Transposition Musique et Sciences Sociales Hors-série 1 | 2018 Musique, histoir

Transposition Musique et Sciences Sociales Hors-série 1 | 2018 Musique, histoire, sociétés La musicologie des processus de composition Entre histoire et cognition Nicolas Donin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/transposition/1689 ISSN : 2110-6134 Éditeur CRAL - Centre de recherche sur les arts et le langage Référence électronique Nicolas Donin, « La musicologie des processus de composition », Transposition [En ligne], Hors-série 1 | 2018, mis en ligne le 30 janvier 2018, consulté le 11 mai 2018. URL : http:// journals.openedition.org/transposition/1689 Ce document a été généré automatiquement le 11 mai 2018. La revue Transposition est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International. La musicologie des processus de composition Entre histoire et cognition Nicolas Donin 1 La composition musicale a un statut paradoxal au sein des études musicales. La communauté musicologique a travaillé dur, au cours des dernières décennies, pour déconstruire le canon de la musique classique, rendre audibles et légitimes les musiques et musicien-ne-s « autres » (notamment populaires, minoritaires, amateur), déprendre l’écriture de l’histoire de son addiction à quelques figures récurrentes de compositeurs, faire apparaître l’historicité de l’écoute, la créativité de l’interprète, l’infrastructure collective et sociale des faits musicaux. À force d’élargir les objets et les ambitions de la discipline, nous aurions pu au moins nous rassurer en pensant que nous savions déjà tout en matière de composition. Mais ce n’est pas vraiment le cas. Comme le suggérait François Delalande dans un texte pionnier d’analyse des stratégies créatrices1, si la musicologie a toujours eu beaucoup à dire sur les compositions musicales, elle a relativement peu à dire sur la composition en tant que pratique. En outre, le développement institutionnel de la musicologie, en France comme ailleurs, n’a pas favorisé un dialogue étroit avec les praticiens de la composition, dont les savoirs et savoir-faire continuent de se transmettre, pour l’essentiel, derrière des portes closes. Le paradoxe est donc le suivant : bien que la composition ait occupé (et occupe encore parfois) un rôle socio-historique éminent dans la culture musicale occidentale au point de susciter la critique sur l’attention démesurée qui lui est généralement accordée en comparaison avec d’autres facettes du fait musical, le savoir sur ce en quoi elle consiste pratiquement est assez modeste. 2 Dans le présent texte, j’aimerais interroger les acquis et les résistances de plusieurs approches de l’activité de composition musicale, puis introduire des recherches récentes qui se sont efforcées d’en renouveler et approfondir la connaissance grâce à des alliances interdisciplinaires soucieuses de ne pas opposer a priori les unes aux autres sciences sociales, humanités et sciences cognitives. Il s’agit donc de suggérer un chemin possible vers une musicologie de la composition – et plus généralement des processus créatifs en La musicologie des processus de composition Transposition, Hors-série 1 | 2018 1 musique – articulant, en l’occurrence, étude de la singularité des faits musicaux (traditionnellement assurée par l’ancrage philologique, historique, et plus récemment analytique de la musicologie) et étude empirique de la cognition (traditionnellement domaine réservé de la psychologie expérimentale)2. La pratique des compositeurs comme objet de recherche 3 Une tradition philologique remontant au XIXe siècle a habitué les musicologues à recenser et mobiliser toutes les traces manuscrites de l’activité des « grands compositeurs » du passé. En témoignent les éditions critiques des œuvres canoniques, les partitions dites Urtext (si estimées ou si décriées, selon les points de vue), ou la publication et exégèse des carnets d’esquisse de Beethoven depuis l’époque de Gustav Nottebohm. Mais l’étude musicologique des esquisses de compositeurs a surtout pris son essor au cours des années 1970 aux États-Unis, au point de donner son nom en anglais à une sous-discipline à part entière : les « Sketch Studies »3. Ces études compréhensives de genèse peuvent être rapprochées, par leur méthode et leurs visées, des nombreuses études de « critique génétique » réalisées à la même époque en France et en Europe dans le domaine littéraire : elles ont en partage le souci de délimiter un corpus d’« avant-textes » (recouvrant les esquisses, plans, brouillons d’un texte final visé), et celui de contribuer de façon originale à la connaissance des œuvres dans leur littérarité/musicalité spécifique (et non pas seulement sur le plan de l’établissement philologique du texte et de ses « états »)4. Du point de vue de l’analyse musicale, les plus abouties des études de ce type permettent de comprendre de façon non téléologique comment les qualités de l’œuvre finale – en particulier sa cohérence et/ou sa nouveauté – ont été produites au cours du travail compositionnel. Les tentatives, ratures et alternatives lisibles dans les esquisses sont utilisées à la fois comme variantes significatives de l’énoncé finalement retenu par le créateur et comme indices d’un processus mental. 