La fièvre du mardi soir. Christophe Dechavanne. Copyright : Édition°1, Paris 19
La fièvre du mardi soir. Christophe Dechavanne. Copyright : Édition°1, Paris 1991. Adaptation : Petula Von Chase À Pauline, et Paulo... 1. Autoportrait. Ça fait drôle d'être son propre invité. D'habitude, je dis : "Bonsoir. Nous sommes ensemble, si tout va bien, jusqu'à la fin de cette émission. Mesdames, messieurs, je vous demande d'applaudir... X ou Y." Et X ou Y entre sur le plateau. Et Ciel, mon mardi commence. Il y a du monde partout : l'invité qui mettra son grain de sel tout au long de l'émission, les participants aux deux débats, les journalistes du bloc-notes. Et les techniciens, et le public... et moi. Chaque mardi, du bruit, souvent de la fureur, j'espère, quelques sourires... et bien sûr... de la fièvre ! Mais là, rien de tout ça. Je suis mon propre invité. Mon seul invité. Et ça fait carrément drôle : de se poser des questions (merci de me l'avoir posée...), de se donner des réponses (bonne réponse...), Christophe qui jongle avec Dechavanne. Ou le contraire... Mais allons-y... Nous sommes donc ensemble, si tout va bien, jusqu'à la fin de ce bouquin. Mesdames, messieurs, je vous demande d'applaudir (ne fût-ce qu'à titre d'encouragement) quelqu'un qui est né le 23 janvier 1958 ; qui n'a pas été un élève brillant, brillant ; qui a fait plein de petits métiers pas très folichons ; qui a mis un jour les pieds dans le PAF ; qui a grimpé vite fait, comme une petite bête qui monte, qui monte, et qui aujourd'hui, mesdames, messieurs, est une vedette, eh oui !, que l'on regarde nombreux sur le petit écran et que l'on reconnaît dans la rue. J'ai nommé Christophe Dechavanne. Alors là, moi, je sors de l'obscurité, je m'avance devant vous, je m'incline, je souris un peu mécaniquement parce que, au fond, ces applaudissements m'intimident, et je me dis : "Mais c'est pas vrai ! Le portrait, là, que l'on vient de faire, c'est pas moi. Rien de faux, non, mais le tout n'est pas juste." Qui se reconnaîtrait vraiment dans sa notice biographique, une vie mise en clip, quelques dizaines d'années mises en spot ? Bien fait ! Me voilà victime du traitement que j'inflige, chaque semaine, à mes invités-vedettes. Et, tant qu'à faire, soyons victimes jusqu'au bout. Un jour, deux journalistes m'ont demandé mon "j'aime j'aime pas" à moi. J'ai rechigné. Ils ont insisté. Alors, le voilà ; après tout, ça doit bien vouloir dire quelque chose. J'aime : La campagne La bouffe... bonne Les cigares Ma famille Lire les journaux Téléphoner L'hélicoptère Mon chien Cleb's La course automobile Le ski Dormir Les paysans Depardieu, que je connais si peu Pianoter Mon patron Ma patronne Les pâtes al dente L'air conditionné l'été en auto La minute qui précède l'émission Et mon pote Fred (nom de guerre : Fox) J'aime pas : Les feuilles de salade sous le bifteck dans les brasseries (je compte monter une association, la CFSSS : Contre la Feuille de Salade Sous le Steak) Les mondanités Les hypocrites Les invités qui se décommandent au dernier moment avant l'émission La pâte d'amandes, sauf dans les calissons d'Aix. Et encore... Le poisson cru Les donneurs de leçons Le free-jazz Les manipulations de foules Être incompris La mayonnaise trop liquide Le beurre mou Qu'on serve le Coca à ma place dans mon verre Les preneurs d'otages La neige fondue en ville Répéter trois, quatre ou cinq fois la même chose Les fils à papa Être enrhumé Les infidèles ...et quelques autres petites choses. C'est sommaire, comme autoportrait ? Pas plus, après tout, que les caricatures que font de moi régulièrement, dans les journaux ou ailleurs, quelques procureurs patentés. Eux, ma biographie, ils la rêveraient sous forme de casier judiciaire. Du genre : Christophe, suspect. Dechavanne, accusé. Christophe Dechavanne, coupable. De quoi ? De légèreté, de provocation, d'inculture, d'outrance. Il joue avec le feu. Il racole. Il caracole. Il débauche. Il pousse au crime. Je serais, pour tout dire, une sorte d'anarchiste bon genre (les pires), un voyou bien mis, un Drucker version canaille. Louche. Irresponsable, promu symbole d'une société de spectacle, peu regardant sur le fond du spectacle pourvu qu'il y en ait. Y a pas plus grave, comme chef d'inculpation. Surtout que la nature de mon activité coupable et son succès me font corrupteur, dévergondeur, incitateur à la débauche et pousseur à la provocation d'un large public. Pensez, quelque six ou sept millions de téléspectateurs et, parmi eux, beaucoup de jeunes (d'après un sondage Ipsos, Ciel, mon mardi arrive en tête des émissions préférées des quinze-trente ans), autant de gens tous pervertis, sûrement ! J'ai retrouvé ces phrases de mon "ami" Thierry Ardisson : "Chaque mardi soir, devant des milliers d'adolescents fanatisés par ses mimiques, il (moi) racole en spectacularisant les crises de la société française (...) C'est en regardant les émissions de M. Dechavanne que la génération hamburger se fait une religion sur la peine de mort ou la légitime défense." Rien que ça ! Comme si la "génération hamburger", comme il dit, le camarade Ardisson, était imbécile ! Bel exemple de mépris ou, au moins, de méconnaissance. Ah, juste un détail : Ardisson est sûrement le plus brave de mes critiques... Une chose toute simple : Je vis, on vit, dans une société où il se passe sans cesse des trucs sur lesquels j'ai envie de réagir. Parce qu'ils m'amusent, m'énervent ou m'intéressent. Je le fais, sans complaisance, avec le regard des gens de trente ans. Il m'arrive d'ébouriffer un peu les bien-pensants. Allez ! Je dis tout : j'aime bien l'impertinence et je ne déteste pas le frisson. Mais je ne recherche pas systématiquement le "coup" à tout moment ni à tout prix. Tant pis si on ne me croit pas ; moi, je le sais. Quelques mots, maintenant, sur moi. C'est plus compliqué. Qu'est-ce qui fait que l'on est ce que l'on est ? J'ai eu une jeunesse agitée et confortable. Milieu bourgeois, père promoteur-marchand de biens, mère journaliste-pigiste. Et moi, j'ai beaucoup chahuté, beaucoup déconné. Quelques "fiancées", plein d'aventures et quelques mésaventures. Ma mère flippait sur moi et mes études pourries. "Ma pauvre amie", lui disaient ses bonnes copines... J'étais un peu branleur, quoi ! Jusqu'au moment où j'ai tout fait pour devenir journaliste : des mois de galère. Et là, j'ai pas changé d'avis quatre fois par semaine, je me suis accroché comme un fou. J'ai presque tout accepté, tout fait. C'est peut-être là que je suis devenu plus sérieux. D'autres choses m'ont plombé la tête. C'est par le malheur qu'on apprend le plus. La mort de mon père, d'abord. J'avais avec lui des rapports moyens. C'est à ma mère que je ressemble le plus, même physiquement. Je mange aussi peu qu'elle. Je suis aussi "speed" qu'elle. Elle est fière de moi, regarde Ciel, mon mardi sans en louper un, aime plutôt tout, est sur un nuage quand on lui dit du bien de moi, et fait preuve, au total, d'un manque d'objectivité flagrant. Mon père et moi, nous n'étions pas très proches. Le seul vrai souvenir que j'ai eu avec lui, c'est celui d'un match de boxe Boutier-Monzon, au stade de Colombes. C'était en 1974, je crois. Sa mort, dix ans plus tard, a été évidemment très dure. Il ne se passe pas une semaine, aujourd'hui, sans que je pense à lui. Et je reste jaloux quand quelqu'un me raconte les activités qu'il partage avec son père. Ça fait partie des choses qui m'ont fait. J'ai deux enfants, de deux mamans différentes. Je bouleverserais ma vie pour eux, si besoin était. Je ne veux pas tomber dans le morbide. Ni donner à penser que j'ai plus souffert que beaucoup, ce serait faux. Mais il faut que je parle encore de ma grand-mère. Elle a habité chez moi. C'est elle qui me grattait le dos, elle qui me disait : "Toi, tu feras de la télé, comme Sabatier." Elle s'est un peu laissée mourir. Fatiguée de la vie, fatiguée de vieillir, fatiguée de souffrir des hanches. Elle avait fait don de son corps à la médecine. Je suis allé la voir à la clinique. Elle a été emportée dans un sac en plastique, sous mes yeux. J'avais dix-neuf ans. Il faut aussi que je parle de Luc et de Guylaine. Luc était mon pote. On était ensemble à Fénelon. On s'est perdus de vue. Et puis, je l'ai rencontré, par hasard, dans la rue. Une loque. Il se droguait, avait fait de la prison pour vol. Je le revois, je l'appelle. Il fait une cure de désintoxication. Je lui repeins son appartement. Il me jure que c'est fini. Je lui prête un peu d'argent. Pendant quatre jours, plus de nouvelles. Sa mère ouvre la porte. Il était mort, une seringue à la main. Je m'en suis toujours voulu de ces quatre jours de break. Guylaine, c'était ma meilleure copine. Une amie. On était intimes, sans avoir jamais fait l'amour ensemble. Elle connaissait tout de moi, mes pensées, mes amours, mes envies. Elle uploads/s3/ la-fievre-du-mardi-soir-by-christophe-dechavanne.pdf
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- Publié le Jui 21, 2022
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