LA NÉOLOGIE LEXICALE : DE L'IMPASSE À L'OUVERTURE Marie-Françoise Mortureux Arm
LA NÉOLOGIE LEXICALE : DE L'IMPASSE À L'OUVERTURE Marie-Françoise Mortureux Armand Colin | « Langages » 2011/3 n° 183 | pages 11 à 24 ISSN 0458-726X ISBN 9782200927066 DOI 10.3917/lang.183.0011 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-langages-2011-3-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’équipe de recherche qu’il avait constituée (ERA 353) avait pour objectif d’intégrer dans la description linguistique le phénomène néologique, alors volontiers confiné dans les marges sociolinguistiques : effet de style dans la littérature ou nécessité de satisfaire les besoins des vocabulaires spécialisés, considérés comme périphériques dans l’usage de la langue. Le principe de créativité gouvernée par les règles, appliqué avec succès en syntaxe, suscitait l’espoir de réduire à un ensemble de règles formelles la créativité lexicale... Cet espoir fut déçu, comme en témoigne ce numéro 36. Mais, en dépit de l’échec immédiat, la tentative a clairement dégagé les écueils à contourner pour atteindre l’objectif initialement fixé : ce sont les deux principes considérés alors comme fondamentaux en linguistique, savoir la séparation entre points de vue synchronique et diachronique d’une part ; la définition de la langue comme système sous-jacent aux discours observables déterminés par elle, mais indépendant de ces discours, d’autre part. La prise en compte de ces deux dichotomies a fait depuis Langages 36 l’objet de précisions, ou de révisions, plus ou moins explicites, mais nécessaires à l’intégration de la néologie lexicale dans la « grammaire » de la langue. Divers travaux permettent aujourd’hui de voir en la néologie un composant lexical indispensable à la description linguistique. Langages 183 rticle on line rticle on line 11 © Armand Colin | Téléchargé le 29/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 130.79.0.67) © Armand Colin | Téléchargé le 29/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 130.79.0.67) Néologie, nouveaux modèles théoriques et NTIC 2. LE CHANGEMENT AU CŒUR DU SYSTÈME La première tâche est de définir le modèle linguistique générateur de créations lexicales. Et la grammaire générative a semblé alors apporter la solution, comme l’écrit L. Guilbert : Si l’on retient de la théorie générativiste le concept central de créativité, il peut sembler, dès l’abord, que cette théorie puisse expliquer la production d’unités lexicales nouvelles : la néologie lexicale. Notre propos est d’examiner quelques aspects de la relation entre la créativité selon laquelle sont générées des phrases, qui dans leur performance sont, par principe, toujours nouvelles, et la créativité qui donne naissance à des mots nouveaux... (Guilbert, 1974 : 34) 2.1. La créativité lexicale Cette démarche est conforme à l’approche linguistique synchronique. Et l’on peut mettre au compte de la « créativité lexicale » différents modèles ou des- criptions du mécanisme néologique lexical : en premier J. Dubois, dès 1969, présentait ainsi l’intégration de la morphologie lexicale à la syntaxe générative transformationnelle : La linguistique transformationnelle vise à obtenir une intégration des règles dites de dérivation, productives et susceptibles d’entrer dans la composition d’unités nou- velles, dans un ensemble ordonné de règles de syntaxe. Les moyens morphophonolo- giques que constituent les affixes font alors partie des règles morphophonologiques appliquées à des séquences, elles-mêmes issues des phrases minimales par des règles de transformation. Cette analyse a une double conséquence ; dans la description syn- chronique, la différence entre le lexique et la syntaxe se trouve réduite à l’opposition entre les morphèmes radicaux et les suites diverses issues de transformations ; dans l’analyse diachronique, les modifications dans le système des affixes dépendent des modifications des règles syntaxiques. La dérivation fait partie de la grammaire de la langue, de sa description synchronique. (Dubois, 1969 : 52) Cette « grammaire » proposait de rendre compte ainsi d’une série de transfor- mations de phrases en lexèmes, s’attachant en particulier aux nominalisations. L’opposition entre synchronie et diachronie était résorbée dans la créativité syn- taxique, et le lexique réduit aux morphèmes radicaux. Cependant, il est vite apparu que la régularité des transformations syn- taxiques, qui tolèrent très peu d’exceptions, s’oppose à l’irrégularité de leur application au lexique ; l’observation de la seule nominalisation déverbale