avertissement Dans Far ever Mazan, Jean-Luc Godard, citant Manoel de Oliveira,
avertissement Dans Far ever Mazan, Jean-Luc Godard, citant Manoel de Oliveira, pour insister sur ce qu'il demande él son cinéma et au cinéma, dit: «une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumiere de leur absence d'explication ». Cela serait la vérité du cinéma, entre apparaitre et disparaltre. Déjél, en janvier 1958 dans les Cahiers du cinéma, Godard écrivait d'un film de Nicholas Ray: «Car Amere Victaire, comme le soleil, nous fait fermer les yeux. La vérité aveugle. » «L'absence d'explication» indique qu'une telle saturation a bien eu lieu, et son lieu, l'écran, serait alors celui d'une déroute intentionnelle. On peut lire ce livre selon une perspective phénoménologique: la réduction est souvent le levier de la confrontation peinture-cinéma, et la question du phénomene saturé est assurément le fil de cette investigation. Si ce livre peut apparaitre de prime abord comme une suite d' «études de cas». c'est parce que chaque intuition est venue des images fixes et en mouvement, jamais du calque d'une position conceptuelle sur ces images. rai résisté él la tentation d'aimanter par analogie d'autres références, afin de ne pas subsumer ces images. Ainsi s'explique le caractere arbitraire des auteurs évoqués (Lewin pour commencer et Tarkovski pour conclure). L'étude cOIncide avec cette opération 011 l'reuvre va résister toujours davantage él l'analyse : c'est aussi l'affirma tion d'une méthode, chercher la co-présence d'un commentaire él son objet, aucune image ne devant se subroger él une autre. Les films de Lewin supposent un type d'exégese 011 la description l'emporte, quand 8 9 avertissement avertissement ceux de Godard s'épuisent et se convertissent en théorie; en derniere instance le cinéma de Tarkovski met la théorie en déroute, laissant ceHe-ci anéantie devant une évidence d'un autre ordre. En commen tant des plans dont les phénoménalités sont comparables de fac;on troublante, j'ai voulu accorder le commentaire et ses suites a 1'esprit de l'cruvre. Ainsi, «ce qui aveugle» dans l'avant-dernier plan de Vivre dans la peur d'Akira Kurosawa et «ce qui aveugle» dans le dernier plan de L'Éclipse d'Antonioni, appellent deux régimes d'interprétation pour une lecture comparable; il s'agit moins de préserver des crans liés a l'interprétation que de ménager de 1'implicite dans la théorie. L'angoisse et sa phénoménalité, sous la forme de l'éblouissement puis de l'aveuglement, dominent ces deux exemples. rai souhaité, en regardant Vivre dans la peur, rester en-dec;a de la théorie, non pas seulement parce que Kurosawa s'en méfiait jusqu'a 1'agacement, mais essentieHement parce que je reste convaincu que 1'événement qui ouvre a l'idée esthétique donne plus que le concept. Et si, dans le commentaire de L'Éclipse, je cede a une interprétation heideggerienne, c'est d'une certaine maniere «en accord» avec Antonioni, qui avant d,¿tre cinéaste fut un critique, qui cherchait dans la théorie un outil pour penser le cinéma en attendant que son cinéma aussitOt 1'en libere. Il existe un article surprenant d'Antonioni publié dans le n0155 de la revue Cinéma, en décembre 1942, et intitulé «Suggestions de Hegel ». Cet article est antérieur d'un an aux premiers plans filmés de ce qui sera son court métrage Gente del Po, qu'il ne montera qu'apres guerreo Cette tentation philosophique restera dans son cinéma sous 1'image, sans que jamais il ne s'agisse d'un cinéma a these ou de 1'illustration d'une idée. rai seulement fait, en regardant L'Éclipse par exemple, un peu d'archéologie. Mon analyse se situe entre ce que peut demander au cinéma une lecture historique, se référant a ce qui est intentionnel dans le cinéma, et ce qui est pour moi l'essence du cinéma, c'est-a-dire la liberté d'une surinterprétation, de sa puissance anticipatrice, ce qui en somme sollicite 1'intuition et le pouvoir des analogies. Cette dimension anticipatrice trouve son ampleur tragique dans le court métrage La Montagne muge du film Reves, en 1990, de Kurosawa, une anticipation au-dela de la question du dépassement de la peinture par l'image en mouvement. On retrouvera, nonobstant, au gré de la comparaison peinture cinéma ainsi revisitée, quelques questions centrales de l'esthétique : ceHe de 1'instant prégnant ou ceHe de la mise en crise du cadre, ceHe du sublime aussi. bien. Un mouvement (chaque étude marque une étape dans son affirmation) guide ces analyses. Un mouvement te! un courant dont la trace se dessinerait en se laissant dériver. Cette dérive est celle d'uneAufhebung, une releve de la peinture par le cinéma. Mais un retournement s'opere: un contre-courant ouvrant a la