4 Ce dernier, cependant, n’est jamais visé en tant que tel par les sketch studies. Le paradoxe est que, derrière n’importe quelle reconstitution, même parcellaire, d’une séquence significative d’actions de composition, il y a forcément un modèle de ce qu’est la cognition créatrice. Mais comme ce modèle reste implicite (il est sans doute lié à la propre expérience de l’analyste comme musicien et comme écrivain), aucune critique sérieuse de la reconstitution en question n’est possible, sinon suivant des critères purement documentaires. Et il n’est pas surprenant que personne n’ait tenté de généralisations relatives aux mécanismes créateurs des compositeurs à partir de différentes études monographiques. Autrement dit, s’il existe si peu de recherches sur les manières de composer en comparaison avec le nombre de recherches sur la genèse d’œuvres particulières, c’est peut-être parce qu’il manque aux musicologues une théorie explicite de l’activité des compositeurs. S’intéresser à l’activité implique d’approcher les documents issus d’un processus créateur non pas sélectivement à partir de ce qui est devenu l’œuvre finale, mais comme les supports momentanés et partiels d’une activité cognitive en projet, qui s’exerce en interaction avec un environnement social et technique spécifique, lui-même à chaque instant ouvert à évolution en fonction du travail en cours. De Julius Bahle à Jonathan Harvey, divers auteurs ont cherché à exploiter les témoignages des processus créateurs passés pour alimenter une modélisation de la psychologie créatrice. Nous ne discuterons pas ici cette approche en détail. Mentionnons La musicologie des processus de composition Transposition, Hors-série 1 | 2018 2 juste la difficulté intrinsèque d’une analyse cohérente de matériaux verbaux dont les conditions de recueil/production sont extrêmement hétérogènes et appartiennent à des contextes culturels (musicaux, historiques, géographiques) si divers. 5 Si les archives, aussi abondantes soient-elles parfois, ne sont pas propices à une investigation approfondie des processus cognitifs, il paraît naturel de se tourner vers les compositeurs actuels. Sauf que nul musée ou bibliothèque ne conserve les traces de leur activité, et les principaux intéressés ne sont pas connus pour donner un accès inconditionnel à leur intimité créatrice, de sorte que leur manière de travailler finit par être plus mystérieuse que celles des compositeurs du passé5. Comment recueillir des données significatives sur leurs processus compositionnels ? Un fameux chapitre de Musical Mind de John Sloboda consacré à la composition et l’improvisation, et plus tard un essai au titre faussement interrogateur6, concluaient que la psychologie de la composition était, à peu de choses près, une voie sans issue : cette activité était jugée trop complexe, trop personnelle, trop intime pour pouvoir faire l’objet du moindre programme de recherche scientifique réaliste. Une revue presque exhaustive de la littérature par Dave Collins7 montre la rareté des travaux menés à bien en un siècle. Parmi eux, on compte nombre d’études basées sur des tâches de composition simples, prescrites par le chercheur/la chercheuse à une population d’étudiants en musique – et rarement des recherches ayant impliqué des compositeurs socialement identifiés comme tels. Aux préventions épistémologiques et méthodologiques de Sloboda semble donc s’ajouter l’influence de la mystique du créateur solitaire qui ne doit être dérangé à aucun moment ni sous aucun prétexte. Surprenante timidité à une époque où la musicologie tente de déconstruire tous les mythes fondateurs de la tradition musicale occidentale. 6 Au nombre des exceptions à cette tendance, comptons quelques travaux insuffisamment connus, qui ont été réalisés dans divers contextes disciplinaires, et souvent sans conscience les uns des autres : l’étude fondatrice menée au GRM (Groupes de Recherches Musicales, Paris) par Thomas et Mion sur le processus de composition de De Natura Sonorum par Parmeggiani, inspirée de la psychologie piagétienne (par la médiation de Delalande), de la sémiologie musicale de Nattiez, et de la critique thématique (en littérature) de Jean-Pierre Richard8 ; à nouveau au GRM, l’étude comparative de plusieurs processus créateurs partageant un même cahier des charges et un même environnement, par Delalande quelques années plus tard9 ; les enquêtes menées à l’Université de Sheffield à partir de questionnaires et d’analyses d’activité (inspirée de l’ergonomie cognitive) en vue de la conception informatique, à propos de divers processus de composition10 ; ou encore la collaboration entre le compositeur Roger Reynolds et plusieurs chercheurs dirigés par Stephen McAdams autour de la perception et de la composition de l’œuvre The Angel of Death11. Certains compositeurs se sont également essayés, de façon uploads/s3/ la-musicologie-des-processus-de-composition-entre-histoire-et-cognition.pdf

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