74] Logique & calcul A u lycée, on apprend à résoudre des équations et des syst
74] Logique & calcul A u lycée, on apprend à résoudre des équations et des systèmes d’équations. L’élève qui a com- pris les méthodes enseignées traitera une large catégorie de problèmes. Pour chacun d’eux, il mettra en œuvre une « recette » qui, s’il procède avec soin, le conduira à la solution. Les logiciels de calcul formel, Sage, Pari/ GP , Mathematica, Maple, etc., se substituent à l’élève et, à l’aide de fonctions qui se nom- ment par exemple solve, font des calculs symboliques et traitent des équations trop compliquées pour le cerveau humain. Utilisant toute la puissance de nos machines et le savoir- faire des mathématiciens et ingénieurs qui développent et perfectionnent les algorithmes, ces logiciels sont d’incomparables experts en calcul. Le logiciel Maple, par exemple, trouve instantanément les quatre solutions de l’équa- tion X4 – 6X2 + 6 = 0 : 3 + 3, – 3 + 3, 3 – 3, – 3 – 3. Il écrit ainsi les résultats, et non pas de manière approchée en donnant quelques décimales (ce qu’il sait faire aussi). Mieux, il trouve les six solutions de l’équation : X6 – 26 X5 + 250 X4 – 1160 X3 + 2749 X2 – 3134 X + 1320 = 0, qui sont 1, 2, 3, 4, 5, 11. Il n’a aucun mal non plus quand on utilise des nombres transcendants comme coefficients (qu’il ne remplace pas par des valeurs approchées, mais traite symboli- quement). Pour l’équation : X4 – X3 – 6X3 + 6X2 + 11X2 – 11X – 6X + 6 = 0, en quelques fractions de seconde, il donne les solutions qui sont 1, 2, 3, . logique & calcul Équations résolubles ou non ? Parfois, une équation semble impossible à résoudre. Cette impossibilité est-elle théorique et définitive, ou peut-on la contourner ? En cherchant à répondre à de telles questions, les mathématiciens ont, au fil des siècles, franchi des étapes capitales. Jean-Paul Delahaye problème à N corps, calcul numérique, résolution par radicaux © Pour la Science - n° 440 - Juin 2014 1. L’invention des nombres complexes J érôme Cardan a publié une méthode (sans doute due à son rival Tartaglia) pour résoudre les équa- tions polynomiales de degré 3 à une inconnue. Comme pour celles de degré 2, il propose des formules qui donnent les solutions en fonction des coefficients de l’équation, notés ici a, b, c et d, et du nombre complexe i. Les formules générales pour le troisième degré sont analogues à celles qu’on apprend à l’école pour le second degré... mais sont beaucoup plus compliquées. Nous les indiquons ci-dessous en notation moderne et sans démonstration, juste pour le plaisir esthétique. L’Ars Magna de Jérôme Cardan a été publié en 1545. Il est écrit en latin. Cet ouvrage contient les premières solutions générales d’équations polynomiales de degré 3. rendez-vous pls_0440_p074078_logique_calcul.indd 74 05/05/14 12:02 Logique & calcul [75 © Pour la Science - n° 440 - Juin 2014 R e n d e z - v o u s Se posent alors plusieurs questions. Ce que font ces logiciels est-il parfait ? Seront-ils améliorables jusqu’à résoudre toute équation ? Seront-ils confrontés à des difficultés insur- montables et si oui, connaît-on des équations définitivement insolubles ? Les réponses à ces questions exigent une formulation plus précise, mais si nous faisons cet effort, alors ce que nous ap- prennent les mathématiques et la logique est extrêmement clair... et souvent inattendu. Au passage, nous constaterons que de nom- breux progrès mathématiques proviennent de l’étude des équations insolubles, ou qui apparaissaient telles. C’est en comprenant la nature des insolubilités que de profondes avancées se produisent, dont l’histoire est loin d’être achevée. Ces avancées annoncent peut-être des mathématiques créées par les ordinateurs, que David Ruelle entrevoit (voir l’encadré 5). On sait depuis l’Antiquité que certaines équations n’ont pas de solution, ou du moins n’en ont pas du genre qu’on aurait aimé. L ’équa- tion X2 – 2 = 0, équivalente à X2 = 2, provoqua une révolution mathématique. La résoudre, c’est trouver des nombres qui, multipliés par eux-mêmes, donnent 2. Les mathématiciens grecs recherchaient et attendaient une solution sous la forme d’un quotient de deux entiers. Au ve siècle avant notre ère, Hippase de Métaponte découvrit, du moins d’après ce qu’on croit savoir de l’histoire de cette période peu documentée, qu’on n’y arriverait jamais. Il n’existe pas de