Umberto Eco Sémiologie des messages visuels In: Communications, 15, 1970. L'ana
Umberto Eco Sémiologie des messages visuels In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 11-51. Citer ce document / Cite this document : Eco Umberto. Sémiologie des messages visuels. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 11-51. doi : 10.3406/comm.1970.1213 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1213 Umberto Eco Sémiologie des messages visuels1 1. LES CODES VISUELS 1.1. Légitimité de la recherche. 1.1.1. Personne ne met en doute, au niveau des faits visuels, l'existence de phénomènes de communication; mais on peut douter du caractère linguistique de ces phénomènes. Cependant, la contestation, raisonnable en elle-même, du caractère linguis tique des phénomènes visuels a souvent conduit à refuser aux faits visuels toute valeur de signe, comme s'il n'y avait de signes qu'au niveau de la communication verbale (de laquelle, et de laquelle exclusivement, doit s'occuper la linguistique). Une troisième solution, essentiellement contradictoire mais couramment adoptée, consiste à dénier aux faits visuels le caractère de signes et à les interpréter cepen dant en termes linguistiques. Mais si la sémiologie est une discipline autonome, elle l'est justement en tant qu'elle arrive à mettre en forme différents événements communicatifs en élaborant des catégories propres telles que, par exemple, celles de code et de message, qui comprennent, sans s'y réduire, les phénomènes décrits par les linguistes comme langue et parole. Naturellement, la sémiologie se sert des résultats de la linguistique, celle de ses différentes branches qui s'est développée de la manière la plus rigoureuse. Mais, dans une recherche sémiologique, il faut toujours considérer que les phénomènes de communication ne sont pas tous expli cables avec les catégories de la linguistique. Une tentative pour interpréter sémiologiquement les communications visuelles présente donc l'intérêt suivant : elle permet à la sémiologie de mettre à l'épreuve ses possibilités d'indépendance par rapport à la linguistique. Puisqu'il existe des phénomènes de signification bien plus imprécis que les phénomènes de communication visuelle proprement dits (peinture, sculpture, 1. Ce texte est la traduction des quatre premiers chapitres de la seconde partie, iB. Lo sguardo discreto (Semiologia dei messaggi visivi) », pp. 105-164 de la Strultura assente, Milano, Bompiani, 1968. Il reprend avec quelques compléments et modifications la seconde partie, « B. Semiologia dei messaggi visivi », pp. 97-152, d'un ouvrage anté rieur : Appunti per una semiologia délie comunicazioni visive, Milano, Bompiani, 1967. (N.D.L.R.) il Umberto Eco EN SOI EN RAPPORT A L'OBJET EN RAPPORT A l'interprétant « Qualisign » « Sin-sign » : « Legisign » : Icône : Indice : Symbole : Rhème: « Dici-sign » Arguments : dessin, signalisation, cinéma ou photographie), une sémiologie des communicat ions visuelles pourra constituer un pont vers la définition sémiologique des autres systèmes culturels (ceux, par exemple, qui mettent en jeu des « ustensiles » comme l'architecture ou le dessin industriel). 1.1.2. Si nous prenons en considération les distinctions triadiques proposées par Peirce, nous nous apercevons qu'à chaque définition du signe peut corre spondre un phénomène de communication visuelle. — une tache de couleur dans un tableau abstrait, la couleur d'un vêtement, etc. — le portrait de Monna Lisa, la prise directe d'un événement télévisuel, un signal routier. — une convention iconographique, le modèle de la croix, le type « temple à plan circulaire »... — le portrait de Monna Lisa, un diagramme, la formule d'une structure... — une flèche indicatrice, une tache d'eau par terre... — le panneau de sens interdit, la croix, une convention iconographique... — un signe visuel quelconque en tant que terme d'un énoncé possible. — deux signes visuels liés de manière à en faire jaillir un rapport. — un ' syntagme visuel complexe qui met en rapport des signes de différents types; par exemple cet ensemble de communications routières : « (puisque) route glissante (donc) vitesse limitée à 60 km ». Il est facile de comprendre, à partir de ce rapide catalogue, comment peuvent apparaître des combinaisons variées (prévues par Peirce) comme, par exemple, un « sin-sign » iconique, un « legisign » iconique, etc. Pour notre recherche, les classifications concernant le signe en rapport avec l'objet proprement dit apparaissent particulièrement intéressantes et, à cet égard, nul ne songera à nier que les symboles visuels font partie d'un « langage » codifié. Les cas des indices et des icônes paraissent plus discutables. 