L’intellect en puissance selon Averroès Je vais essayer de présenter de manière
L’intellect en puissance selon Averroès Je vais essayer de présenter de manière générale comment Averroès interprète la notion d’intellect en puissance, qu’Aristote introduit dans le De an. III, chap. 4. C’est évidemment une question importante dans l’histoire de la philosophie, surtout de la philosophie occidentale. En revanche, la doctrine de l’unité de l’intellect est un non-événement dans l’histoire de la philosophie arabe. Du point de vue du péripatétisme arabe, elle n’a en effet rien de scandaleux. Elle n’a été considérée, perçue comme problématique que dans la scolastique latine portée à considérer l’intellect comme forme substantielle du corps humain. La doctrine avicennienne de l’intellect agent, apparue antérieurement, faisait déjà problème. Dans ce contexte, la doctrine « averroïste » de l’unité de l’intellect en puissance incarne une sorte d’« extrémisme » philosophique, à un moment où la réception de la noétique gréco- arabe, introduite de fraîche date, est déjà perçue comme problématique. Mais ce n’est pas le sujet. Le problème de la réception de la doctrine de l’unité de l’intellect est une chose, ce que dit vraiment Averroès interprète d’Aristote en est une autre. Je vais donc aborder deux points. Premièrement, présenter les trois états de la doctrine de l’intellect d’Averroès qui se trouvent dans les textes d’Averroès qui nous ont été transmis. Elles apparaissent comme trois doctrines distinctes, qui nous semblent extrêmement différentes les unes des autres. Averroès dit lui-même avoir beaucoup changé d’avis sur la question. On peut même dire qu’elle l’a obsédé tout au long de son parcours, elle était absolument centrale, puisque pour lui, la finalité ultime de la philosophie est de concevoir, pour pouvoir la réaliser en soi-même, la fin dernière de l’homme, laquelle s’identifie à la perfection philosophique, et d’expliquer comme l’homme s’éternise au terme du perfectionnement graduel de sa faculté intellective, par la connaissance théorétique de toutes les choses de l’univers. Cela devait porter naturellement à réfléchir sur la nature du substrat humain de cette possibilité à recevoir une perfection éternelle. C’est la raison pour laquelle la question posée par l’interprétation de quelques passages du De an. d’Aristote (III, 4) sur « l’intellect en puissance » est absolument capitale pour Averroès. De plus, on doit noter que cette question a été traitée par Averroès avant même la lecture d’Aristote – en effet, le plus ancien texte psychologique d’Averroès, le Compendium sur l’âme (improprement appelé « petit commentaire ») ne comporte aucune référence directe à Aristote, mais dépend directement et indirectement du De anima d’Alexandre d’Aphrodise ; et que l’approche alexandrienne initiale allait refluer ensuite sur la lecture par Averroès du De anima aristotélicien, et ses commentaires. Par delà les trois doctrines différentes et successives que l’on peut trouver dans les textes, je vais essayer de faire ressortir ce qui en fait l’unité. On pourra appréhender celle-ci en étudiant l’analogie proposée par Averroès entre l’intellect en puissance (ou « matériel »), « milieu » de l’intelligible, et le diaphane milieu de la perception sensible, de la vue. On y reviendra. L’autre dénominateur commun entre les différents états de la doctrine de l’intellect en puissance est un cadre général, donné par l’enseignement d’Alexandre dans le De anima : Alexandre présente dans le De anima une conception de la hiérarchie des facultés de l’âme où celles-ci sont ordonnées de telle sorte que chaque faculté supérieure entretient une relation de forme à substrat (mawdû‘) avec celle qui lui est inférieure, sur un mode quasi hylémorphique. La végétative, qui est la forme réalisée en acte dans un être qui présente un degré de mélange approprié est, selon Alexandre, le substrat de la faculté sensitive qui en est la forme. La faculté végétative étant elle-même une forme, la forme supérieure du vivant sentant se réalise sur la précédente comme une « forme de forme » – conception non strictement aristotélicienne –, comme une capacité qui somme les capacités de l’ensemble des formes qui lui sont inférieures, lesquelles lui servent de substrat. Cet agencement est le prolongement de ce qui s’observe déjà au niveau des êtres les plus simples, en partant des élements (voir à ce sujet l’introduction de P. Accatino et P. Donini (Alessandro di Afrodisia, L’anima, Bari, 1996). Les facultés animales, formes de corps vivants, s’organisent hiérarchiquement de la même manière que celles des corps inertes, les formes des corps simples vis-à-vis de celle des homéomères ; celles de ces derniers vis-à-vis des anhoméomères. Cet agencement se prolonge au niveau des formes du vivant, dans la relation entre la végétative et la sensitive ; entre cette dernière et l’imaginative (ce qui revient, pour Averroès, à