LA MUSIQUE ANDALOUSE MAROCAINE En 711, Tariq Ibnou Zyad investit la péninsule i

LA MUSIQUE ANDALOUSE MAROCAINE En 711, Tariq Ibnou Zyad investit la péninsule ibérique et inaugura pour la gloire de l'islam une ère fructueuse qui provoqua, surtout après l'avènement d'Abderrahman I (en 756), l'éclosion et le développement d'une civilisation spécifique pendant plus de sept siècles de présence arabe en Espagne; une longue période qui a permis non seulement de faire revivre la civilisation arabe d'Orient, mais aussi d'intégrer une part de la culture autochtone. Arabe, berbères, Juifs andalous et espagnols, aidés par la politique tolérante des califes omayyades, contribuèrent à une civilisation aux multiples composantes (architecture, poésie, musique, aspect vestimentaire, art culinaire, zajal, muwashshah, sciences de la nature, théologie, etc.). Les contacts entre les deux rives de «l'Occident», pendant longtemps épisodiques, s'intensifièrent aux derniers siècles arabes en Andalousie et les vagues d'émigration vont installer au Maroc des familles fières de leur héritage andalou lequel va pourtant connaître des adjonctions et des adaptations locales. Il en est résulté sur le plan musical ce qu'on a coutume de nommer «musique andalouse». Pour nous ce répertoire se traduit par trois formes: la musique andalouse marocaine (tarab al-âla), qui est la forme omniprésente et principale, tarab al-gharnâti, forme cantonnée à Oujda et à Rabat, les «piûtîm» et les «trîq» pratiquées par les Juifs marocains. La musique andalouse marocaine: Al-âla Le Maroc possède dans la musique dite «andalouse» l'un de ses titres de noblesse. C'est un répertoire lyrique et instrumental transmis depuis des siècles par une importante tradition musicale confortant l'oralité par la conjonction de la théorie modale des tubû’ et d'un système particulier de formules rythmiques. Le problème de la dénomination Ces musique pose d'emblée le problème de sa dénomination: aux termes «moussiqa andaloussiya» on oppose «tarab al-âla» ou tout simplement «al-âla». Le professeur Mohamed El Fassi1, dans un célèbre article de 1962, fait remarquer que le terme « musique andalouse» («moussiqa andaloussiya») est inadéquat car il nie aux Marocains leur contribution à l'éclosion et au développement de la nûba alors que le répertoire actuel leur doit beaucoup2. C'est pourquoi il faudrait consacrer l'ancienne appellation «al- âla» que le peuple utilisait en opposition au «Samâ'»: le premier terme désigne un chant accompagné par les instruments, le second concerne un genre ne regroupant que les voix humaines. La dénomination proposée pose quelques problèmes: - le terme «al-âla» est utilisé seulement en langage familier alors que les écrits savants et les manuscrits parlent de musique tout court, de tubû' et accessoirement de nûba; - le terme «al-âla» n'est pertinent ni pour désigner le style de la musique concernée, ni pour la démarquer des autres styles («al-âla» voulant dire littéralement l'instrument, la confusion est ainsi entretenue). Dans le quotidien des villes, il existe beaucoup de manifestations de l'art et du mode de vie andalous. Des familles à Tétouan, Fès, Rabat et ailleurs se réclament sans problème de cette origine andalouse; il y a donc bel et bien un style musical andalou, même s'il faut comprendre la référence à l'Andalousie dans le cadre d'une acculturation et d'une hybridation de styles. Nous utiliserons tout au long de ce chapitre indifféremment les termes «al-âla», la musique andalouse marocaine ou «andaloussi» pour souligner en même temps notre attachement à l'appellation populaire et au caractère historique de la genèse et du développement du style «andaloussi». C'est ce qui nous rapproche des autres composantes de la civilisation andalouse (poésie, architecture, art vestimentaire…) avec lesquelles la musique andalouse marocaine entretient beaucoup de rapports. Le concept nûba 1Mohamed El Fassi, grand lettré marocain, spécialiste de la musique andalouse et du malhûn. 2Les Marocains ont contribué largement à la formation du répertoire d'al-âla. Nous pouvons déceler les éléments de cette contribution au moins à travers trois niveau; les rythmes (le darj en est l'exemple), les modes (hijaz, raçd,…) la poésie (barawil, tawshihat…). Déjà présent dans la littérature Abbasside (VIIIème siècle), le terme «nûba» va prendre depuis cette époque plusieurs sens: 1. La «nûba» est synonyme de «tour», on dira: «c'est la nûba d'un tel» pour désigner son tour, son ordre de passage devant le roi, ou le prince; 2. Peu après, certains compositeurs devaient être connus et réputés par leurs propres chansons, et la nûba devint équivalente à «çawt» (c'est-à- dire son, mélodie), on dira : «c'est la nûba d'un tel» pour désigner le mode musical qu'il maîtrisait le mieux; 3. La nûba de Bagdad se codifia et se structura en parties, et va s'articuler