Tous droits réservés © Tangence, 2002 Ce document est protégé par la loi sur le
Tous droits réservés © Tangence, 2002 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 5 juil. 2019 09:12 Tangence Une sémiotique du portrait A Semiotics of Portraiture Anne Beyaert Perceptions Numéro 69, été 2002 URI : https://id.erudit.org/iderudit/008074ar DOI : https://doi.org/10.7202/008074ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Tangence ISSN 0226-9554 (imprimé) 1710-0305 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Beyaert, A. (2002). Une sémiotique du portrait. Tangence, (69), 85–101. https://doi.org/10.7202/008074ar Résumé de l'article Genre le plus prolifique de la peinture, le portrait en est également l’origine puisque, selon un mythe remontant à Pline l’Ancien, c’est l’ombre portée d’un corps et sa délinéation qui déclencha l’invention des arts visuels. Or, là où l’histoire de l’art convient plutôt de la diversité du genre et rappelle que, de L’homme du puits du Paléothique jusqu’aux plus récents tableaux de Glenn Brown, le portrait n’omet aucune époque ni aucun style, la sémiotique peut, en s’attachant à un « modèle énonciatif », ambitionner d’établir son unité. Tout d’abord, si le souci du portrait se partage historiquement entre la ressemblance et l’expressivité, la visée mimétique qu’il accomplit se conçoit plus fondamentalement comme un « effet de présence ». Il s’agit de faire « comme si l’autre, l’absent était ici et maintenant le même, non pas présence mais effet de présence », estime Louis Marin, qui reprend ainsi les termes du traité d’Alberti et assigne à la peinture la vocation de « rendre les absents présents ». À quoi tient alors le souffle de vie ? À certaines dispositions de la syntaxe figurative, à l’inscription particulière de la figure dans la profondeur de l’espace pictural, des données qui s’accordent pour constituer la présence sémiotique de l’absent. En s’attachant à porter le poids de présence sur le corps représenté, le dispositif du portrait convoque également la notion de rivalité actantielle et détermine la relation de la figure au fond. On parvient ainsi à une définition sémiotique du portrait fondée sur trois instances, le visage, la tête puis le regard, qui restituent les conditions de la présence de l’autre. Car dans son effort pour incarner la figure actorielle et donner ce souffle de vie qui « rend présent » l’absent, le portrait restitue surtout une expérience affective par laquelle deux sujets se « destinent » l’un à l’autre. Une sémiotique du portrait Anne Beyaert, Université de Limoges Genre le plus prolifique de la peinture, le portrait en est également l’origine puisque, selon un mythe remontant à Pline l’Ancien, c’est l’ombre portée d’un corps et sa délinéation qui déclencha l’invention des arts visuels. Or, là où l’histoire de l’art convient plutôt de la diversité du genre et rappelle que, de L’homme du puits du Paléothique jusqu’aux plus récents tableaux de Glenn Brown, le portrait n’omet aucune époque ni aucun style, la sémiotique peut, en s’attachant à un « modèle énoncia- tif», ambitionner d’établir son unité. Tout d’abord, si le souci du portrait se partage historiquement entre la ressemblance et l’expressivité, la visée mimétique qu’il accomplit se conçoit plus fondamentalement comme un « effet de présence ». Il s’agit de faire « comme si l’autre, l’absent était ici et maintenant le même, non pas présence mais effet de présence», estime Louis Marin, qui reprend ainsi les termes du traité d’Alberti et assigne à la peinture la vocation de « rendre les absents présents ». À quoi tient alors le souffle de vie? À certaines dispositions de la syntaxe figurative, à l’inscription particulière de la figure dans la profondeur de l’espace pictural, des données qui s’accordent pour constituer la présence sémiotique de l’absent. En s’attachant à porter le poids de présence sur le corps représenté, le dispositif du portrait convoque également la notion de rivalité actantielle et détermine la relation de la figure au fond. On parvient ainsi à une définition sémiotique du portrait fondée sur trois instances, le visage, la tête puis le regard, qui restituent les conditions de la présence de l’autre. Car dans son effort pour incarner la figure actorielle et donner ce souffle de vie qui « rend présent » l’absent, le portrait restitue surtout une expérience affective par laquelle deux sujets se « destinent» l’un à l’autre. Le visage d’autrui est sa manière de signifier Emmanuel Lévinas 1 1. Emmanuel Lévinas, Altérité et transcendance, Montpellier, Fata Morgana, 1995, p. 172. Si