La Lettre du cadre territorial • n° 435 • 15 janvier 2012 20 DÉCRYPTAGE DÉBAT G
La Lettre du cadre territorial • n° 435 • 15 janvier 2012 20 DÉCRYPTAGE DÉBAT Guy Martin guy.a.martin@wanadoo.fr Docteur en géographie, ingénieur territorial Contrairement à un discours convenu, nous n’avons pas trop de communes en France. Ces 36 783 institutions de proximité sont au contraire un riche terrain d’expression démocratique et de savoir-faire local. L’indispensable nouvelle réforme territoriale devra en tenir compte. Et si nous n’avions pas assez de communes ? D ès son allocution du 11 octobre 2011 lors de son élection, Jean-Pierre Bel, nouveau président du Sénat, l’affi r- mait sans détour : « la réforme territoriale doit être abrogée et entièrement repensée. […] La recentralisation est une régression. La décentra- lisation doit reprendre sa marche en avant. [Et il faudra] revoir le calendrier de la réforme de l’intercommunalité » (1). Il est facile de prévoir les réactions à ce discours dans certains cénacles très politiquement corrects et conve- nus : on va crier au conservatisme et à la réac- tion des clochers. Pourtant, cette réforme territoriale est bien à abroger, car elle consti- tuait en réalité plus qu’une simple régression, un contresens historique. La nouvelle réforme doit entrer de plain-pied dans le XXIe siècle. DE FAUSSES ÉVIDENCES La réforme à abroger était fondée sur de fausses évidences. La plus signifi cative est sans doute celle qui procède d’une simple approche arithmétique de la réalité commu- nale française. Au 1er mars 2008, la France comptait 36 783 communes, un nombre pré- senté comme aberrant pour qui le compare à ce qui se fait ailleurs en Europe. Il faudrait donc réduire le nombre de communes. Mais pourquoi ? Pour réduire le nombre d’élus ? Parce que toutes ces assemblées locales coû- tent trop cher ? Parce qu’il est bon d’éloigner les représentants des représentés ? Parce que, loin du peuple revendicatif, il est plus aisé de réduire la République, d’amoindrir l’investis- sement dans les services publics, qui appar- tiennent à tous, pour canaliser plus encore de richesses vers quelques-uns ? Parce qu’un faible niveau de démocratie sied au bon fonc- tionnement de l’économie de marché ? Ce technocratisme était déjà en vogue à la fi n du XIXe siècle et, surtout, au lendemain de la Première guerre mondiale. C’est devenu l’idéologie du Fonds monétaire international. ll fallait donc faire mener de force les com- munes à l’intercommunalité par des préfets eux-mêmes revenus, non sans états d’âme parfois, au temps de Napoléon. Mais la véritable modernité, ce peut être autre chose. Et ce peut être surtout plus effi - cace que les recettes du FMI, dont on sait les faibles compétences réelles et leurs eff ets partout où elles ont été subies (2). UN RICHE ACQUIS DÉMOCRATIQUE Au contraire, nos 36 783 communes peuvent être considérées, au début du XXIe siècle, comme une avance de la France sur la voie d’une démocratie réelle. Un remède possible aux pathologies de la démocratie. Une texture vivante et intelligente, particulièrement adaptée au territoire français. L’existence des 36 783 communes procure à la France le plus riche réservoir d’idées et de bonnes volontés dont elle puisse rêver. Dans ces communes existent autant de conseils municipaux qui attirent vers la vie publique des centaines de milliers de citoyens, parmi lesquels une quantité de personnalités inven- tives, amoureuses de leur territoire et qui en conservent bénévolement l’habitabilité, y inventent en permanence d’originales solu- tions. Cette intelligence collective est le fer- ment d’un développement véritablement soutenable, car ascendant, autocentré, fondé sur le réel, dont la région Provence, alors pré- sidée par Gaston Deff erre, fut le laboratoire durant les années 1970. ll y était alors ques- tion de développement autocentré, de « tech- nologies appropriées ». La décentralisation fut un produit de ce laboratoire (3). La proximité de la population communale et du conseil municipal confère à