Romantisme L'artiste romantique en perspective M. José-Luis Diaz Citer ce docum

Romantisme L'artiste romantique en perspective M. José-Luis Diaz Citer ce document / Cite this document : Diaz José-Luis. L'artiste romantique en perspective. In: Romantisme, 1986, n°54. Être artiste. pp. 5-23; doi : 10.3406/roman.1986.4840 http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1986_num_16_54_4840 Document généré le 26/05/2016 José-Luis DIAZ lu artiste romantique en perspective Apparue au XIVe siècle, promue au sens esthétique dans la deuxième moitié du XVIIIe, la notion d'artiste a pris son essor à la Révolution, avant de devenir un mot de passe omniprésent pour la génération de 1830. Continuant, au prix de réaménagements inattendus, à faire son chemin dans l'époque postérieure (celle de Flaubert et des Goncourt), traversant sans encombre des « milieux » aussi disparates que l'univers mental d'un Proust, d'un Carco, d'un Malraux, ou d'un Maurice Rheims1, elle nous parvient enfin après ce long voyage : un peu fripée, mais toujours fringante, et fallacieusement identique à elle-même. Parce que seule peut-être une vue cavalière est propre à contrôler ses agissements séducteurs, à suivre son cours fluctuant à la bourse du Mythe, de la Littérature ou de l'Histoire, il nous a semblé qu'un survol était ici de bonne propédeutique. Seul il permet de tenter de localiser une notion débordante, difficile à circonscrire, et d'autant plus qu'elle fait encore presque partie de notre métalangage esthétique. L'espace d'un article étant trop court pour esquisser, même schématiquement, l'ensemble de sa course, on se contentera ici d'indiquer, après d'autres et grâce à d'autres2, les grandes lignes de son trajet proprement romantique. Après avoir rappelé l'histoire de son émergence, nous nous efforcerons de distinguer les différentes valeurs d'emploi d'une notion Protée, qui intéresse autant la mythologie et la sociologie que l'esthétique romantique. Puis nous nous attacherons à évoquer l'identité idéologique de ses principaux utilisateurs ou détracteurs, tout en essayant de chercher des repères chronologiques qui permettent de mieux situer les grandes phases de sa diffusion, la courbe de sa productivité de concept-mirage. Enfin, nous réservons pour une prochaine publication un dernier développement qui montrera comment cette notion d'artiste a pu concerner le champ littéraire ; elle va cristalliser, en effet, vers 1830, une nouvelle image de l'écrivain, dont la génération suivante ne gardera que le nom, continuant de faire porter la casaque de l'artiste à un « scénario auctoral » sans commune mesure avec celui que le romantisme français explore vers 1827, et consacre après 1830. Si, oubliant l'émergence souterraine de la notion, on veut la prendre au moment où elle s'épanouit et va commencer à intéresser le champ esthétique, c'est dans la seconde moitié du XVIIIe siècle qu'il faut l'aborder. En 1697, tout en se félicitant de la promotion des peintres, des architectes et des sculpteurs à un statut de notoriété qui les rend dignes de figurer dans l'ouvrage, la préface 6 José-Luis Diaz de Hommes illustres de Perrault, parle encore par périphrase de « ceux qui ont le plus excellé dans les Beaux-Arts3 ». En 1719, puis en 1735, l'Abbé du Bos s'obstine à nommer «Artisans illustres» les grands peintres que ses Réflexions critiques sur la poésie et la peinture haussent au niveau des grands poètes4. Et si, dès 1733 par exemple, le mot est employé dans son sens esthétique dans le Temple du Goût de Voltaire5, il faut attendre 1762 et la quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie française pour voir cet emploi consacré6. Encore faut-il remarquer combien cette promotion est loin de recevoir immédiatement un assentiment universel : il suffit de lire la définition que donne Y Encyclopédie en 17517, ou le Dictionnaire de Trévoux en 17718, pour comprendre combien l'émergence de ce sens esthétique du mot a pu longtemps encore être entravée par son sens ancien. Raccordé aux arts, tant libéraux que mécaniques, et non pas aux seuls beaux-arts, qui ne recevront de consécration lexicologique qu'en 1776, dans le Supplément de Y Encyclopédie9 , l'artiste reste, jusqu'à la fin du siècle, un artisan, un technicien, plus encore qu'il ne devient franchement ce créateur esthétique autonome et idéalisé que le romantisme va faire de lui au siècle suivant. L'artiste-type, ce n'est pas encore seulement le peintre ou l'architecte, comme l'admet l'Académie en 1762, qui exclut pour l'heure le musicien, le comédien et le poète de la manne du mot nouveau ; c'est aussi le chimiste ou l'horloger, ainsi que le répètent à l'envi les dictionnaires10. Et même lorsque, en 1798, la cinquième édition du Dictionnaire de l'Académie consacrera à son tour la notion de beaux-arts11, en incluant parmi eux, au grand dam d'un Bonald, la poésie et