que le nerf de la vie musicale viennoise continuait à reposer sur des événements musicaux privés (Morrow, p. 1-33)- Or, seul un petit nombre d'artistes « stars » pouvaient bénéficier de l'intérêt croissant des aristocrates, la majorité des musiciens étaient mal payés (Moore, p. 420) et émigraient souvent vers Londres, notamment, où la vie musicale jouissait d'un climat plus commercial. En même temps, le mécénat s'est trouvé en partie déréglé ; en principe, la base sociale du mécénat en musique s'était élargie pour inclure des membres de la « deuxième société » viennoise - les banquiers récemment anoblis et les hommes d'affaires qui pouvaient sponsoriser des salons rivaux, et les concerts quasi publics « de bienfaisance » que les musiciens donnaient parfois dans les théâtres viennois offraient des possibilités limitées aux membres des professions libérales et aux bourgeois aisés qui pouvaient y assister pour le prix d'une place ou, plus souvent, grâce à un abonnement pour une série. Pendant les années 1780, le caractère commercial de la vie musicale se trouva renforcé ; bien qu'il n'y eût pas encore une base stable pour le commerce de la musique, la popularisation du mécénat musical semble avoir incité certains des aristocrates actifs du monde musical à réaffirmer leur identité de leaders de la vie musicale en adoptant et en élaborant uploads/s3/ beethoven-et-l-x27-invention-du-genie.pdf

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