surface du cinéma, et parfois comme sur un écran, un remous visible. Le titre de la seconde partie - «Une saturation de signes magnifiques» - désigne ce retournement. Le cinéma, a ses limites, retrouve l'origine de la peinture: images acheiropoletes pour Godard, icones pour Tarkovski. Quand Godard, dans ses Histoire(s) du cinéma, affirme qu'avec Manet commence la peinture moderne, c'est-a-dire le cinémato graphe, il propose une généalogie. Cette «Aufhebung-boomerang» -le dépassement de la peinture par le cinéma, puis le moment OU la peinture remonte a la surface du cinéma - procede aussi du dépla cement pour Godard de cette question: il ne cherche plus a trouver une généalogie du cinéma dans la peinture, mais au contraire son essence, et cette essence, illa décele dans les images acheiropoletes, ces images non faites de main d'homme. Baudelaire a écrit que Manet était le premier dans la décrépitude de son arto Godard dit lui- méme : «Chaque fois que j'aime un film, on me dit que ce n'est pas du cinéma.» Que ce dépassement, non pas celui de la peinture par le cinéma, mais du cinéma par lui-méme, aboutisse chez Godard a un cinéma qui devient en images une théorie, une histoire et une doctrine, permet de lui appliquer la sentence de Baudelaire a propos de Manet. On entend bien sur que «le premier» est a la fois un pionnier, un expérimentateur, et celui qui exceHe. La releve du cinéma par une théorie et une philosophie, ou le cinéma est bien ce dépassé comme dépassé intériorisé, cette «Aufhebung-boomerang», est assurément 1'ultime étape de 1'cruvre de Godard, lucide et mélancolique. A« Chaque fois que j'aime un film, on 10 avertissement me dit, Jean- Luc, ce n'est pas du cinéma », répond l'exergue du Temps scellé, le livre de Tarkovski. Cet exergue: «Andre'i, ce ne sont pas des filros que tu fais ... », vient d'une conversation entre Tarkovski et son pere, le poete Arseni Tarkovski, apres la premiere de son film Le Miroir. Que sont les films de Tarkovski? Ils poussent effectivement le cinéma asa limite. Ala question: «Votre foi en Dieu se confond-elle ainsi avec votre foi en l'art? », Tarkovski avait répondu: «L'art, c'est la capacité de créer, c'est le reflet, dans le miroir, du geste du Créateur. Nous, artistes, ne faísons que répéter, qu'imiter ce geste.» En conclusion, ce livre risquera l'hypothese que les films de Tarkovski sont aux films en général ce que les icónes sont el la peinture. Été zoo7 - printemps ZOll premiere partie La reLeve de La peinture par Le cinéma chapitre premier la peinture dans le cinéma un dépassement de la citation \ . \ (e \\,pb-t_ ((A ,be o l _ les films d'Albert Lewin Abraham Lehr, le directeur général des studios Goldwyn, avait, en 19~~, prédit a Albert Lewin: «Tu ne feras jamais carriere dans le cinéma, tu es trop cultivé pour cela » l. La peinture a, dans le cinéma de Lewin, la mission de conférer au septieme art des lettres de relief, de noblesse, une dignité. Je trouve regrettable que les compagnies américaines ne se lancent plus que dans des superproductions... Je ne vais plus que rarement voir un film hollywoodien, mais je vois beaucoup de films européens. Chez des gens comme Fellini et Bergman il y a de l'idée, de l'origi nalité. Il y a plusieurs tres bons réalisateurs italiens et deux ou trois tres bons britanniques et fran<;ais. Ils ont ravi aux États-Unis tout le coté artistique du cinéma 2. l. Cité par Patrick Brian. Albert Lewin, un esthete ti Hollywood. Paris. Éditions Durante. 2002, P·17· 2. !bid., p. 100. 15 14 la releve de la peinture par le cinéma Cette reconquete, ou cette conquete, de la dimension artistique, a son outil essentiel pour Lewin dans l'usage de la peinture, un usage plus subtil qu'on ne pourrait le croire; les tableaux ne seront pas les blasons cloués a un quelconque décor, mais le point d'origine auquelle film va devoir s'accorder. Chaque film de Lewin en témoigne, a des degrés de complexité diverso Une complexité paradoxale puisque l'effet de capture du film par un tableau est parfois poussé a la caricature: grandiloquence ou emphase, qui masquerait volontiers cette complexité. Pandara and the Flying Dutchman est le film OU ce rapport est le plus passionnant. Jean-Pierre Vivet l'avait noté dans les Cahiers du cinéma des la sortie du film en octobre 1951: Pandara n'est pas un film qui donne envie d'écrire une critlque sérieuse, il vaut moins et plus que cela, il fait sourire et en meme temps rever a un cinéma qui se serait débarrassé de ces gangsters et de ces flics, de ces filIes-meres et de ces uploads/s3/ le-cinema-sature.pdf
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- Publié le Mai 11, 2021
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