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Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA), 2012 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 05/01/2022 3:03 p.m. Études littéraires africaines De la vie à l’oeuvre. Entretien avec Serge Amisi Patrice Yengo and Julie Peghini L’enfant-soldat : langages & images Number 32, 2011 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1018647ar DOI: https://doi.org/10.7202/1018647ar See table of contents Publisher(s) Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA) ISSN 0769-4563 (print) 2270-0374 (digital) Explore this journal Cite this document Yengo, P. & Peghini, J. (2011). De la vie à l’oeuvre. Entretien avec Serge Amisi. Études littéraires africaines, (32), 105–115. https://doi.org/10.7202/1018647ar Le kadogo Amisi DE LA VIE À L’ŒUVRE ENTRETIEN AVEC SERGE AMISI 1 L’enfance armée est souvent trompeuse, foi de « minitaire ». On la con- naissait, sous la plume de Ken Saro Wiwa, Amadou Kourouma et Emmanuel Dongala, comme la résonance inaudible de l’anomie sociale et politique des « soleils des indépendances ». Désormais, avec le témoignage de Serge Amisi, celle-ci se livre à nous sous la forme d’une expérience au futur antérieur : « Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain ». Si les héros de ces drames personnels convertissent les pages les plus difficiles de l’Afrique en lettres d’empathie pour ces sociétés qui commanditent pourtant leur mort, ce n’est pas parce que l’enfant-soldat a cessé d’être ou que seule son ombre lui fait écho (« personne ne nous croit »), mais parce que ces parchemins-divans sur lesquels vient se coucher et s’épuiser la pratique douloureuse de la toute- puissance de l’enfance nous parlent du manque. Manque du jouet comme dans cette scène où Serge Amisi égaré dans la forêt peut enfin accéder à son enfance grâce à son fusil transformé en compagnon de jeu ; du père, dont le rêve le ramène à la maison ; de la mère, bien sûr, qui se rappelle à lui dans toutes les femmes violées. Tout comme l’enfant jeté dans la rue devient sorcier la nuit, l’enfant-soldat est la face diurne de la sorcellerie dans ces sociétés où les aînés, pris dans leurs contradictions politiques et sociales, projettent sur l’enfance les fantasmes de leur propre impuissance. Mais si l’enfance armée est bien une saison en enfer, elle n’est ni blanche ni sèche mais sombre et fertile.  Patrice YENGO * – Quand es-tu venu pour la première fois en France ? – C’était en mars 2007, sur l’invitation du centre d’art dramatique de Strasbourg, pour présenter un spectacle de marionnettes au Théâtre Jeune Public. C’est un peu ma maison là-bas. J’ai travaillé dans plusieurs projets de spectacles, en tant que scénographe. – Avais-tu déjà écrit le livre ? – Non, j’écrivais encore en lingala à cette époque, je n’en étais pas encore à la mise en forme ni à l’écriture en français. 1 Propos recueillis par Patrice Yengo (Institut d’Études Avancées, Nantes) et Julie Peghini (Université de Paris VIII Vincennes, Saint-Denis), à Paris le 23 octobre 2011. De la vie à l’œuvre. Entretien avec Serge Amisi (107 – Est-ce toi qui as commencé à écrire spontanément en lingala ? – En fait, j’ai d’abord commencé par une exposition de mes sculp- tures avec Thierry D., qui est un artiste belge. J’avais nourri ce pro- jet de créer une exposition sur des sculptures et cette exposition, je l’ai appelée « l’enfant-soldat et ses rêves ». Après l’armée, j’étais poursuivi par toutes sortes de visions. Je ne savais pas distinguer si je faisais des cauchemars ou pas. Ces visions m’ont tant hanté que j’ai commencé à écrire pour m’en délivrer. Quand j’ai commencé à écrire, je préparais l’exposition « l’enfant-soldat et ses rêves », et dans cette exposition, il y avait des corps qui n’ont pas de tête, des femmes violées, des massacres, des armes. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé pour créer tout cela, mais la nécessité de représenter cette violence m’est arrivée tout d’un coup. Pourtant j’ai été formé par Adrien de P., qui est mon maître en tant que sculpteur, il ne m’avait pas formé pour représenter les massacres et les armes, mais cela m’est venu tout seul. Par nécessité de bien me souvenir de ce que je représentais dans la sculpture, toutes ces images de guerre, il m’a été nécessaire à un moment donné d’écrire. Je ne savais pas bien écrire, et écrire en lingala m’était plus facile qu’en swahili, une langue difficile pour moi tandis que le lingala était ma langue quoti- dienne, que je parlais avec les autres. C’est comme cela que j’ai commencé à écrire, je ne savais pas que cela allait devenir un livre. Un jour, alors que j’étais dans ce commencement du processus d’écriture, j’ai rencontré Jean-Christophe Lanquetin dans un projet, à Kinshasa, au centre culturel français. Sur la couverture du livre, il y a une kalachnikov, c’est une œuvre que j’ai faite, une sculpture que j’ai vendue depuis. Cela fait longtemps que je représente des armes. Jean-Christophe a été intéressé par mon travail de sculpture et il m’a proposé de travailler avec lui sur un de ses projets de scénographie. J’ai travaillé à faire des accessoires, des armes, des soudures pour lui. C’est alors que je lui ai expliqué mon idée, que je suis en train d’écrire mais qu’en même temps que j’écris, je ne sais pas ce que cela peut donner après, quelle forme donner à ce que j’écris. Je lui ai expliqué mes visions, celles de mes amis qui sont morts dans l’armée et que pour moi la vie ce n’est pas un truc facile, ce n’est pas un cadeau. Quand je vois le trajet que j’ai entrepris jusque-là, cela me renvoie à beaucoup de choses, des amis que je ne vois plus, leurs images qui restent en moi. Jean-Christophe m’a conseillé de continuer, de continuer à écrire comme j’avais déjà commencé. Ce n’était pas une histoire de motivation, une obligation à écrire, mais plutôt une préoccupation, une idée qui me revenait. Certains jours je n’avais rien à faire, je n’étais occupé que trois jours 108) par semaine par mes cours d’art à l’espace Masolo, le reste des jours je n’avais rien ni personne, même pour me donner à manger. Cela a été une période de galère, il aurait fallu retourner dans l’armée où l’on me payait, où j’avais l’eau, le courant, le logement, tout. Dans la vie civile, je possédais juste de quoi me payer le transport pour aller à l’espace Masolo, et comme je faisais le « cascadeur », je ne payais pas le transport et avec cet argent du transport, je vivais, je n’avais pas d’autres moyens financiers ! Donc, pendant ces jours où je n’apprenais pas l’art, je passais du temps à écrire. Parfois j’étais bloqué, je calais totalement, je ne voyais plus la forme que j’allais pouvoir donner à ce que je racontais. Ou encore j’avais des images floues par rapport à l’histoire. Je sor- tais alors de chez moi, je partais voir mes anciens collègues de l’ar- mée et je leur posais des questions. Certains me demandaient pour- quoi j’étais civil. Je disais « mais non je suis pas civil moi, avec tout ce qu’on a vécu dans l’armée, je suis guerrier comme vous ». Pour qu’ils me laissent tranquille. Parce que pour eux les civils sont bêtes, des bons à rien. En vrai, je m’en fichais. Si je voulais arrêter d’être militaire, c’était ma propre décision et j’étais prêt à la défendre par la force s’il le fallait. Je venais de quitter l’armée et on connaît la vie de Kinshasa, des Congolais, ils aiment trop « se goûter » 2, j’étais tout maigre, ce qu’on appelle le « corps de provocation », tout le monde pensait qu’on pouvait me taper et faire de moi n’importe quoi. J’étais en insécurité car je savais que l’armée avait besoin de moi. D’autant que j’écrivais mon histoire et que je conservais le lien avec mes anciens camarades, pour écrire, donc ils connaissaient tous ma vie. Ils savaient que je fréquentais le milieu artistique même s’ils ne savaient pas ce que je faisais au juste. C’est quand je suis parti en Europe pour la première fois que ma situation au Congo s’est aggravée. Parce que pour eux, avoir la vie que j’ai eue au Congo, aller en Europe et revenir au Congo, ce n’est pas possible, il aurait fallu que je reste en Europe, que je ne retourne pas au pays. Pour eux, j’ai été militaire, j’ai souffert, pour- tant je reviens au Congo, cela cache quelque chose. Donc on a dit qu’il y a des Blancs qui me poussent, des gens qui me soutiennent. D’autant qu’il y avait un procès sur l’enrôlement des enfants-soldats au Congo. Les gens au Congo, ils uploads/s3/ de-la-vie-a-l-x27-oeuvre-entretien-avec-serge-amisi-patrice-yengo-and-julie-peghini.pdf

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