celui-ci une forte légitimité, que les structures intercom- munales n’ont pas à rechercher si elles s’en tiennent à leur fonction technique. Au La Lettre du cadre territorial • n° 435 • 15 janvier 2012 21 L’État doit, quant à lui, assumer les respon- sabilités que lui confie la Constitution. Assurer de nouveau l’indispensable contrôle de la légalité et conduire une politique natio- nale d’aménagement du territoire, conditions de la cohérence et de la solidarité républi- caines. Après plus de vingt ans d’expériences et d’échanges dans le monde des collectivités territoriales, en France ou ailleurs, je suggère une approche de la démocratie territoriale à l’opposé de la pensée dominante. J’affi rme qu’il n’y a pas assez de communes en France et qu’il faut considérer nos 36 000 communes comme une peau vivante, que les lois de la République doivent laisser s’adapter aux enjeux très variables d’un territoire français très varié. 1. Séance du 11 octobre 2011. Compte rendu intégral des débats du Sénat. 2. Independant Evaluation Offi ce of the International Monetary Fund. « Research at the IMF - Relevance and utilization ». Washington DC, mai 2011. Commentaire par Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique - août 2011, page 2. 3. Lire par exemple : Godard Olivier et Ceron Jean-Paul. Planifi cation décentralisée et modes de développement. L’exemple du Bureau méridional de développement agricole en Provence. Paris. Maison des sciences de l’Homme. 1985, 205 pages. Les ressources de l’intelligence collective suscitent en ce début de xxie siècle un intérêt qui émerge. Lire à ce sujet : Surowiecki James, La Sagesse des foules, Paris, 2008 (traduction), Éditions Jean-Claude Lattès. moment même où d’autres pays s’eff orcent d’inventer la démocratie participative en seg- mentant, justement, leurs grandes collectivi- tés locales, faudrait-il en France défaire un maillage de communes qui n’est rien d’autre qu’une forme de démocratie participative déjà ancienne ? TENIR COMPTE DE L’INTÉRÊT DU TERRITOIRE La nouvelle réforme territoriale doit, en somme, tenir compte de l’intérêt du terri- toire. Pour cela, le législateur gagnerait à se fonder sur l’histoire et sur la géographie, en renonçant à la politique hors sol de ces der- nières années. Le sens de l’histoire com- mande que les communes demeurent l’éche- lon fondamental de la démocratie française. La géographie de la France affi rme que le fi n maillage des communes est au territoire ce que la peau est à un corps. Les 36 783 com- munes sont cette texture vivante, ce tégu- ment qui doit pouvoir s’adapter régulière- ment aux enjeux locaux. Les communes doivent pouvoir s’en tenir à leur plus simple expression, ou bien s’épaissir, se complexifi er en fonction des circonstances et se doter des services et des équipements les plus onéreux grâce à une coopération intercommunale librement choisie. La loi doit laisser s’expri- mer cette souplesse et cette intelligence. 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OBJECTIFS : • Appréhender le calendrier de mise en œuvre de la réforme territoriale • Anticiper les procédures à mettre en œuvre pour les communes et les EPCI • Maîtriser les nouveaux outils de mutualisation issus de la réforme • Appréhender les enjeux de l’intervention des EPCI en termes d’aménagement du territoire et d’urbanisme Réforme territoriale et intercommunalité © Marc CECCHETTI — Fotolia.com L CYCLE Réform me t les formations INTERVENANTS • Philippe PETIT Avocat associé au barreau de Lyon • Anne GARDERE Avocate au barreau de Lyon • Olivier PIECHON Avocat au barreau de Lyon DOC DOC À lire Sur www.lettreducadre.fr, rubrique « au sommaire du dernier numéro » - Réformons la réforme territoriale !, La Lettre du cadre territorial, n° 431 - 1er novembre 2011 - Pour un PACS département-région, La Lettre du cadre territorial, n° 432 - 15 novembre 2011 DOC DOC Offre d’abonnement spécial petites collectivités page 51 uploads/s3/ et-si-nous-n-avions-pas-assez-de-communes.pdf
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