solution à cette équation de la forme X = n/d avec n et d entiers. C’était très ennuyeux, car la diagonale d’un carré de côté 1 a pour longueur un nombre X qui vérifie l’équation, ce qui rend donc inconcevable de nier l’exis- tence d’une solution à l’équation ! Prouver l’inexistence de n et d est simple et procède d’un raisonnement par l’absurde. Il utilise le fait que le carré d’un nombre impair l’est aussi, ce qui est évident car (2m + 1)2 = 4m2 + 4m + 1, et des manipulations faciles. Supposons qu’il existe un couple d’entiers (n, d) tel que (n/d)2 = 2, et montrons que cela conduit à une contradiction. On peut supposer que n est impair ou que d est impair (si n et d sont tous les deux pairs, on les divisera par 2 autant de fois que nécessaire). On tire de l’égalité supposée que n2 = 2d2, dont on déduit que n est pair (s’il était impair, n2 le serait et ne pourrait pas être égal à 2d2, qui est pair). En posant n = 2n’, on obtient 4n’2 = 2d2, donc 2n’2 = d2. On en tire alors que d est pair (s’il était impair, d2 le serait aussi et ne pourrait être égal à 2n2). On a ainsi prouvé que n et d étaient tous les deux pairs, ce qui contredit le fait que nous avi- ons déjà simplifié la fraction n/d. L’équation X2 – 2 = 0 est donc insoluble, pour celui qui ne recherche que des solutions s’écrivant comme quotient des deux entiers. Aujourd’hui, on sait qu’en acceptant les nombres irrationnels (non-quotients de deux entiers), l’équation est résoluble, et qu’elle a deux solutions que nous écrivons 2 et – 2. Le nombre 2 se calcule aussi loin qu’on le souhaite, bien que son écriture en base 10 (ou n’importe quelle base) ne s’arrête jamais (puisqu’il est irrationnel) : 2 = 1,4142135623730950488016887 ... La morale de cette histoire est que, pour mesurer les objets les plus simples de la géométrie, nous ne pouvons nous contenter des quotients de deux entiers. L’élémentaire figure géométrique d’un carré nous oblige à accepter l’infinité des chiffres de certains nombres. La notion moderne q p pp g 2. L’équation du cinquième degré L es équations polynomiales de degré 5 ne possèdent pas toujours de solution s’exprimant à l’aide des coefficients de l’équation, des opéra- tions usuelles (addition, soustraction, multiplication, quotient) et du symbole de racine (cinquième ou autre). Cette insolubilité par radicaux des équations de degré 5 ou plus fut établie par Niels Abel, et préci- sée par Évariste Galois. Leurs travaux mirent fin à une quête infructueuse de plus de trois siècles, durant lesquels on chercha à généraliser les méthodes de Cardan pour le troisième degré et de Ferrari pour le quatrième. Abel (1802-1829) et Galois (1811-1832) sont morts jeunes et mal compris. Toutefois le biographe d’Abel, Carl Anton Bjerknes, écrivit : « Au reste, ne regrettons pas trop que l’existence d’Abel se soit passée si tristement. Celui qui, pendant toute sa vie, a dû aller à une aussi rude école, a le privilège de voir et de penser autrement que la majorité des hommes ; et si, par ses efforts et ses études profondes, il a acquis le don de lire les pensées des temps à venir, il ne se fait pas l’illusion d’être compris par les siens ou par ses contemporains. Mais, quand le bonheur lui échapperait, il n’en a pas moins beau- coup vu, et il sait qu’il n’a pas vécu en vain. » La veille de sa mort en duel, Galois annota son mémoire sur la théorie de l’insolubilité des équations de degré supérieur à 5. Pressé par le temps, il écrivit (ci-dessous) : « Il y a quelque chose à compléter dans cette démonstration. Je n’ai pas le temps ». Jean Dubout, avec l'autorisation de la Bibliothèque de l'Institut pls_0440_p074078_logique_calcul.indd 75 05/05/14 12:02 76] Logique & calcul © Pour la Science - n° 440 - Juin 2014 R e n d e z - v o u s de nombre réel est née d’une insolubilité rencontrée par les Grecs. Les équations polynomiales à coeffi- cients entiers ont d’ailleurs été à l’origine d’autres progrès mathématiques quelques siècles plus tard, notamment l’introduction des nombres complexes. L’équation X2 + 2X + 2 = 0 n’a pas de solutions réelles : le carré d’un nombre réel est toujours positif ou nul, d’où : X2 + 2X + 2 = X2 + 2X + 1 + 1 = (X + 1)2 + 1 1 0. Aucun nombre réel, rationnel ou uploads/s3/ eq-3eme-degre-pdf.pdf
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- Publié le Sep 26, 2022
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