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prepaSernin https://prepasaintsernin.com 1 Cours : Hegel, la place objective de la beauté artistique dans le développement de l’esprit Emmanuel Lacoue-Labarthe 1. Introduction générale et plan 1) Préalable fondamental : la réflexion esthétique = doit se tourner exclusivement vers la beauté artistique et non vers la beauté naturelle. L’esthétique = la science du beau artistique et non du beau naturel. Explication : a) La supériorité du beau artistique : le beau artistique > beau naturel parce qu’il est un produit de l’esprit et que l’esprit (même la plus mauvaise idée) > la nature. Explication : l’esprit est ce qui permet de produire et de saisir la vérité = de dépasser les apparences pour accéder aux essences. Ainsi, en tant que production de l’esprit, le beau artistique (contrairement au beau naturel) participe de la vérité. L’œuvre d’art est en effet une sorte de fenêtre ouverte sur la vérité, sur les essences. Mais cette fenêtre n’est pas passive ou inerte : elle est au contraire animée et expressive : elle appelle le regard du spectateur, elle le regarde et s’adresse à lui. Elle est donc assez comparable à un œil qui est à la fois regard tourné vers le monde et fenêtre ouverte sur l’âme. b) L’infériorité du beau naturel : (i) Il faut d’abord reconnaître que la nature, par sa régularité, sa finalité, son harmonie, manifeste une certaine « idéalité » ou « spiritualité », de telle sorte qu’elle n’est pas totalement dénuée « d’âme ». On peut même noter que cette idéalité est plus forte chez les vivants que dans la nature inerte, de telle sorte qu’on peut accepter la hiérarchie suivante : beauté animale > beauté végétale > beauté minérale. La beauté animale est en effet la plus expressive, la plus « spirituelle », la moins « décorative ». (ii) Mais on doit en même temps constater que la nature ne manifeste que très involontairement et très pauvrement une certaine idéalité : la beauté de la nature est prepaSernin https://prepasaintsernin.com 2 très pauvre en âme + elle n’est belle que pour un autre qu’elle : elle n’est belle que pour l’homme, pour une conscience qui la saisit et la contemple. (iii) On doit donc en venir à la conséquence suivante : le beau naturel n’est vraiment beau que dans la mesure où il participe de l’esprit = dans la mesure où il est l’objet d’une prise de conscience et d’une expression = dans la mesure où il est spiritualisé et idéalisé (c’est-à-dire élevé à la dignité de l’idée, saisi dans son essence) = dans la mesure où il est médiatisé par l’œuvre d’art. Ex. : une homme beau ≠ une belle statue : la beauté de l’homme beau = captive de la « prose du monde » = captive d’un monde fini et du changeant, enchevêtrée dans le relatif, dans l’inessentiel et pressée par la nécessité. Þ la mission de la beauté artistique = dégager le vrai de son milieu temporel, de sa dispersion dans la série des choses finies = faire apparaître la vérité recouverte des choses et des êtres = faire apparaître leur idéalité. N’est donc vraiment beau que ce qui trouve son expression dans l’art et le beau naturel ne mérite par conséquent le nom de beau que dans la mesure où il est ressaisi et exprimé par l’esprit : « Dans la vie de tous les jours, on a coutume de parler d’une belle couleur, d’un beau ciel, d’un beau fleuve, ou encore de belles fleurs, de beaux animaux et même de beaux hommes. On peut toutefois observer que le beau artistique est plus élevé que celui de la nature, même si nous ne voulons pas débattre ici de la façon dont on peut légitimement décerner à ces objets la qualité de la beauté, et surtout de la façon dont le beau naturel peut être mis en parallèle avec le beau artistique. En effet, la beauté artistique est la beauté engendrée et ré-engendrée par l’esprit et, de la même façon que l’esprit et ses productions sont plus élevés que la nature et ses phénomènes, de même le beau artistique est plus élevé que la beauté de la nature. Du point de vue formel, n’importe quelle mauvaise idée qui passe par la tête de l’homme est néanmoins plus élevée que n’importe quelle production de la nature, car elle possède toujours spiritualité et liberté. Certes du point de vue du contenu, le soleil, par exemple, nous semble un moment absolument nécessaire, tandis qu’une idée mal conçue disparaît en se révélant accidentelle et transitoire ; mais prise pour soi, une existence naturelle, comme le soleil est indifférente, elle n’est en elle-même ni libre ni consciente de soi, et si nous la considérons dans la dépendance nécessaire qui la lie à quelque chose d’autre, nous ne l’envisageons pas pour elle-même, et ne la considérons donc pas comme belle. » Hegel, Esthétique, T. 1, Introduction, Livre de Poche, 1997, p. 52 Þ Cf. le sujet de dissertation donné au baccalauréat en 2002 : « Sans l’art, parlerait-on de beauté ? » Sans l’art, la beauté existerait peut-être, mais on n’en parlerait pas et on ne la verrait sans doute pas vraiment. C’est l’art qui isole, fixe, met en relief la beauté naturelle qui est, elle, mêlée, passagère, voilée par nos préoccupations et notre manque de recul. 