l'éloquence12, elle ne change rien au binôme canonique des exemples d'artistes donnés par la précédente édition. Un Marmontel ou un Sulzer, un Diderot même ne modifient pas grand chose à cette perspective d'ensemble, valable pour le siècle des Lumières tout entier : même lorsque la notion d'artiste tend à se spécialiser dans son sens esthétique, et qu'elle devient le mot générique pour renvoyer à l'ensemble des professions artistiques (et de manière privilégiée à celles qui se rapportent aux « arts du dessin»), le mot ne perd pas toutes ses attaches avec son sens technique ancien, qui fait de l'artiste le servant dévoué et subalterne du philosophe ou du savant13 : une sorte d'artisan qui ne connaît que la partie matérielle de son « art ». La notion permet bien (grâce à cet alliage du « génie » et de la « main », de l'invention et de la fabrication, qu'en 1762 l'Académie propose pour la définir) de commencer à penser une catégorie de producteurs esthétiques amphibies, moitié artisans, moitié artistes. Mais l'artisan, fût-il l'artisan de luxe, empêtre l'artiste, lui interdit de prendre son envol. L'esthétique reste prisonnière des arts et métiers, et l'artiste est victime d'une double suspicion. S'il s'écarte de ses origines, s'il veut abolir trop vite la distinction des arts libéraux et des arts mécaniques, l'opinion philosophique moyenne crie à la trahison, dénonce le scandaleux privilège des arts d'agrément sur les arts utiles14. S'il reste sagement dans son « art », s'il accepte la place modeste que lui conférait la hiérarchie ancienne, il est condamné à une compétence purement technique, et accusé de se complaire dans le sensible, voire le sensuel, incapable qu'on le dit d'une quelconque autonomie intellectuelle. Sébastien Mercier comme Madame de Staël, dans De la littérature, pourraient à cet égard témoigner de la belle continuité de la pensée philosophique. Unanimes à condamner l'esprit de luxe et de sensualité qui constitue à leurs yeux comme la philosophie implicite des beaux-arts, ils sont unanimes aussi à condamner l'artiste pour sa dépendance économique à l'égard du grand seigneur, seul en mesure d'acheter son œuvre, ainsi que pour son absence de liberté politique, qui le rend objectivement le suppôt des puissants15. L'artiste romantique en perspective 7 Aussi, et malgré les quelques indices qui, de ci de là, indiquent l'ouverture de l'enceinte des beaux-arts à l'éloquence et à la poésie, trouverons-nous notre tandem d'héritiers des Lumières également résolus à proscrire l'emploi de la notion d'artiste pour désigner l'écrivain. « Un ouvrage qui n'est pas écrit avec philosophie classe son auteur parmi les artistes, mais non parmi les penseurs », prône sévèrement la grande dame de Coppet16, pour l'heure encore l'héritière fidèle des impensés du salon de Mme Necker. Et le célèbre auteur du Tableau de Paris (qui prend sous la Révolution et sous l'Empire des allures de Don Quichotte attardé des idéaux philosophiques, et se fabrique à coups de sorties intempestives une identité volontiers raillée de pourfendeur de la peinture17) s'efforce de surenchérir. Déjà inquiet en 1778 que ces « artistes » à leur façon que sont le romancier et le poète, ces aimables compositeurs de simulacres littéraires, l'emportent un jour sur la Philosophie18, il se félicite railleusement en 1796 que la mode frénétique qui s'est emparée du mot à la Révolution19 se soit arrêtée aux confins du bastion littéraire. Heureusement, aux côtés de l'artiste- danseur, de l'artiste-comédien, de l'artiste ventriloque, de l'artiste-violon, honteusement promus par la débauche linguistique révolutionnaire, l 'artiste- homme de lettres n'a pas été osé! «On a été sur le point de dire l'Artiste Montesquieu, l'Artiste Buffon20»; mais on Га échappée belle. C'est qu'aux yeux de Mercier comme à ceux de Mme de Staël, seul l'écrivain philosophique, le penseur, présentent toutes garanties d'indépendance intellectuelle et politique; au contraire, les «artistes littéraires», heureusement impossibles pour l'heure, feraient tomber la « haute littérature », ce palladium de la liberté21, sous la dépendance des hauts et puissants seigneurs de la Cour, de la Finance ou de la Coulisse. Il n'est pas lieu ici de continuer par le menu l'aventure de la « romantisa- tion » progressive de la notion d'artiste, si peu commencée en France au siècle des Lumières. Les stations obligées de cette histoire seraient chez Diderot, chez Mme de Staël, chez le Cousin du Cours de 1818, chez le jeune Stendhal, ainsi que chez les divers témoins de l'influence de la notion germanique de « Kiinstler22 ». Mais le destin proprement romantique du mot ne va être lancé que par De l'Allemagne en 1810-14. Déjà, dans Corinne, publié en 1807, un changement radical s'est imposé ; uploads/s3/ l-x27-artiste-romantique-en-perspective-pdf.pdf

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