L’artiste, le marcheur, le cartographe Livre « La marche conditionnait la vue e
L’artiste, le marcheur, le cartographe Livre « La marche conditionnait la vue et la vue condition- nait la marche à tel point que seuls les pieds, semblait-il, pouvaient voir. » Cette citation de Robert Smithson nous rend attentifs aux synesthésies des protocoles de marches que développent les artistes depuis les années 1960. La marche n’est pas un simple acte mécanique, mais un matériau plastique soumis à des variations et à différents registres d’expérimentation du territoire et du paysage. Les propositions artistiques de Mathias Poisson, présentées et analysées par Laurence Corbel dans l’ouvrage collectif Itinérance. L’art en déplacement visent à bousculer nos habitudes quotidiennes de la marche en inventant de nouvelles pratiques culturelles et sociales qui ouvrent « le champ de la perception et de l’imagination ». Le rapport entre expérience et cartographie, qui constitue l’axe principal de l’article de Laurence Corbel, est également l’une des thématiques fortes de ce recueil de réϐlexions dirigé par Laurent Buffet et édité par De l’incidence éditeur. C’est dans les années 1960 que l’itinérance du corps rentre pleinement dans le champ des arts visuels, non plus seulement comme un sujet de représenta- tion, mais comme une partie intégrante des pratiques artistiques. Durant cette décennie, les artistes sont beaucoup plus mobiles, les frontières institutionnelles de l’art explosent et un ensemble de mutations territoriales et conceptuelles boule- versent le rapport du créateur à l’espace et à la géographie. Laurent Buffet, critique d’art et ensei- gnant, met à proϐit ses connaissances sur « les pratiques itinérantes », acquises dans le cadre d’une thèse de doctorat, en réunissant un corpus de contributions hétérogènes rendant compte « des origines, du développement et de l’actualité de l’itinérance dans l’art contemporain ». L’alternance des formes proposée est enrichissante : le lecteur saute d’un article historique sur la dimension transfrontalière de Dada Zurich (Michèle Martel), à une réϐlexion sur l’idée de « site élargi » et sur la mobilité de l’in situ dans les premières œuvres de Daniel Buren (Frédéric Herbin), à un essai philosophique écrit à deux mains sur les similitudes entre la pratique situationniste de la dérive et certains Street Works américains de le ϐin des années 1960 (Pauline Chevalier et Patrick Marco- lini), en passant par un ensemble d’œuvres impri- mées réalisées par des artistes dont le déplacement constitue un aspect fondamental de leur travail. Ces interventions artistiques contemporaines, adaptées aux contraintes et propriétés de la page de livre, sont disséminées entre les articles, comme une brève anthologie « d’utopies cinétiques » (formule empruntée àPeter Sloterdijk). Pour refermer son introduction, Laurent Buffet propose que ce livre « offre une alternative à l’apologie naïve du nomad- isme, qui depuis quelques années, est souvent de mise en art comme en sciences humaines ». Sans que cela ressorte dans son plan, le livre confronte deux dimensions complémentaires du phénomène d’itinérance : un programme politique (un regard sur la situation du corps social) et un programme réϐlexif sur l’art (où se fait l’art, avec quels outils, dans quelles temporalités). La mobilité de l’objet artistique est un angle d’approche à retenir pour penser différemment l’histoire de l’art des cinquante dernières années ; une approche plus transversale, transgressant les limites imposées par les groupes, les mouvements, ou les catégories esthétiques. La carte, le plan, et la photographie (très présents dans le livre) sont les supports de prédilection des artistes pour enregistrer et conserver des traces de leurs actions, de leurs parcours, de leurs observations qui se perdent dans les espaces urbains ou naturels. Mais la lecture globale du livre attire également notre attention sur le fait que la littérature tient un rôle primordial dans « l’art en déplacement ». Olivia Speer note par exemple qu’il est « possible de commencer n’importe quelle description du travail de Francis Alÿs par la phrase "Il était une fois un homme qui..." et de continuer en racontant l’histoire de n’importe laquelle de ses œuvres ». La marche révèle des interactions sociales dans le milieu urbain, permet de comprendre comment la ville façonne les habitants et elle suscite l’écriture de ϐictions. Les voyages de Simon Starling examinés par Laurent Buffet provoquent également un aller-retour entre le récit et le voyage. Déployant des notions complé- mentaires et rarement redondantes, les contribu- tions sont très bien documentées et les références en note sont faciles à exploiter. Gwilherm Perthuis Laurent Buffet (dir.), Itinérances. L’art en déplacement, Grenoble, De l’incidence éditeur, 2012, 216 pages, 25 euros. Journal Hippocampe, n° 2, novembre 2012, p. 4 uploads/s3/ l-x27-artiste-le-marcheur-le-cartographe.pdf
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- Publié le Nov 20, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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