ANTONIN ARTAUD : TENTATIVES ET APORIES D'UNE RÉFLEXION SUR L'ART Carine Alberti

ANTONIN ARTAUD : TENTATIVES ET APORIES D'UNE RÉFLEXION SUR L'ART Carine Alberti Vrin | Le philosophoire 1999/1 - n° 7 pages 242 à 251 ISSN 1283-7091 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-1999-1-page-242.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Alberti Carine, « Antonin Artaud : Tentatives et apories d'une réflexion sur l'art », Le philosophoire, 1999/1 n° 7, p. 242-251. DOI : 10.3917/phoir.007.0242 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Vrin. © Vrin. Tous droits réservés pour tous pays. 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Carine Alberti e qui reste bien souvent dans les esprits à propos d’Antonin Artaud, c’est une personnalité attachante, quoique énigmatique et violente, et une réflexion essentielle sur le théâtre. C’est effectivement l’art auquel il s’est le plus attaché, tout en s’intéressant à la peinture, à la musique, au cinéma. Critiques de “salons”, d’expositions de peinture, textes théoriques sur le cinéma ou le théâtre, dessins, écriture de scénarii et de pièces de théâtre : théorie et pratique se mêlent, on le voit, dans son discours. D’une certaine manière, il s’agit donc chaque fois d’une mise en question de l’art dans ses diverses expressions, même si aucune théorie générale n’est définie. Car, lorsqu’Antonin Artaud emploie le mot "art" dans ses textes, c’est parfois dans un sens bien particulier. “Faire de l’art, faire de l’esthétisme, c’est viser à l’agrément, à l’effet furtif, extérieur, passager...”1 ou encore “Faire de l’art, c’est priver un geste de son retentissement dans l’organisme”2 ⎯ nous reviendrons ultérieurement sur cette idée qui est une idée-clé dans la réflexion d’Artaud. Pour lui, “un théâtre d’art ne peut être qu’un théâtre à côté”3. Au fond, nous le voyons clairement dans ces quelques phrases, le terme d’art est utilisé dans le sens d’esthétisme pur, “valeur d’agrément et de repos, utilisation purement formelle des formes, harmonie de certains rapports extérieurs”4. Dans ces allégations qui semblent rejeter l’art, c’est en réalité un refus de l’art pour l’art, de l’art trouvant sa fin dans l’œuvre d’art qu’exprime Artaud. Mais une tentative de définition par la négative ⎯ même si c’est là, selon Artaud, une des caractéristiques du mouvement surréaliste ⎯ ne suffit pas. Parce qu’au fond, lorsqu’Antonin Artaud tente de réinventer un théâtre “idéal” avec Les Cenci, estimant que la forme occidentale du théâtre est inefficace, lorsqu’il écrit le scénario de La Coquille et le Clergyman, lorsqu’il fait de Van Gogh “le seul 1 Lettre à M. Dalio, le 27 juin 1932. 2 Le théâtre et son double, "En finir avec les chefs-d’œuvre". 3 Cf. note 1. 4 Le théâtre et son double, "Théâtre oriental et théâtre occidental". C Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 17/10/2013 11h55. © Vrin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 17/10/2013 11h55. © Vrin Antonin Artaud 243 [peintre] qui n’ait pas voulu dépasser la peinture comme moyen strict de son œuvre, et cadre strict de ses moyens et le seul qui ait absolument dépassé la peinture, l’acte inerte de représenter la nature”5, c’est l’art dont il tente de toucher et de définir l’essence à travers les exemples du théâtre, du cinéma et de la peinture. Dans A propos de la littérature et des arts plastiques, "L’expression aux indépendants", Artaud fait de l’expression “la vérité profonde de l’art”. Mais quelle expression ? La manière d’exprimer, l’ensemble des signes qui permettent de traduire un sentiment, l’expressivité de l’œuvre ? En réalité, il semble que ce terme puisse être le pivot de la réflexion sur la conception de l’art chez Antonin Artaud. Sa réflexion sur le théâtre nous permettra de voir, à travers une parole parfois morcelée et dont nous ne cacherons ni les obscurités — pas toujours résolues — ni les contradictions, à quel point la question du langage est primordiale dans sa pensée. L’art... un langage ? mais lequel ? et pour exprimer quoi ? Du cinéma, Antonin Artaud dit qu’il est “un langage au même titre que la musique, la peinture ou la poésie”6. Il n’y a donc pas d’équivoque possible : l’art est, pour Artaud, un