Texte et photos par Fanny Passeport J e suis enseignante de FLE depuis 3 ans. J

Texte et photos par Fanny Passeport J e suis enseignante de FLE depuis 3 ans. Je pratique l’approche Silent Way (en v.f., la voie silencieuse) au quotidien dans une école internationale à Bangalore, en Inde. Lors de mon parcours univer- sitaire, j’ai eu la chance d’étudier à Besançon pendant une année et d’y améliorer considérablement mon anglais et avec beaucoup de plaisir. Ce cours d’anglais était une vraie nouveauté, car je n’y entendais que très rarement la voix de mon ensei- gnante. C’était bien la première fois que cela se produisait ! Comment peut-on apprendre une langue vi- vante sans que le professeur, lui- même, ne parle ? Comment fait-on si l’on n’a pas de modèle à imiter ? C’était bien à nous-autres étudiants de communiquer ou plutôt de nous exprimer puisque nous parlions de nous et non de « Brian » (who is in the kitchen…). Cette enseignante nous « laissait apprendre », elle subordonnait l’enseignement à l’ap- prentissage et c’est là le vrai défi de Silent Way. Une autre voix À la suite de cette expérience initiale, je me suis inscrite à une première formation en Silent Way en « Anglais langue étrangère » où il était question d’observer des personnes améliorer leur anglais pendant trois jours. L’at- mosphère m’a tout de suite plu, les ré- sultats étaient plutôt positifs et le pro- cessus mêlé de réflexions personnelle et pédagogique rendait l’apprentis- sage vraiment humain. Les affects des apprenants étaient pris en compte. Je pouvais les voir se transformer dans et par la langue pour toucher un Autre en eux. C’est véritablement le corps, notre manière d’être, notre façon de bouger, qui se modifient lorsque nous rentrons en contact avec une nouvelle langue. Le seul fait de réali- ser que l’on a une autre voix, que l’on prononce un son nouveau participe de cette prodigieuse métamorphose. Les participants effectuaient des exercices de respiration, de rythme, de phonétique et accédaient à une certaine jouissance phonatoire dans la langue nouvelle. La dif- férence entre le début et la fin du stage en termes de prononciation et de grammaire était considérable. Pourquoi se limiter à une commu- nication « acceptable » ou, dit-on, « compréhensible », quand on peut obtenir de bien meilleurs résultats en si peu de temps ? Silent Way réussit le pari de l’acquisition : la langue étrangère devient peu à peu proche. L’apprenant n’adoptera pas la langue comme une extériorité, il l’habitera et ce processus de coexis- tence qui semble souvent être long et semé d’embuches, sera dès le dé- part un mode d’apprentissage. L’exploration de la langue par l’élève Silent Way ne peut se réduire à une méthode qui impliquerait une vision procédurière et fixe. Il s’agit plutôt d’une posture, d’une attitude, d’un point de vue. Alors, comment ce re- gard se construit-il ? Certes, j’utilise des outils pédagogiques1 spécifiques au Silent Way : les panneaux de mots en couleurs, le « fidel », les réglettes Cuisenaire, le pointeur, etc. mais en parler longuement ici réduirait Si- lent Way en un ensemble de règles à suivre, d’instruments à manipuler. De même, mon silence n’est en rien un abandon de mes élèves, celui-ci me permet d’être « présente » à la situation didactique, de savoir si je devrais ou non intervenir pour fa- ciliter, guider voire même diriger. Silent Way est une expérience de la découverte, je dois faire émerger ce désir d’exploration chez mes élèves et les aider à transformer leurs vou- loirs en pouvoirs. Caleb Gattegno – concepteur de cette approche – résume cette démarche : « Le profes- seur travaille sur l’élève qui travaille sur la langue. » Ma classe Silent Way, c’est aussi un espace de coo- pération où l’on profite des erreurs et où l’on partage les réussites des autres. Il n’y a pas de place pour la moquerie et les inhibitions se lèvent au moment même où l’on expéri- mente ensemble avec la langue. Apprendre à parler et non à écouter Ma pratique du Silent Way m’a permis de constater une réelle amélioration de la prononciation de mes élèves. Si le credo actuel repose toujours sur l’ac- quisition linguistique par imitation et répétition, Silent Way postule que l’on peut apprendre une langue sans modèle mais par feed-back. On pourra répéter après le prof autant de fois que l’on veut, si l’on ne concentre notre attention que sur nos oreilles, notre bouche ne s’éduquera pas. A contra- rio, si