Art et littérature de jeunesse Les ouvrages destinés à un jeune public font la

Art et littérature de jeunesse Les ouvrages destinés à un jeune public font la part belle aux images, mais sont-elles toujours l'expression d'un choix, d'un goût ou d’une intention artistique ? En quoi les albums forment-ils les enfants à une esthétique ? Quelle frontière, enfin, sépare illustrateurs et artistes ? Artiste ou illustrateur ? Quelle différence de fond existe-t-il entre un artiste et un illustrateur ? Que se passe-t-il quand un illustrateur fait l'artiste, quand l'artiste illustre ? Et si ces deux mondes, en plus de se côtoyer, se superposaient ?... La plupart des ouvrages qui s'adressent à un jeune public privilégient l'image sur le texte, peu ou pas maîtrisé par ces apprentis lecteurs. De ce fait, le livre pour enfant est souvent un album où la qualité des illustrations peut répondre à des critères esthétique, de cohérence avec le récit ou de lisibilité. Certains illustrateurs utilisent alors des techniques et des méthodes qui sont celles des artistes. Si l’enluminure est un bon exemple de la perméabilité de la frontière qui sépare l'image artistique de l'image illustrative, elle permet aussi d'en dessiner les contours. Remontant en effet à une époque où le statut de l'artiste était balbutiant, voire inexistant, il est préférable de parler de travail d'imagier. Ici déjà on peut trouver, parfois au sein d'un même ouvrage, deux manières d'associer le texte à l'image. La première est relativement indépendante du sens de l'histoire racontée par le texte et exploite la disposition purement formelle des lettres qui composent les mots. Elle se place autant du côté du décoratif que de l'artistique : c'est surtout une forme avancée de la calligraphie. La seconde, s'attachant à visualiser les scènes décrites, est à la fois plus contrainte et ouverte. Permettant les extrapolations, elle développe à son tour un imaginaire visuel bien déterminé, proposé depuis longtemps déjà au public analphabète des églises. Ainsi, envisager le point de vue artistique comme totalement libéré des contraintes et le travail illustratif comme soumis au texte peut être aussi pertinent qu'insuffisant. A une époque plus proche, la différenciation entre art et illustration peut aussi être envisagée sur des plans plus techniques. Techniques artistiques d'abord, celles axées sur le trait -dessin, gravure, fusain, lithographie...- étant plus volontiers destinées à l'illustration. On peut au passage aisément deviner quelques-unes des raisons de ce rapprochement ; représentation de la pensée plus aisément exprimée par le signe graphique et rapidité d'exécution. Technique de reproduction ensuite, où le noir et blanc a longtemps été le principal moyen d'impression mécanisée. Miniaturiste français : " Livre d' Heures" (détail), vers 1490 Il n'en reste pas moins que les illustrateurs et les artistes expriment des aspirations souvent semblables et que la différenciation relève plus du statut que de la personne ou du résultat. L’exemple le plus connu et aussi le plus flagrant est celui de Daumier, génie longtemps sous-estimé par ceux qui voyaient en lui d'abord un illustrateur et déconsidéraient cet art appliqué. Aujourd'hui, l’ensemble de son œuvre est reconnue à sa juste valeur et permet finalement de mettre en lumière les éléments qu'il exploite le plus habilement selon le domaine ; là le trait élancé, ici la chatoyante lourde des couleurs... La presse satirique du XIXème siècle fait largement appel à des caricaturistes qui persiflent facilement les artistes, ce qui ne les empêche pas de les côtoyer ou d'aspirer à le devenir. C'est ainsi que Toulouse-Lautrec affichiste et Juan Gris, qui travailla au Charivari, n'ont pas vu leur carrière de peintre affectée par cette première expérience. Avec l'arrivée de l'époque moderne, la multiplication des techniques artistiques héritée des avant- gardes et la reconnaissance de l'influence d'autres domaines (photographie, typographie, musique, architecture...) les deux activités finissent par parler un langage souvent similaire, fait d’emprunts réciproques. Balthus, Picasso, Matisse, Dali ou Derain, la liste des artistes ayant illustré des ouvrages est longue ; il s'agit souvent de gravures réalisées pour un auteur proche, maître ou ami. De nos jours, les ouvrages abondamment illustrés s'adressent principalement aux enfants. Dans la grande diversité offerte par cette littérature dite "de jeunesse", on rencontre de plus en plus d’auteurs dont les techniques (peinture, photographie, collage) se réfèrent implicitement au monde de l’art. Motivé par cette tendance, certaines maisons d'édition proposent inversement à des artistes de renommée internationale de réaliser des ouvrages spécifiquement destinés à un jeune public (voir : « Les artistes parlent aux enfants ! »). L'image n'étant désormais qu'une des multiples facettes de la création contemporaine, les techniques "délaissées" par les artistes