le portrait est un genre de la peinture qui recherche la représentation ressemblante d’une personne, cette définition con- sensuelle ne résiste guère à l’examen. La beauté d’une œuvre, la réussite d’un portrait ne sont pas dans la ressemblance mais dans «un surcroît», comme l’explique par exemple Paul Ricœur. Elles ne tiennent, précise le philosophe, «ni à la qualité de [la] représen- tation, ni au fait que c’était ressemblant à un modèle, ni à leur con- formité à des règles prétendues universelles, mais à un surcroît par rapport à toute représentation et à toute règle 2». Ainsi la ressemblance s’efface-t-elle sous l’effort qui porte le portrait vers la présence, et l’effet de présence. Comme l’indique déjà Alberti dans De pictura 3, « [la peinture] a en elle une force tout à fait divine qui lui permet non seulement de rendre présents, comme on le dit de l’amitié, ceux qui sont absents, mais aussi de montrer après plusieurs siècles les morts aux vivants 4». Cet effet de présence du portrait se conçoit au sens de la philosophie et reste alors pour nous ineffable, mais il se satisfait aussi d’une conception sémiotique, c’est-à-dire relationnelle, pour rendre compte de ce que deux sujets sont l’un pour l’autre. Nous plaçant du point de vue de la sémiotique, et plus particulièrement de la sémiotique tensive actuelle, notre projet est d’examiner quelques conditions essentielles de cette présence du portrait pour, dans un second temps, identifier celui-ci à trois instances : le visage, la tête et le regard. La «bonne distance» La philosophie et la sémiotique s’accordent à voir dans la dis- tance la toute première condition de la présence du portrait. Dans Tension et signification 5, en effet, Jacques Fontanille et Claude Zil- berberg relient, sans s’attacher à vrai dire au domaine visuel, la 86 TANGENCE 2. Paul Ricœur, La critique et la conviction. Entretien avec François Azouvi et Marc de Launay, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 271; je souligne. 3. Alberti, De pictura [1435], traduction de Jean-Louis Schefer, Paris, Macula, 1992, p. 131. La phrase figure au livre II, chapitre 25. Alberti paraphrase ici Pline l’Ancien au livre XXXV de son Histoire naturelle. 4. Louis Marin l’exprime d’ailleurs en des propos similaires: «Le premier effet de la représentation en général : faire comme si l’autre, l’absent, était ici et maintenant le même; non pas présence, mais effet de présence» (Le portrait du roi, Paris, Minuit, 1981, p. 9). 5. Jacques Fontanille et Claude Zilberberg, Tension et signification, Liège, Mar- daga, 1998. présence et la distance, la proximité accordant aux objets une pré- sence actuelle qui devient potentielle lorsqu’ils s’éloignent du sujet. Cette approche, qui fait de la distance le critère de la présence sémiotique, valide cependant un lien déjà établi par la phénomé- nologie. Ainsi Merleau-Ponty évoquait-il son incidence sur la per- ception: Pour moi qui perçois, l’objet à cent pas n’est pas présent et réel au sens où il l’est à dix pas […] Cette perception privilégiée assure l’unité du processus perceptif et recueille en elle toutes les autres apparences 6. Et le philosophe appréciait plus loin la distance qui convient préci- sément à la figure humaine: Un corps vivant vu de trop près, et sans aucun fond sur lequel il se détache, n’est plus un corps vivant, mais une masse matérielle aussi étrange que les paysages lunaires […] vu de trop loin, il perd encore la valeur de vivant, ce n’est plus qu’une poupée ou un automate. Le corps vivant lui-même apparaît quand sa microstructure n’est ni trop, ni trop peu visible, et ce moment détermine aussi sa forme et sa grandeur réelles 7. La « bonne distance » du portrait, telle que la définit Maurice Merleau-Ponty, peut prendre un sens tout à fait littéral pour les portraitistes tels qu’Alberto Giacometti par exemple, qui, pour marquer une fois pour toutes l’écart entre les deux sujets, avait fixé au sol de son atelier le siège de son modèle et le sien. Cette proximité des corps que l’espace pictural traduit par un plan rapproché trouve sa première motivation dans la possibilité d’une reconnaissance de l’objet à peindre. La distance permet de contrôler la grandeur du modèle et d’accomplir la visée miméti- que, une propriété qui engage à lui préférer la notion de profon- deur. La profondeur, en effet, domine toutes les autres dimensions de l’objet, comme uploads/s3/ une-semiotique-du-portrait.pdf
Documents similaires










-
92
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 28, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1663MB