langage. Y aurait-il donc un langage propre à l’art ? C’est justement la question à laquelle il tente de répondre dans ses écrits sur le théâtre. Pour Artaud, ce qui fait l’échec artistique du théâtre occidental, c’est que ce théâtre est attaché au texte et à lui uniquement. Par cette aliénation à ce qui est écrit, le théâtre occidental a perdu toute efficacité. Il a oublié ce qu’était réellement le théâtre, du moins selon Artaud, et ainsi tout ce qui appartient au domaine de la mise en scène n’est devenu qu’un “détournement purement artistique du texte”. Le texte est essentiel, le reste lui est soumis... Au bout du compte, on a l’impression avec Artaud que ce théâtre n’est qu’une littérature oralisée. Or le théâtre, ce n’est pas qu’un texte, sinon quel intérêt y aurait-il à le faire voir ? Si ce théâtre-là ne correspond pas, c’est tout simplement qu’il s’est trompé de voie. En se fixant au seul langage du texte, il s’est perdu. Mais quel langage serait alors celui du théâtre, tel que le souhaite Artaud ? Il faut “changer le point de départ de la création artistique, bouleverser les lois habituelles du théâtre, substituer au langage articulé un langage différent de nature”7 (nous soulignons). Il s’agit un instant d’oublier là notre idée du théâtre pour suivre la pensée d’Artaud. On remarque très vite dans sa parole qu’un point 5 Van Gogh le suicidé de la société. 6 A propos du cinéma, "Sorcellerie et cinéma". 7 "Deuxième lettre sur le langage" in Le théâtre et son double. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 17/10/2013 11h55. © Vrin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 17/10/2013 11h55. © Vrin L’Art 244 est essentiel : l’espace. Le théâtre a un espace pour exister, un espace concret ; et le langage que prône Artaud doit en être le reflet. Le théâtre, l’art du théâtre, s’il refuse enfin de se laisser annihiler par le texte, se présente alors comme un art d’expression par les formes, ce qui peut être finalement une définition qui conviendrait également à la peinture, la sculpture... Le langage du théâtre est donc celui de la scène. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle semble aboutir Artaud : si un langage propre existe, il “se confond avec la mise en scène considérée (1) d’une part, comme la matérialisation visuelle et plastique de la parole ; (2) comme le langage de tout ce qui peut se dire et se signifier sur une scène indépendamment de la parole”8 (nous soulignons). Ici encore on voit que même lorsqu’il s’agit de parole, ce n’est pas le texte qui est mis en valeur, c’est-à-dire le mot mais son oralisation. “Visuelle”, “plastique”, on en revient toujours à cette idée de concret. Car il ne s’agit pas non plus pour Artaud de faire disparaître le texte mais de ne pas se laisser obséder par lui au point d’en oublier que le domaine du théâtre est “plastique et physique”9. La parole doit se soumettre à cette conception, avec l’aide des autres éléments qui participent au théâtre : danse, musique, pantomime... Le théâtre ne doit pas se fixer dans un langage — c’est justement ce qu’a fait le théâtre occidental selon lui —, mais il se sert de tous les langages. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de faire un mixage désordonné de ce qu’on nomme maintenant les arts du spectacle; l’harmonie, la correspondance qui doit exister entre eux impose que rien ne soit laissé vraiment au hasard. Ces spectacles seront au contraire “rigoureusement composés et fixés”10 pour éviter d’aboutir à cet “attirail haïssable et encombrant”11 qu’est selon lui devenue la mise en scène dans le théâtre12. Dans Le théâtre et son double, Artaud écrit que “lier le théâtre aux possibilités de l’expression par les formes, et par tout ce qui est gestes, bruits, couleurs, plastiques, etc., c’est le replacer dans son aspect 8 Cf. note 4. 9 Ibid. 10 A propos du théâtre de la N.R.F., "Lettre à Comoedia". 11 Théâtre Alfred Jarry. 12 En posant l’idée d’un art théâtral comme expression par les formes, — et nous avons vu que cette “définition” pouvait s’appliquer à d’autres arts uploads/s3/ alberti-carine-antonin-artaud-tentatives-et-apories-d-x27-une-reflexion-sur-l-x27-art.pdf

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