révèle le caractère souvent idiosyncrasique de la relation formelle et sémantique entre verbe base et nom dérivé. Aussi cette position exclusivement syntaxique n’est-elle pas partagée par ses successeurs. L. Guilbert, qui avait consacré sa thèse à La formation du vocabulaire de l’aviation, affirme dans la Présentation de Langages 36 : [...] Le principe de la théorie générativiste est irremplaçable dans l’explication de la créativité lexicale en tant que processus de production du mot nouveau transformé 12 © Armand Colin | Téléchargé le 29/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 130.79.0.67) © Armand Colin | Téléchargé le 29/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 130.79.0.67) La néologie lexicale : de l’impasse à l’ouverture de la phrase, mais [...] le processus de lexicalisation implique une autre conception de la relation entre la structure de base et la performance. (Guilbert, 1974 : 5) Il distinguait ainsi deux phases dans le processus néologique : la « production du mot nouveau », relevant du modèle de compétence, et la « phase de la lexicalisation » relevant du modèle de performance 1. Enfin, plus lexicologue que syntacticien, il a été le maître d’œuvre du Grand Larousse de la Langue française dont le premier tome s’ouvre sur une importante contribution théorique intitulée Fondements lexicologiques du dictionnaire ; l’essen- tiel de cet exposé intitulé « De la formation des unités lexicales » est signé de lui et s’organise en deux sous-parties : Il nous a paru indispensable de rassembler les éléments qui permettent [...] d’une part d’expliquer le mécanisme de formation des mots d’un point de vue historique, d’autre part, de saisir les mécanismes syntaxiques qui rendent compte de la productivité des différents modèles de création lexicale dans la langue d’aujourd’hui. (Guilbert et al., 1971 : x) La perspective transformationnelle est présente dans la seconde sous-partie ; sont séparées, comme on le fait encore, dérivation affixale et composition ; et, bien évidemment, l’approche syntaxique transformationnelle est plus convain- cante dans ce dernier cas, dans la ligne des analyses présentées par É. Benveniste quelques années auparavant. En 1967, en effet, dans le Bulletin de la société de linguistique de Paris (tome LXII, fascicule 1 : 15-31), avait paru un article intitulé « Fondements syntaxiques de la composition nominale », article repris dans Problèmes de linguistique générale (tome 2). Fondant son étude sur diverses langues indo-européennes, dont le français, É. Benveniste conclut : La langue n’est pas un répertoire immobile que chaque locuteur n’aurait qu’à mobili- ser aux fins de son expression propre. Elle est en elle-même le lieu d’un travail inces- sant qui agit sur l’appareil formel, transforme ses catégories et produit des classes nouvelles. Les composés sont une de ces classes de transformation. Ils représentent la transformation de certaines propositions typiques, simples ou complexes, en signes nominaux. [...] L’impulsion qui a produit les composés n’est pas venue de la morpho- logie, où aucune nécessité ne les appelait ; elle est issue des constructions syntaxiques avec leur variété de prédication. C’est le modèle syntaxique qui crée la possibilité du composé morphologique et qui le produit par transformation. La proposition, en ses différents types, émerge ainsi dans la zone nominale. (Benveniste, 1974 : 160-161) É. Benveniste, ici, non seulement relie lexique et syntaxe, mais aussi intègre à la langue le changement à l’œuvre dans la pratique langagière. L’affirmation « la langue n’est pas un répertoire immobile... » est reprise en introduction de l’article suivant des Problèmes de linguistique générale (Chapitre XII) : 1. Dans La créativité lexicale, il proposera le concept de « paradigme dérivationnel » pour préciser le composant néologique de la grammaire. Langages 183 13 © Armand Colin | Téléchargé le 29/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 130.79.0.67) © Armand Colin | Téléchargé le 29/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 130.79.0.67) Néologie, nouveaux modèles théoriques et NTIC Les langues que nous parlons se transforment sous nos yeux sans que nous en prenions toujours conscience ; maintes catégories traditionnelles de nos descriptions ne répondent plus à la réalité vivante ; d’autres se forment qui ne sont uploads/s3/ la-neologie-lexicale-de-l-x27-impasse-a-l-x27-ouverture.pdf
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- Publié le Oct 03, 2022
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