sont réinvesties avec talent par des illustrateurs. Ainsi, malgré des contraintes certaines (coût, maniabilité pour les tout-petits, aridité de certains sujets) les évolutions concordantes du regard porté sur l'enfance et des pratiques illustratives ouvrent de belles perspectives. Honoré Daumier : " Le wagon de troisième classe", (détail) (1863-65) Les artistes parlent aux enfants ! Que ce soit pour s'exprimer pour un jeune public ou se glisser dans la peau d'un illustrateur, des artistes ont parfois réalisé des œuvres présentées sous forme de publications destinées à l'enfance. Certains artistes ont réalisé des œuvres présentées sous forme de publications destinées à l'enfance. Dans quel but ? Avec quel succès et selon quelle approche ? S’adressent-t-ils en tant qu’artiste aux enfants ou se glissent-ils dans la peau d’un illustrateur ? "Présumés innocents", exposition présentée en 2000 au Musée d'art contemporain de Bordeaux, rendait compte de l'intérêt d’un grand nombre d'artistes pour le monde de l'enfance. Mais, comme le souligne le catalogue, "La fin du XXe siècle a vu surgir un regain d’intérêt pour le domaine de l’enfance, davantage apparenté, en particulier pour la génération émergente au cours des années 90, à un « devenir-enfant » de l’artiste lui-même qu’à un retour nostalgique à un paradis perdu." C'est peut-être la raison pour laquelle les œuvres spécifiquement destinées à un jeune public ne sont, elles, pas si nombreuses. Malgré certaines tentatives louables, les structures muséales restent par nature inadaptées aux enfants ; le choix des œuvres reste fait par et pour un public adulte, et leur sacralisation empêche toute manipulation. Lapins, bonbons et autres ballons issus de l'art contemporain ne doivent donc pas être pris pour des jouets, ni l'art toujours pour un jeu. Mais si éviter le piège de l'"absolument ludique" ne peut qu'ouvrir les enfants à l'ensemble des problématiques artistiques, il faut renoncer à l’utopie qui voudrait que l'art s'adresse à tous en tout temps. Une partie de l'installation proposée par Paul Cox au Centre George Pompidou de mars à mai 2005 Le livre, terrain d'expérimentation déjà abondamment exploré par les artistes au cours du XXème siècle, peut permettre ce dialogue entre artistes et jeune public ; même dans les éditions les plus luxueuses, il reste plus abordables qu'une œuvre et représente un support déjà familier aux enfants. Dès lors, chacun choisira une stratégie. Se glissant sagement dans la peau d'un illustrateur, certains artistes adaptent leurs manières à un texte dont, souvent, ils ne sont pas les auteurs. C'est le cas, par exemple, de Niki de Saint-Phalle illustrant dans un style très enfantin un texte de Laurent Condominas (« Méchant méchant », éditions La différence, 1993) ou d’Hervé Di Rosa illustrant un texte de Marie Nimier. On remarquera d'ailleurs que le style de ces artistes est déjà fortement orienté vers l'enfance et le graphisme, ce qui facilite le passage à ce type d'illustration. D'autres prennent le parti d’envisager le "livre pour enfant" comme un sujet dont ils détournent "artistiquement" l'uage habituel, au risque de s'éloigner des préoccupations supposées des jeunes lecteurs. Des ouvrages comme "Colorie comme tu veux, dessine et écris ce que tu veux" de Claude Closky ou "L’ornithorynque, la mangouste et les trois canards" de John Armledder jouent sur les clichés et réinvestissent avec ironie, mais aussi avec brio, les concepts classiques du genre. On pensera aussi à l' artiste Glen Baxter, qui procède dans un esprit semblable avec une ironie acide et surréaliste certes plutôt destinée à l'adulte nostalgique des Tex et autres Rodéo.... Une troisième catégorie est constituée d'artistes qui se sont longtemps tournés vers l'illustration et y ont acquis une solide notoriété. Forts de cette reconnaissance par le livre, ils peuvent proposer des projets éditoriaux toujours plus axés sur une optique artistique et plastique. Juste retour des choses, Kveta Pacovska (ci-contre, « Un livre pour toi » Le Seuil jeunesse, 2004), expose ainsi plus facilement ses œuvres sculpturales en même temps qu’elle réalise des ouvrages de plus en plus proches du livre-objet. "CoxCodex 1", imposant volume consacré à l'œuvre de Paul Cox, a été co-signé par six historiens d'art tandis qu'une exposition lui est actuellement consacrée au Centre George Pompidou. Bruno Munari, artiste et grand designer italien des années soixante a travaillé sur des ouvrages destinés à l'enfance et écrit de nombreux textes théoriques à ce sujet... Globalement, il semble que la paternité (ou la maternité) soit - plus qu'une commande institutionnelle ou éditoriale - un élément déclencheur fondamental dans la genèse d'une grande partie de ces ouvrages ! Graine d’artiste Certains ouvrages sont des incitations plus ou moins ouvertes à la création. Comment aider des uploads/s3/ art-et-litterature-de-jeunesse.pdf

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