La peinture abstraite est tout autant figurative que le reste de la peinture. L
La peinture abstraite est tout autant figurative que le reste de la peinture. La peinture abstraite, enfin. Pour certains, elle représenterait une scansion décisive dans l'histoire de l’art : après son invention, plus de figuration possible, car on aurait enfin exhumé la vérité, qui est que dans une peinture, nous ne jouissons pas du sujet qui est représenté, mais des couleurs et des formes présentes sur le tableau. Est-ce si vrai ? Certaines peintures abstraites peuvent me plaire, comme celles de Rothko, de De Kooning, celles du Soulages des années 1950-1960, de Hantaï, évidemment celles de Klee et de Kandinsky; d'autres aussi, moins connues mais infiniment belles et délicates, comme celles de Riopelle, Sam Francis, Joan Mitchell. Mais je veux qu'il soit clair qu'il s'agit d'une branche de la peinture, d'un genre, comme les natures mortes ou les marines, et non de la seule peinture possible après 1915 ou 1945. Et si je réfléchis honnêtement au plaisir que je peux trouver à la peinture abstraite, celui-ci tient à ce que cette peinture a ... de figuratif. Oui, en regardant un Rothko je songe à un coucher de soleil, au rapport du ciel et de la terre au niveau de la ligne d'horizon; quand je regarde un Soulages des années 1950 il m'évoque aussitôt la texture de l'acier, ou de l'or, ou du cuivre, et les couleurs qu'il mêlait (à l'époque) à son célèbre noir suscitent des matières; je vois des sentiments, des états d'âme chez Kandinsky, et des tapis persans chez François Rouan. Et quand elle n'évoque pas un sentiment, un état d'âme, la texture de certaines matières, ou une réalité référentielle, la peinture abstraite évoque alors le geste du peintre, son énergie, comme dans les drippings de Pollock: en un mot elle n'arrête jamais le spectateur, comme le croyaient ses théoriciens, dans la contemplation de sa forme pure, elle renvoie toujours à quelque chose qui lui est extérieur, qui est derrière elle. Elle est tout autant figurative que le reste de la peinture. On n'échappe pas à ce que les cuistres appelaient la « référentialité », à la mimésis, autrement dit au fait que l' œuvre part du monde et y ramène, qu'elle n'est pas à elle-même sa propre fin, qu'elle re- présente quelque chose. L'abstraction nous a appris à accorder une plus grande attention à la forme dans les tableaux anciens; et nous pouvons trouver du plaisir à voir un Turner, par exemple, représenter un motif tout en se tenant au bord de l'abstraction. Mais c'est le va-et-vient entre le motif représenté et le jeu des formes et des couleurs sur la toile, entre la chose et sa représentation, entre le réalisme et la stylisation, qui est à la source de notre plaisir. La peinture dépourvue d'une de ces deux dimensions deviendrait infirme, et c'est pour cela que, devant un tableau abstrait, nous nous demandons ce qu'il nous évoque. « L’autre art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs » Benjamin Olivennes ed : Grasset, Pages 63 à 65 uploads/s3/ la-peinture-abstraite-est-tout-autant-figurative-que-le-reste-de-la-peinture.pdf
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- Publié le Sep 05, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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