Chapitre 4 Maths et musique Rémi Coulon Chapitre 4. Maths et musique 67 Dans se
Chapitre 4 Maths et musique Rémi Coulon Chapitre 4. Maths et musique 67 Dans ses mémoires Hector Berlioz (1803 - 1869), grand compositeur français, raconte une de ses soirées à l’opéra. Ce jour là, on donnait une représentation d’Œdipe à Colone, opéra d’Antonio Sacchini. Un énorme succès à l’époque. Dans un mouvement de prosélytisme musical, Berlioz avait emmené avec lui un ami étudiant. Le jeune homme « parfaitement étranger à tout autre art que celui du carambolage », passa la soirée à éplucher des oranges. Devant lui, au contraire, un spectateur bouleversé s’exclamait : « C’est sublime !... Quel art céleste !... Ah, monsieur quelle musique ! ». Voyant que Berlioz manifestait aussi son émotion, le spectateur lui tomba dans les bras. Berlioz poursuit son récit ainsi. « Sans m’étonner le moins du monde, et la figure toute décomposée par les larmes, je lui réponds par cette interrogation : - Êtes-vous musicien ? - Non, mais je sens la musique aussi vivement que qui que ce soit. - Ma foi c’est égal. Donnez moi votre main. Pardieu monsieur, vous êtes un brave homme. Là dessus, parfaitement insensible aux ricanements des spectateurs qui faisaient un cercle autour de nous, comme à l’air établi de mon mangeur d’oranges, nous échangeons quelques mots à voix basse, je lui donne mon nom, il me confie le sien et sa profession. C’est un ingénieur ! Un mathématicien ! ! ! Où diable la sensibilité va-t-elle se nicher ! » Considérer que mathématique et musique n’ont a priori rien à faire en- semble, voilà un point de vue tout à fait « romantique ».Pourtant pendant très longtemps la musique fut considérée comme une science au même titre que l’astronomie ou la géométrie. A ce titre de nombreux savants se sont penchés sur les problèmes musicaux : Pythagore, Galilée, Descartes, Euler, pour n’en citer que quelques-uns. Au cours de l’histoire, les échanges entre la musique et les mathématiques furent fréquents. Dans certains cas, les mathématiques offrent un langage qui permet de décrire et de mieux comprendre certains aspects de la musique. Dans d’autres cas, au contraire la musique a considérablement devancé sa consœur, en introduisant des objets qui ne seront formalisés que plusieurs siècles après. Ce dialogue entre les deux disciplines prend nécessairement une part importante dans la théorie musicale. La construction d’une gamme en est un exemple. Mais l’apport des mathématiques ne se limite pas à la théorie. On le retrouve dans des aspects très pratiques - comment fixer de la musique sur le papier ? - ou encore dans des questions esthétiques liées à la composition. 68 AP Revue 1 Construire une gamme... la quadrature du cercle musical ? « do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. Gratte moi la puce que j’ai dans le dos ». Comme dans cette comptine, cette gamme utilisée dans toute la musique occi- dentale, semble une évidence. Pourtant le choix des notes - c’est à dire ici de leur hauteur - pour construire une gamme a agité l’esprit de nombreux savants depuis l’Antiquité. Ce n’est qu’à partir de la fin du xviiie siècle que la gamme tempérée à laquelle nous sommes habitués a pris sa forme définitive. Elle est le résultat d’un compromis entre des considérations théoriques et des problèmes concrets issus de la pratique musicale. 1.1 Dans la forge de Pythagore Pythagore (vie siècle av. J.C.) évoque pour beaucoup le bon vieux théorème du même nom. « Dans un triangle rectangle, le carré de l’hypoténuse est égale à la somme... » S’il est surtout connu comme mathématicien, c’est aussi l’un des premiers grands théoriciens de la musique. La légende raconte qu’il découvrit le lien entre la musique et les nombres, au détour d’une promenade, en passant devant une forge. Il remarqua que la note produite par le marteau lorsqu’il frappe l’enclume ne dépend que de la masse de celui-ci. Plus le marteau est léger, plus le son est aigu. Dans un langage moderne, la fréquence de la note est inverse-proportionelle à la masse du marteau. En soupesant les marteaux, Pythagore s’aperçut que l’intervalle entre deux notes ne dépendait que du rap- port entre leurs masses. En musique, un intervalle est la distance qui sépare deux notes. Leurs noms proviennent du nombre de notes entre les extrémités de l’intervalle. Deux pour la seconde, trois pour la tierce, quatre pour quarte, etc. Prenons par exemple trois marteaux pesant respectivement 2, 3 et 4 livres. Les deux notes produites par les marteaux de 2 et 4 livres, sont certes différentes mais se