ARTHUR _ RUBINSTEIN Enfant prodlge il donne son premier concert à treize ans. I
ARTHUR _ RUBINSTEIN Enfant prodlge il donne son premier concert à treize ans. Interprète adulé, il est un des plus grands pianistes du siècle. Arthur Rubinstein reste à 92 ans — il est né en 1887, à Lodz, en Pologne — d‘une éton— nante jeunesse. François Reichenbach a tourné un nouveau film avec lu i. France—Musique lui con— sacre une journée. Eric Lip m ann, animateur de l‘émission « Concerto pour un transistor » sur Europe 1 l‘a rencontré à Paris... H .— Lorsque vous êtes né, Brahms était encore vivant ? — Oui, mais aussi Anton Rubins— .tein, mon homonyme, un célèbre pianiste qui est mort quand j‘avais quatre ans ; Brahms est mort j‘avais sept ans. — En fait, vous êtes contemporain de Dvorak, de Falla, Fauré, Pro— kofiev, Stravinsky, Ravel ? — Je les ai tous connus très inti— mement comme des frères. — Stravinsky a—t—il composé pour vous ? i — Il a—écrit pour moi le ballet Pe— trouchka ; il l‘a arrangé comme une espèce de sonate pour piano en trois mouvements et il m‘en a dédié les manuscrits. — Dans le film de Franço:s Rei— chenbach, L‘Amour de la vie, vous disiez une chose qui — m‘avait frappé : « On peut imaginer ùn monde sans électricité, sans gaz, sans automobiles, mais c‘est très difficile d'1magmer un monde sans Mozart. » — Pour moi, c‘est vrai, mais ça ne l‘est pas pour tous le monde. Sans Mozart, le monde serait ap— pauvri et j‘en serais bouleversé. — Votre histoire coïncide pratique— TELERAMA N° 1523 — 21 MARS 1979. « Je n‘ai jamais compris mon succès, c‘est une chose difficile à expliquer. » ment avec celle de l‘enregistrement sonore. Vous souvenez—vous de votre premier enregistrement ? — Oh ! oui, c‘était à New York, en 1919 ; je me trouvais alors très lié avec une grande cantatrice ita— lienne. Le dirécteur de l‘Opéra de New York, le directeur de la Com— pagnie de disques et un imprésa— rio de concert se démenaient pour signer un contrat avec elle. L‘un d‘eux m‘a dit : « Si vous nous ob— tenez un contrat avec cette dame, nous serons peut—être disposés à vous faire faire deux disques. » J‘ai failli lui donner une‘paire de r. 2 & 3 & ® © € $ 4> . Comme On peut imaginer un monde . sans électricité ni gaz mais pas sans Mozart gifles et j‘ai répondu : « Le piano sur les disques, ça sonne comme du banjo. » Après cela, je n‘ai plus voulu en— tendre parler de disques jusqu‘au moment où un ami, la « Voix de son maître » à Londres, m‘a invité à déjeuner à la fabrique pour me montrer ce qu‘il faisait. Puis il m‘a fait jouer ma chère Barcarolle de Chopin et j‘ai été ébloui ; c‘était en 1928. Depuis ce temps—là, j‘en ai enregistré une directeur de . > telle quantité que je crois être celui qui possède le catalogue le plus riche. — Avez—vous connu Serge Rach— maninov ? — Bien sûr ; c‘est drôle, mais j‘ai connu presque tout le monde. Ils sont tous morts et c‘est triste de voir ses amis mourir autour de soi. Je n‘ai qu‘un ami encore vivant : Joseph Kessel. Marcel Pagnol, De— bussy habitaient tout près, ils étaient mes voisins. — J‘aurais voulu savoir ce que vous pensez de la musique ac— tuelle ; on peut la diviser en quatre catégories : jazz, pop, variétés et müsique contemporaine. — La musique contemporaine est celle qui m‘intéresse le plus : celle de Boulez, Stockhausen. Il y a un grand Polonais aussi : Penderecki. Tous ces noms me sont familiers, j‘ai entendu la musique de tous et je dois vous dire que la musique comme telle, les notes et tout ce . qu‘elle contient me sont complè— tement incompréhensibles ; et c‘est . un phénomène naturel pour des gens vieux. A ce sujet, je me rappelle que De— : bussy: adorait le violoniste Ysaye et il lui a dédié un de ses chefs— d‘œuvre : le Quatuor à cordes. j‘étais —moi—même _— ami d‘Ysaye, je lui dis un jour qu‘il de— vrait être fier que ce quatuor lui ait été dédié. II me répondit : « Oui, mais je n‘y comprends riën. » — Pourtant, votre ami Stravinsky a quitté cette musique que vous aimez pour la musique que vous ne comprenez pas. 11 > RUBINSTEIN >—— C‘est alors que j‘ai perdu le contact avec sa musique. — Mais pas avec l‘homme ? — Jamais ! Nous nous aimions comme des frères et