sur quatre phases d'allures progressivement rapides : . al-qawl (le dire), récitation modulée; . al ghazal (chant d'amour), rythme large; . at-tarana, rythme modéré; . al furûdat, rythme rapide. La nûba de Bagdad a connu son extension à une cinquième partie, al- mustazad, (le complément) qui est l'œuvre de Abdelkader Ibn Ghaybi (IXème siècle); 4. La nûba de «Ziryab»3 était bâtie sur trois mouvements : . an-nachid, récitatif ad libitum; . al-baçît, rythme large; . al-muharrakât wal ahzâj, rythme vif, dansant; 5. Actuellement, la nûba marocaine est un ensemble imposant de pièces vocales et instrumentales4 gravitant autour d'un mode principal et passant par cinq phases rythmiques. Elle a accumulé au fil des années tout un répertoire poétique, et adopté un style, une façon particulière de chanter et de jouer la musique. Les détails de l'interprétation seront examinées à la fin de ce chapitre. Les écrit anciens confondent généralement la musique andalouse avec la musique marocaine tout court, ce qui ne permet pas, dans l'imbroglio des généralisations et des récit légendaires, de préciser les principales étapes et les transformations décisives dans le développement de la nûba, et d'isoler le style andalou pour établir ses fondements. 3Ziryab (Ali ibnu Nafi'), élève d'Ishaq al-Mawçili à Baghdad, dû fuir la jalousie de son maître et fonder sa propre école en Andalousie. 4Le répertoire musical et chantant des onze nûbât peut couvrir plus de 80 heures de musique. Beaucoup de poèmes, muwashshahat, azjal, barawîl peuvent être sans grande peine attribués à des auteurs connus, mais l'ensemble des pièces instrumentales (tawashi et mshaliat) sont à de très rares exceptions d'auteurs anonymes. Entre le VIIIème siècle de Ziryab et la fin du XVIIIème siècle du temps d'Al Hayek, il y a deux conceptions différentes de la nûba et plus de dix siècles de pratique musicale qui ont suffit pour changer le répertoire et intégrer d'autres tubû' et d'autres rythmes. Avec Ziryab (784-857), la jonction de l'Orient et de l'Occident islamiques est faite. L'Andalousie, malgré les différentes ethnies qui la peuplaient, fut soumise pourtant à la 'açabiya (esprit de corps) arabe de l'aristocratie médinoise et ce, au moins jusqu'au règne d'Al Hakam II (971-976), après lequel les sources d'inspiration seront puisées sur le sol andalou et dans le Maghreb. Cette nouvelle période connaîtra son apogée avec le grand philosophe et esprit universel «Ibn Baja » auquel la tradition rattache la plupart des mélodies andalouses. Les particularités autochtones ressurgiront pour marquer de leur cachet les différentes modalités d'expression littéraire et artistique. Ce n'est pas par hasard qu'apparut le « muwashshah » (poème s'écartant de la métrique traditionnelle) et qu'il gagna en liberté tout en obéissant aux nécessités de la rythmique musicale avec laquelle il se trouvait en liaison étroite. C 'est ce caractère savant et élaboré de la versification et de la rythmique qui a peut-être donné à ce chant l'appellation de «çan’a» (littéralement: métier ou œuvre d'art élaborée ). Depuis le VIIIème siècle, il y a eu un soucis de compilation des «çan'ât» dans un même recueil: à ce sujet, nous citerons le traité anonyme «Arrawdatu lghannâe fi ussûli lghinâe »الروضة الغ ّناء في أصول الغناء , et le trqit2 de Mohamed Ibnou Lhoussain Al Hayek terminé en 1799 et l'opuscule du vizir «Al Jam'î» 5 établi en 1886 par une commission de spécialistes et qui est depuis lors le manuel de référence de «tarab al âla» aprés le livre d'Al Hayek. Nous pensons que la nûba avant le manuscrit d'Al Hayek n'avait jamais l'ampleur qu'on lui connaît maintenant. Il y avait un cumul de compositions à des dates et à des périodes différentes, transmises plus ou moins fidèlement, et puis un essai de regroupement à l'intérieur d'un corps organisé appelé «mizân». Pour chaque «mizân» (rythme) il n'y avait que quelques çan'ât de sorte que la nûba toute entière pouvait passer dans le temps qu'occupe aujourd'hui le seul mizân. Pour cela il fallait que 5Mohamed Ibn Larbi al Jamî, grand vizir de Moulay Hassan I, entreprit une seconde compilation des nûbât à partir de l'opuscule d'Al hayek. cette nûba soit monomodale ou que l'on procède de la même manière qu'aujourd'hui: jouer seulement le mizân. Ainsi la longue durée de la nûba fait que les orchestres ne présentent au public que l'une de ses phases rythmiques. Depuis Al Hayek, la musique andalouse marocaine est contenue dans onze nûbât. Dans chaque nûba, il y a cinq mayazîn, à l'exception des nûbât «hijaz lamcharqi» et «raçd» amputées de leur deuxième mizân «qaîm wa niçf» et la nûba «'ushshâq» ne possédant pas de «darj». Le mizân débute par des préludes qui installent le mode et préparent l'auditeur. cette partie comprend la «mshâlya», «al-inshâd» et uploads/s3/ al-ala.pdf

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