Slavica Occitania, Toulouse, 40, 2015, p. 121-146. La perception de la poétique
Slavica Occitania, Toulouse, 40, 2015, p. 121-146. La perception de la poétique structurale en URSS à la fin des années 1960 et au début des années 1970 (Les avis des critiques internes de la Petite Encyclopédie littéraire [Kratkaja literaturnaja ènciklopedija] sur l’article non publié de Youri Lotman « Le structuralisme dans les études littéraires » [Strukturalizm v literaturovedenii])1 IGOR PILSHCHIKOV La commande des éditeurs de la Petite Encyclopédie littéraire [Krat- kaja literaturnaja ènciklopedija] concernant un article sur le structura- lisme est mentionnée pour la première fois dans une lettre de Boris Fiodorovitch Egorov à Youri Mikhaïlovitch Lotman du 13 février 1965. La même année, dans ses vœux de Nouvel An (du 25 dé- cembre 1965), Egorov écrit à Lotman : « J’ai oublié de vous dire à 1. Ce travail a été réalisé avec le soutien du Conseil estonien pour la recherche (ETAg, projet PUT634). IGOR PILSHCHIKOV 122 Tartu que V. Jdanov2 était à Piter3, que nous avons longuement parlé d’articles “à la mode” pour la pel [l’Encyclopédie] et il a de- mandé de vous suggérer d’écrire l’article “Le structuralisme dans les études littéraires”4 ». Dans les commentaires des lettres citées, cet article est mentionné comme « n’ayant jamais été écrit5 », mais cela est inexact : des versions dactylographiées de deux variantes d’un article portant ce titre ont été découvertes lors de l’analyse des archives de Lotman, elles sont conservées dans le Fond estonien du patrimoine sémiotique [Eesti semiootikavaramu sihtasutus] à l’Université de Tallinn. Cependant, pour des raisons qui seront exposées ci-dessous, ce travail programmatique est resté inédit du vivant de son auteur et ne fut publié qu’en 20126. À en juger par les références bibliographiques jointes à l’article7, la première des deux variantes conservées daterait de la fin de l’année 1967 ou du début de l’année 1968. LE STRUCTURALISME DANS LES ÉTUDES LITTÉRAIRES. Ce courant de la théorie littéraire qui apparaît comme une partie d’un mouvement scientifique plus large tend à considérer les œuvres d’art et l’ensemble des textes qui composent la culture comme organisés de l’intérieur [vnutrenne organizovannye] et subor- donnés à certaines lois structurales. Le texte, du point de vue du S.8, ne constitue pas un conglomérat mécanique [mexanieskij kon- glomerat] de « procédés » [priem], d’« éléments » ou de « motifs », 2. Vladimir Viktorovitch Jdanov (1911-1981), critique littéraire, est l’un des fondateurs et directeurs de la Petite Encyclopédie littéraire. 3. Piter est une des appellations données à la ville de Leningrad dans le langage oral. – Note des traductrices. 4. Jurij Mixajlovi Lotman, Zara Grigor’evna Minc – Boris Fedorovi Egorov, Perepiska 1954-1965 [Correspondance 1954-1965], publ. et commen- taires de Boris Fedorovi Egorov, Tat’jana Dmitrievna Kuzovkina & Nikolaj Vladimirovi Poseljagin, Tallinn, Izdatel’stvo TLU, 2012, p. 491. 5. Ibid., p. 492, n. 5. 6. Igor’ Alekseevi Pil’šikov, « Nevyšedšaja stat’ja Ju. Lotmana “Strukturalizm v literaturovedenii” » [« Le structuralisme dans les études littéraires », Article non publié de Ju. Lotman], Russkaja Literatura, 4, 2012, p. 46-69 (cf. dans cet article les commentaires détaillés des deux versions de l’article). 7. I.A. Pil’š’ikov, « Nevyšedšaja stat’ja Ju. Lotmana... », art. cit., p. 56- 57. 8. La même logique que celle du texte russe est conservée ici. Ce signe « S. » désigne le structuralisme. Cette remarque est valable tout au long du texte. – Note des traductrices. LA PERCEPTION DE LA POÉTIQUE STRUCTURALE EN URSS 123 mais une unité organique. La sémantique du texte et sa fonction sociale sont inséparables de sa structure intrinsèque. Porteurs de messages fixes, les textes sont soumis aux lois générales des sys- tèmes communicatifs : ils peuvent être considérés comme une suite [posledovatel’nost’] de signes, construite conformément à des règles déterminées. Le texte est la réalisation d’un certain système de signes fonctionnant dans un collectif donné, système qui ressort face au texte comme le « langage » d’un genre spécifique (« langage du cinéma », « langage de la peinture », « langage du ballet »). En ce sens, les spécificités structurales des genres, des courants littéraires, des types de l’art poétique peuvent être décrites comme un type à part de « langages ». À cela est liée la forte pénétration des mé- thodes linguistiques dans le S. qui visent l’exactitude et l’élimination de l’impressionnisme de recherches. Le S. s’allie avec des disciplines qui étudient la communication dans la société hu- maine comme une forme de connaissance et de lien (sémiotique, linguistique structurale, cybernétique, théorie de l’information, etc.). Le S. examine les principaux aspects suivants de l’étude de l’art : 1) La description du langage artistique. Dans ce genre d’études, on analyse les normes générales qui rendent possible le lien artis- tique entre l’auteur et