dire, avec Aristote, que l’imagination est la forme du sens en acte) ; enfin entre cette dernière et la faculté intellective à l’état de puissance (ce qu’Alexandre nomme l’intellect matériel, nous hylikos, al-‘aql al-hayûlânî). L’imagination est le substrat de cette faculté, qui en constitue la forme. Tant du point de l’échelle de la nature, qui culmine avec la forme de l’homme, laquelle consiste dans un emboîtement de formes dont chaque inférieure est substrat de celle qui la suit, cet agencement culminant avec la faculté intellective ; que d’un point de vue plus fonctionnel (selon Aristote, on ne pense pas sans imagination ; un être qui imagine et seul un tel être peut être doté de la capacité à intelliger), l’intellect est la forme dont l’imagination (ou, si l’on veut, l’être corporel qui en est doué) est le substrat. La thèse est donc que l’imagination, ou la forme imaginée, est un sujet (mawdû‘, subjectum) de l’intellect. Averroès ne se départira jamais de cette formule, mais elle va acquérir successivement, dans les diverses formulations de sa théorie, des significations différentes. Lorsque Averroès en arrive à concevoir l’intellect en puissance, ou intellect matériel, comme une substance séparée et unique pour tous les hommes, sujet récepteur de l’intelligible, il maintiendra néanmoins que l’imagination est aussi un « sujet » de l’intellect, ce qui aboutira à la théorie dite des « deux sujets : l’intellect a deux sujets, le récepteur qui est cette forme séparée, dans laquelle s’actualise la pensée humaine ; et un sujet moteur, les formes de l’imagination. Les formes imaginées meuvent l’intellect en puissance à intelliger en acte, éclairées par la lumière de l’intellect agent. Ce modèle triangulaire donnera à Averroès un cadre pour interpréter l’analogie aristotélicienne entre l’intellection et la vision. Dans cette analogie, la lumière est l’intellect agent, l’image est l’objet vu et l’intellect matériel est la faculté de la vue. Averroès spécifiera : la qualité qui permet à la vue d’appréhender son objet est le diaphane. La substance qu’est l’intellect en puissance est donc plus proprement analogue au diaphane, permettant ainsi de mieux déterminer la relation entre l’agent et le récepteur dans l’ordre de l’intelligible, comme analogue à celle de la lumière à son milieu diaphane. Venons-en aux différents moments de l’évolution de la doctrine de l’intellect en puissance. Averroès est revenu sur cette question, il a retravaillé ses textes. Outre les trois œuvres relatives à la doctrine psychologique aristotélicienne, à savoir, le Compendium sur l’âme (Talkhîs K. al-nafs…, éd. F. al-Ahwânî, le Caire, 1950), le Commentaire Moyen sur le De an. d’Aristote (éd. A. L. Ivry, Averroës, Middle Commentary…, Provo, Utah, 2002) et le Grand Commentaire sur le même texte (Averrois Cordubensis Commentarium magnun…, éd. F. S. Crawford, Cambridge Mass., 1953), il existe plusieurs épîtres, dont certaines très longues où est également traitée la question de la nature de l’intellect matériel. L’histoire de ces commentaires sur le De an. est particulièrement compliquée. On pensait jusqu’à une période récente que le Commentaire Moyen d’Averroès, ou Paraphrase, était antérieure au Grand Commentaire. On sait maintenant qu’il a existé une rédaction du Grand Commentaire antérieure au Commentaire Moyen, qui a servie en partie de modèle pour rédiger ce dernier, par abrègement. Ultérieurement à cela, le Grand Commentaire a fait l’objet de corrections et d’additions, ce qui a donné le modèle de la version latine par Michel Scot. Les développements concernant l’unité de l’intellect sont propres à cette version tardive, mais ils ne se trouvaient pas sous la même forme dans la première rédaction du Grand Commentaire, qui précède le Commentaire Moyen. C’est le Grand Commentaire dans son état final qui à provoqué dans le monde latin les querelles autour de l’unité de l’intellect. De la rédaction antérieure, il ne reste que des fragments en arabe dans un manuscrit judéo-arabe. Elle a fait l’objet d’une traduction arabo-hébraïque médiévale, elle-même conservée en partie dans des surcommentaires au Commentaire Moyen d’Averroès rédigés au XVe siècle en Espagne par plusieurs membres de la famille des Shem Tov. Nonobstant ces questions, le texte le plus ancien d’Averroès sur la question de l’intellect est certainement le Compendium sur l’âme, écrit à la fin des années cinquante du XIIe siècle, et auquel est à peu près contemporaine la très longue épître sur la Possibilité de la jonction, transmise seulement en hébreu sous le titre Igeret Efsharût ha-deveqût (éd. et trad. angl. K. P. Bland, New York, 1982). La doctrine exprimée dans le Compendium et dans la Possibilité de la jonction est que l’intellect uploads/s3/ l-x27-intellect-en-puissance-selon-averroes-pdf.pdf
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- Publié le Oct 24, 2021
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