2) Grandeur et limites du beau artistique : le beau artistique = comme la religion et la philosophie, un moyen pour l’esprit d’accéder à la vérité = de prendre pleinement conscience de soi et du monde = un moment fondamental du développement de l’esprit. Explication : (i) Toute vérité, pour ne pas rester une pure abstraction doit apparaître = elle doit s’incarner de façon concrète, que ce soit dans une forme sensible (une œuvre d’art), dans une foi et un culte (dans une religion) ou bien dans un discours rationnel/philosophique = toute vérité doit, pour exister vraiment, être exprimée. Þ l’apparence est un moment essentiel de l’essence, l’apparaître est un moment essentiel de l’être : l’apparaître de la vérité est un moment essentiel de son être. prepaSernin https://prepasaintsernin.com 3 (ii) Or la première forme d’incarnation/expression/apparition de la vérité = la forme sensible = la beauté artistique. La beauté artistique = donne une forme sensible à la vérité = elle est le premier mode d’expression de la vérité (c’est-à-dire de l’essence de la réalité, qu’elle soit extérieure ou intérieure) ; Þ la beauté artistique est donc beaucoup plus qu’une simple réalité plus ou moins subjective (= une source de plaisir qui obéit à quelques critères en partie objectivables) : elle est un moment objectif et essentiel du développement de l’esprit. La beauté artistique = la première forme d’apparition de la vérité. La beauté artistique n’est qu’apparence sensible (image, représentation sensible), mais, en tant que telle, elle est un moment essentiel de l’essence et elle possède une réalité plus haute et une existence plus vraie que la réalité courante. « Concernant la question de savoir si l’art est digne d’être considéré scientifiquement, il est vrai qu’il y a des cas dans lesquels l’art peut être considéré comme un jeu éphémère destiné à l’amusement et à la distraction, comme un ornement qui sert à enjoliver l’aspect extérieur des rapports de la vie ou à mettre en relief, en les ornant, d’autres objets. Sous ce point de vue, il ne s’agit pas d’un art indépendant et libre, mais d’un art asservi. Mais ce que nous proposons d’étudier, c’est l’art libre dans sa fin et dans ses moyens. Que l’art en général puisse aussi servir d’autres fins, et n’être donc qu’un simple divertissement passager, il a cela de commun avec la pensée ; d’un côté la science aussi est appelée à servir des fins finies et des moyens occasionnels et, comme entendement serviable, elle n’a pas sa détermination en soi mais en un autre, servant une fin ponctuelle différente ; mais d’un autre côté, elle ne se réalise dans son indépendance que quand elle s’élève à la vérité, librement autonome par elle-même, au service de ses seules fins propres. L’art beau n’est véritablement art qu’en cette liberté propre, et il ne s’acquitte ainsi de sa tâche suprême que quand il s’est placé dans la même sphère que la religion et la philosophie, et quand il n’est rien d’autre qu’un mode particulier, une manière propre de révéler à la conscience et d’exprimer le Divin, les intérêts les plus profonds de l’homme et les vérités les plus vastes de l’esprit. C’est dans les œuvres de l’art que les peuples ont déposé leurs pensées et leurs représentations intimes les plus riches, et souvent l’art beau est la seule clef par laquelle il nous soit donné de pénétrer dans les secrets de leur sagesse et les mystères de leur religion. L’art a cette disposition en commun avec la religion et la philosophie, mais avec la particularité qu’il représente même ce qui est le plus élevé de façon sensible, et donc le rend plus proche des modes d’apparition des sens, du sentiment, de la nature. uploads/s3/ la-place-objective-de-la-beaute-artisitique.pdf

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