lorsque l‘on se voyait, on « s‘embrassait » pen— dant une heure, pour se quereller ensuite sur la musique. II s‘est laissé entraîner par un jeune, Mon— sieur Kraft, qui a eu une énorme influence sur lui. Il a suivi la mu— sique de jeunes superficiellement pour faire jeune. Cela arrive à de vieux auteurs qui ne veulent pas perdre le contact avec les jeunes. — La jeunesse n‘est pas une vo— lonté, mais un état d‘esprit. Lors— qu‘on est en face de vous, on a vraiment l‘impression d‘être en face de quelqu‘un qui est jeune. Vous parlez un peu de vous—même comme si vous parliez de quel— qu‘un d‘autre ? _ — Ce n‘est pas tout à fait le cas, il y a des exceptions. Par exemple pour Arnold Shôënberg. II était le « chef des jeunes » ; il s‘est libéré des vieilles formes et est connu comme tel. J‘ai donc vu son opéra Moise et Aaron et j‘ai été extrê— mement pris car, tout en n‘en com— prenant pas la musique pure, les sonorités musicales, j‘ai compris — les textes puisqu‘il y avait du chant et des paroles ; cela m‘a aidé à suivre la musique. Cela a été la même chose pour La Messe selon saint Luc, de Pen— derecki. La musique m‘était étran— gère, mais les textes si drama— tiques dans cette musique mo— derne m‘ont bouleversé. — Votre grand amour musical, c‘est Chopin avant tout ? — Non, en tant qu‘interprète, il est impossible d‘avoir des préférences. Quand je joue _ Bach, Beethoven, Chopin, Liszt, l‘œuvre que j‘inter— prète est la seule au monde pour moi. J‘ai une préférence pour Cho— pin parce que —c‘est un magicien du piano. Il a su lui demander tout Photos extraites de Les Jours de ma jeu— on Beaugier. nesse, par Arthur Rubinstein. (Robert Laf— . font.) 12 ce qu‘il pouvait donner. Beethoven n‘avait pas cette connaissance du piano, Mozart non plus. Avec Cho— pin, vous êtes dans la féerie du piano. — A propos de Beethoven, vous avez réalisé récemment un enre— gistrement avec Daniel Baremboïim, les Cinq concertos . pour piano. Vous êtes passé par tous les chefs d‘orchestre depuis l‘histoire de l‘enregistrement. L‘un d‘entre eux vous a—t—il marqué ? — Celui qui m‘a le plus marqué, Georges Szell, est le seul avec lequel je n‘ai pas pu faire d‘enre— gistrement. Stupidité des choses, il était lié à une compagnie dif— férente de la mienne et nous ne pouvions pas travailler ensemble. — Donnez—vous encore des réci— tals ? — Ce n‘est plus possible, je ne vois plus assez le clavier. Même quand j‘avais encore une vue par— faite, j‘ai décidé de ne—plus don— ner de concerts publics parce que je trouve qu‘à mon âge, on a le droit de se retirer. — Parlons un peu de ces prome— nades à travers le monde : vous avez vécu de manière décontrac— tée jusqu‘à 40 ans, puis vous vous êtes mis à travailler comme un forcené ? — Je n‘ai jamais travaillé comme un forcené ! J‘ai. voulu goûter à tout dans la vie, participer, con— naître les livres dont j‘étais pas— sionné. La musique vivait en moi parce que je suis né avec la mu— sique comme on naît avec ses sens ; la musique est mon sixième sens. — Vous n‘avez jamais considéré Horowitz comme un concurrent ? — Les gens le considéraient comme un de mes concurrents ; mais c‘était un virtuose pur qui ne s‘intéressait pas tellement à la mu— sique, mais à ce que la musique pouvait lui apporter comme suc— cès. En ce qui me concerne, la musique est en moi et j‘ai voulu transmettre ma passion au public. Horowitz veut épater les gens et il le fait très bien. — Pourriez—vous expliquer à quoi correspond cet « amour de la vie » sur le plan des femmes, par exemple ? — Chacun a sa passion ; il y a des Anglais passionnés de clubs spor— tifs qui n‘aiment pas beaucoup la compagnie des femmes. Je n‘ai jamais pris d‘intérêt à la compa— gnie des hommes. J‘adorais être avec des hommes « intelligents », des artistes (Marcel Achard, J. Kes— sel...) qui étaient mes amis. Mais les femmes me passionnaient, tout simplement parce que c‘était Aubinstein à 4 ans avec sa cousine Fania Meyer. l‘autre sexe ; j‘aimais leur compa— gnie, qu‘elles soient intelligentes ou uploads/s3/ arthur-rubinstein.pdf
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- Publié le Oct 13, 2021
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