le lecteur. Ces règles déterminent la norme de l’attente du lecteur et elles assurent la clarté [ponjatnost’] du texte. De telles normes peuvent être exprimées clairement (les consignes de la création poétique [poetieskoe tvorestvo] ont été fixées dans un très large ensemble de cultures à différentes périodes historiques) ou être sous-entendues. En étudiant le langage artistique, le cher- cheur décrit une norme artistique médiane [srednij], commune à une époque, à un genre ou à un courant. Dans ce cas, sont utiles la production littéraire de masse, la description des genres avec une syntagmatique stable [ustojivaja sintagmatika] (le conte, la comedia dell’arte, le roman policier, etc.), l’étude des normes métriques moyennes [srednie metrieskie normy] dans la poésie d’une époque donnée (les travaux de B.B. Tomachevski, d’A.N. Kolmogorov, de K. Taranovski), celle des normes moyennes du lexique de tel style ou auteur (dictionnaires de fréquence de la poésie). 2) La descrip- tion du texte. Sur la base des descriptions du premier type, il est possible d’examiner des textes particuliers. L’activité artistique (comme chaque activité informative) exige un certain degré de dé- sautomatisation (d’imprévisibilité). C’est pourquoi tout texte artis- tique se construit non seulement comme la réalisation, mais aussi comme la transgression de règles fixées. Cependant, cette trans- IGOR PILSHCHIKOV 124 gression n’est pas un passage vers le non-systématique [nesistem- nost’] (ce qui est non-systématique ne peut être, en général, porteur d’information) mais constitue un passage vers [perekljuenie v] une nouvelle structure. Le caractère individuel du texte surgit comme le croisement de deux ou plusieurs langages artistiques. Les principaux aspects des études structurales de l’art9 sont : 1) Les descriptions syntagmatiques. On analyse les structures imma- nentes des langages et des textes artistiques. En décrivant les textes comme des systèmes de relations, le chercheur obtient la possibili- té de construire des modèles de genres, de tendances, de styles, de cultures qui sont invariants [invariantnye]. Étant donné que les lan- gages artistiques sont simultanément des « systèmes modélisants » [modelirujušie sistemy] de différents niveaux, leur description succes- sive [posledovatel’nyj] donne une vision du monde qui est propre à une culture, à une époque donnée. Cette vision est le reflet de la réalité d’une certaine conscience dans la langue. Le mécanisme de description d’un texte sous-entend la distinction des axes paradig- matique et syntagmatique10. Le premier axe donne l’ensemble des éléments structuraux possibles et leurs types de relations (le sys- tème), le second révèle les suites [posledovatel’nosti] (le texte). La dia- lectique du rapport de ces axes dans un texte littéraire a été décou- verte par R. Jakobson11. La distinction des niveaux de la structure 9. You.M. Lotman distingue trois aspects au sein des études structu- rales (syntagmatique, sémantique et pragmatique) en se basant sur la classification des relations sémiotiques proposée par Charles W. Morris (Foundations of the Theory of Signs, 1938). Une contamination de la terminologie saussurienne a lieu ici : Ch.W. Morris nomme le rapport entre les signes non pas « syntagma- tique » mais « syntactique ». – I.P. 10. Cette opposition remonte, par l’intermédiaire de la glossématique de Louis Hjelmslev, à la partie de la doctrine de Ferdinand de Saussure au sujet des deux types de rapports entre les unités de la langue (dans le Cours de lin- guistique générale saussurien, ces rapports sont nommés syntagmatiques et associatifs). – I.P. 11. Selon Roman Ossipovitch Jakobson, la fonction poétique recons- truit la syntagmatique (la succession, les rapports de combinaison) selon les lois de la paradigmatique (du système, des rapports de la sélection). Jakobson a énoncé cette pensée au cours du 4e Congrès international des slavistes, au moment de sa conférence dans le cadre de la sous-section « Étude de la poé- sie slave » [« Slavjanskoe stixovedenie »] le 8 septembre 1958 : « Quel rôle jouent ces deux axes, celui de la similitude ou d’identité et celui de la conti- guïté, dans le langage poétique ? Dans le langage poétique et seulement dans celui-ci, nous voyons une projection de l’axe d’identité sur l’axe de contiguïté, c’est-à-dire dans le plan de la combinaison » et « la projection du principe LA PERCEPTION DE LA POÉTIQUE STRUCTURALE EN URSS 125 représente une part essentielle de l’analyse. Cependant, la hiérar- chie des niveaux linguistiques (phonologique, grammatical, syn- taxique) et supra-linguistiques [nad’’jazykovye] (composition, mon- tage, etc.) acquiert un sens particulier dans un texte artis- tique [xudožestvennyj] : les niveaux sont entrelacés de uploads/s3/ la-perception-de-la-poetique-structurale-en-urss-a-la-fin-des-annees-1960.pdf
Documents similaires










-
62
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 22, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1422MB