1.1.3. Peirce observait qu'un indice est quelque chose qui dirige l'attention sur l'objet indiqué par une impulsion aveugle. Indubitablement, quand je vois une tache d'eau, je déduis immédiatement de cet indice qu'il est tombé de l'eau, de même que quand je vois une flèche de signalisation, je suis porté à me diriger dans la direction suggérée (étant posé, naturellement, que je suis intéressé par cette communication; dans tous les cas, je recueille la suggestion de direc tion). Toutefois, tout indice visuel me communique quelque chose, à travers une impulsion plus ou moins aveugle, par rapport à un système de conventions ou à un système d'expériences apprises. De traces sur le terrain, je conclus à la présence de l'animal seulement si j'ai appris à poser un rapport conventionnalisé entre ce signe et cet animal. Si les traces sont traces de quelque chose que je n'ai jamais vu (et dont on ne m'a jamais dit quelles traces cela laissait), je ne reconnais pas l'indice comme indice, mais je l'interprète comme un accident naturel. On peut donc affirmer avec une certaine assurance que tous les phénomènes visuels interprétables comme indices peuvent être considérés comme des signes 12 Sémiologie des messages visuels conventionnels. Une lumière inattendue qui fait battre mes paupières m'amène à un certain comportement sous le coup d'une impulsion aveugle, mais aucun processus de semiosis ne se produit; il s'agit simplement d'un stimulus physique (même un animal fermerait les yeux). Au contraire, quand, de la lumière rosée qui se répand dans le ciel, je conclus à un imminent lever du soleil, je réponds déjà à la présence d'un signe reconnaissable par apprentissage. Le cas des signes iconiques est différent et plus douteux. l.II. Le signe iconique. 1.11.1. Peirce définissait les icônes comme ces signes qui ont une certaine ressemblance native avec l'objet auquel ils se réfèrent1. On devine en quel sens il entendait la « ressemblance native » entre un portrait et la personne peinte; quant aux diagrammes, par exemple, il affirmait que ce sont des signes iconiques parce qu'ils reproduisent la forme des relations réelles auxquelles ils se réfèrent. La définition du signe iconique a connu une certaine fortune et a été reprise par Morris (à qui on doit sa diffusion — et aussi parce qu'elle constitue une des tentatives les plus commodes et apparemment les plus satisfaisantes pour définir sémantiquement une image). Pour Morris, est iconique le signe qui possède quelques propriétés de Vobjet représenté, ou, mieux « qui a les propriétés de ses denotata 2 ». 1.11.2. Mais ici, le bon sens, qui semble d'accord avec cette définition, est trompeur. Nous nous apercevons que, approfondie à la lumière du bon sens lui-même, cette définition est une pure tautologie. Que signifie le fait de dire que le portrait de la reine Elisabeth peint par Annigoni a les mêmes propriétés que la reine Elisabeth? Le bon sens répond : il a la même forme d'yeux, de nez, de bouche, la même carnation, la même couleur de cheveux, la même stature... Mais que veut dire « la même forme de nez »? Le nez a trois dimensions, tandis que l'image du nez en a deux. Le nez, observé de près, a des pores et des protu bérances minuscules, sa surface n'est pas lisse, mais inégale, à la différence du nez du portrait. Enfin, à sa base, le nez a deux trous, les narines, tandis que le nez du portrait à deux taches noires qui ne perforent pas la toile. La reculade du bon sens s'identifie à celle de la sémiotique morrisienne : « Le portrait d'une personne est iconique jusqu'à un certain point, il ne l'est pas complètement, parce que la toile peinte n'a ni la texture de peau, ni la faculté de parler et de bouger qu'a la personne dont elle est le portrait. Une pellicule cinématographique est plus iconique, mais elle ne l'est pas encore complètement. » Poussée à l'extrême, une vérification de ce genre ne peut que porter Morris (et le bon sens) à la destruction de la notion : « Un signe complètement iconique dénote toujours, parce qu'il est lui-même un denotatum » ce qui revient à dire que le vrai signe iconique complet de la Reine Elisabeth n'est pas le portrait d' Annigoni mais la Reine elle-même (ou un éventuel « double » de science -fiction). Morris lui-même, dans les pages suivantes, infléchit la rigidité de la notion et affirme : « Un signe iconique, rappelons-le, est le signe semblable, par certains 1. "Collected papers". 2. Charles Morris, Signs, language and behaviour, New York, Prentice Hall, 1946. Sur Morris, voir Ferruccio Rossi-Landi, Charles Morris, Rome, Boccas, 1953. 13 Umberto Eco aspects, à ce qu'il dénote. Par conséquent, l'iconicité est une question de degré 1. » Ensuite, et en se référant à des signes iconiques non-visuels, il parle même d'onomatopées ; uploads/s3/ eco-umberto-semiologie-des-messages-visuels.pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
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