nous nous observons faire des erreurs, réessayer, notre présence se retrouve dans notre bouche et donc à la production du son, non à son écoute. C’est bien l’appareil phona- toire qu’il faut éduquer, non l’oreille. L’enseignant doit alors accompagner l’élève dans ce parcours d’exploration phonétique et lui proposer des amé- liorations grâce à un feed-back qui peut-être visuel et/ou kinesthésique ou qu’il peut même exprimer orale- ment car le silence est un outil péda- gogique, non une doxa. Des expériences concrètes Dans la pédagogie Silent Way, ap- prendre constitue une série de prises de conscience. Il faut d’abord être conscient qu’il existe quelque chose de nouveau, d’inconnu. Il faut ensuite accepter de se tromper (l’erreur est même perçue comme un « cadeau fait à la classe » selon Gattegno) et par cet exercice de la pratique (et non de la répétition), atteindre la maîtrise. Ces étapes sont indispensables et appa- raissent au quotidien dans une classe Silent Way. Par exemple, pour la phrase « Tu as un bleu stylo* », tout en dépliant mes 5 doigts l’un après l’autre (un pour chaque mot), je demanderai à l’élève de répéter sa phrase. Les deux derniers mots posent pro- blème quant à leur position, je pour- rai alors croiser les deux doigts cor- respondant pour « forcer » une prise de conscience chez l’apprenant. De la même façon, pour un phonème mal prononcé, par exemple le [ ], je pourrai proposer d’autres mots avec le même phonème et observer si le problème persiste. Je pourrai éga- lement positionner ce son ailleurs dans un mot. Si « rat » pose pro- blème, je pourrai proposer « gras » (ou le [ ] est en position médiane). Lorsque cela fonctionne, on peut essayer à la position finale (« noir ») et/ou retenter le mot de départ. On peut anticiper de nombreuses cor- rections phonétiques en Silent Way et proposer des réponses efficaces. Côté prosodique, Silent Way per- met d’utiliser le pointeur comme baguette rythmique. La phrase « Ça va » peut être intonée différemment selon la modalité : exclamation, interrogation, déclaration, etc. Je pourrai ainsi relever ou abais- ser le pointeur pour provoquer ces réalisations mentales. Ceci peut se faire d’autres manières. Silent Way permet d’ouvrir un champ de pos- sibilités et de favoriser la créativité des enseignants. Un souffle d’inspiration Je suis une enseignante Silent Way en devenir. D’ailleurs, mes collègues les plus expérimentés pourraient aussi le dire. Car rien n’est figé et le professeur se positionne aussi dans « l’apprendre ». Ce qui est a fortiori une évidence pour moi, c’est qu’il n’y a pas de retour en ar- rière. Cette approche mé- rite d’être mieux connue. C’est un milieu de partage, d’échange, d’intros- pection. Comme Gat- tegno le dirait : « Ins- pirez-vous de cette approche et regardez où cela vous mène. » n Utilisation des doigts pour guider une élève dans la structure de sa phrase, qui était : « Il [premier doigt] faut [deuxième doigt] une [troisième doigt] réglette rouge et une blanche pour faire une verte. » Une élève utilise le pointeur pour sélectionner l’orthographe d’un mot sur le « fidel » (un tableau où chaque orthographe possible de la langue est organisée par couleur et donc par son). Deux élèves pointent une phrase ensemble sur le tableau de mots. Les mots sont colorés pour indiquer la prononciation (chaque couleur correspond à un phonème). Fanny guide deux élèves dans la construction de leur phrase de comparaison, ici avec l’adjectif à ne pas choisir (phrase à pointer « La réglette jaune est plus grande que la rouge »). Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 58 59 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 58 59 témoignage Un cours de langue où l’enseignant n’ouvrirait pas la bouche et serait de ce fait plus attentif à la situation didactique ? Le témoignage de Fanny, professeure de français en Inde, adepte de l’approche Silent Way. Silent Way, subordonner l’enseignement à l’apprentissage Fanny Passeport est professeure de FLE à l’école internationale de Stonehill, à Bangalore (Inde). Elle est active dans l’association Une Éducation pour Demain et adepte de l’utilisation des TICE dans ses cours (Moodle). Son site : http:// lefrancaisencouleurs.weebly.com. aller sur www.fdlm.org Pour plus d’information : sur le matériel Silent Way, voir le site http :// uneeduca- tionpourde- main.org uploads/s3/ article-silent-way.pdf

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