ressemblent si singulièrement qu’on leur donne le même nom - do et do par exemple. L’intervalle entre celles-ci est une octave1. Le rapport corres- pondant entre les masses des marteaux est 2. L’intervalle associé aux marteaux de 2 et 3 livres est une quinte - l’intervalle entre un do et un sol par exemple. Il est caractérisé par le rapport 3/2. Certes les grecs anciens ne connaissaient pas la notion de fréquence, mais celle-ci offre un outil - plus commode que les marteaux - pour décrire ces observations. Considérons deux notes dont les fré- quences sont f1 pour la plus grave et f2 pour la plus aiguë. Si l’intervalle entre les deux notes est un octave alors f2/f1 = 2. Pour une quinte on a f2/f1 = 3/2. 1Le terme d’octave est aussi utilisé en électronique, en traitement du signal, etc. On dit par exemple que l’atténuation d’un filtre est de « 6 dB par octave » si l’amplitude du signal de sortie est diminuée de 6 décibels, lorsque la fréquence du signal d’entrée est doublée. Chapitre 4. Maths et musique 69 Cette découverte va façonner la pensée grecque. En effet, dans l’Antiquité, seules l’octave et la quinte étaient considérées comme des intervalles conso- nants. Il suffit pour les caractériser des nombres 1, 2 et 3. Cette simplicité vint conforter les pythagoriciens que l’Univers était régi par les nombres. Certains musicologues pensent même que c’est à partir de ce constat que les pythago- riciens cherchèrent à décrire le monde par des nombres entiers. Pour eux la musique était « l’art du nombre rendu audible ». A ce titre la musique a long- temps été classée parmi les sciences. Jusqu’à la fin du Moyen-âge notamment, l’enseignement reposait sur un socle de sept matères : les arts libéraux. Ceux-ci se divisaient en deux catégories : les arts du langages, le trivium, composé de la rhétorique la dialectique et la grammaire et les arts du nombres, le quadrivium, qui se compose de l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. Décomposition d’un son en fréquence Le son est provoqué par un mouvement de l’air. Un microphone, en mesurant les variations de pressions, permet de s’en faire une image. Pour « visualiser » le signal sonore, on peut représenter le déplacement s(t) de la membrane du microphone en fonction du temps t. Le signal correspondant à une note de musique tenue a la particularité d’être périodique, c’est à dire que le graphe de la fonction s contient un fragment qui se répète à l’identique (voir Fig. 4.1). Amplitude 0 8 16 Temps (en ms) Fig. 4.1: Enregistrement simplifié d’une clarinette jouant un fa Mathématiquement on écrit qu’il existe un nombre T tel que pour tout temps t on ait s(t + T) = s(t). T, baptisé période du signal, caractérise la hauteur du son. En général on préfère travailler avec son inverse f = 1 T qu’on appelle la fréquence. Elle se mesure en Hertz (Hz). Plus un son est aigu, plus sa fréquence est élevée. Les fonctions 70 AP Revue trigonométriques t →sin(2πft) et t →cos(2πft) sont des fonctions périodiques de fréquence f. C’est en étudiant la propagation de la chaleur que Joseph Fourier (1768 - 1830), mathématicien et physicien français, inventa la décomposition en série trigonomé- trique qui porte son nom. Il montra que toute fonction périodique s de fréquence f est peut être écrite comme une somme de fonctions trigonométriques dont les fré- quences sont des multiples entiers de f. s(t) = +∞ X k=1 ak cos(2kπft) + bk sin(2kπft) Les coefficients ak et bk dépendent de s et peuvent être calculés explicitement via une « grosse » formule. Tout cela n’est pas forcément très parlant. Restons concret, voici une petite expérience qui permet « d’entendre » la décomposition en série de Fourier. Munissez vous d’un piano - bien accordé de préférence - maintenez la pédale enfoncé, celle qui relève les étouffoirs et permet aux cordes de vibrer librement. Maintenant enfoncez brutalement la touche du do le plus grave - faîtes tout de même attention à l’instrument... surtout si c’est un Steinway - et ouvrez grand vos oreilles. En plus du do que vous venez de jouer vous devez entendre quelques autres notes. Que ce passe-t-il ? Le signal qui correspond au do grave est périodique et n’échappe pas à la décomposition de Fourier, c’est donc une somme de signaux sinusoïdaux. Les termes de fréquence kf ayant la même fréquence que d’autres notes du piano, vont faire entrer en résonance uploads/s3/ maths-et-musique.pdf
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- Publié le Oct 23, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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