Musique congolaise de variétés1 1 Authenticité linguistique Titres des chansons

Musique congolaise de variétés1 1 Authenticité linguistique Titres des chansons Nous avons répertorié les intitulés des chansons de Koffi Olomide contenues dans une quinzaine de disques compacts. Chacun de ces disques compacts ayant en moyenne 12 chansons, il y avait au total près de 180 chansons et donc autant de titres. Sachant qu'Olomide (comme les autres artistes de la musique congolaise de variété) chante en lingala, quelle n'a pas été notre surprise de constater que 97% des titres de ces chansons sont en français ! Quand on n'est pas prévenu et que l'on est un simple mélomane francophone, on achètera de tels CD dans l'espoir d'écouter des mélodies dans la langue de Voltaire. Hélas, ces titres en français sont trompeurs car le musicien chante en langue congolaise, en lingala ou dans une espèce de maelström langagier (mi-lingala et mi-français). Il en est de Mopao Mokonzi (1) comme des autres artistes musiciens congolais en particulier de la jeune génération. On ne cite Olomide que bien entendu à titre d'illustration. On a, il nous semble, le droit de se poser ou de poser la question suivante : quel mal y a-t-il à titrer les chansons en lingala étant donné que l'on chante dans cette langue ? Un intitulé en lingala peut pourtant cacher ou révéler une magie inimaginable. Tenez par exemple Lisala Ngomba de Sam Manguana, un air musical derrière lequel il y a une tendre poésie et tout un back ground (le relief de la mythique ville de Lisala, la bravoure proverbiale d'un peuple, la beauté du site, le soupçon d'une alimentation bio , la vie au clair de lune, la chorégraphie rituelle et coutumière, la belle et solide femme du Nord, les rêveries sylvestres …) qui vous emporte autant qu'il vous enivre. Comme le morceau de la madeleine de Proust qui, dans la littérature française, illustre les effets de la mémoire associative, la mélodie de Lisala Ngomba étale sous vos sens enchantés tout l'arrière pays ngbaka comme si vous y aviez séjourné. 1.1. Lingala ou franco-lingala ? Comme chacun sait ou est supposé le savoir, le lingala est une lingua franca. C'est une langue qui a été créée disons artificiellement, pour les besoins du commerce et de communication 1 Si vous dites à musicien congolais que sa musique appartient au genre « la variété », il s’en offusquera parce que, pour lui, la variété, c’est cette musique généralement en langue étrangère (français, anglais ou espagnol) qui est exécutée avant le véritable concert de la musique congolaise moderne. Noud dirions que, chez un tel musicien, l’emploi de « variété(s) » est un congolisme. Le sens donné à « variété » dans ce texte est le suivant repris à des manuels qui font autorité : « Exécutée par des artistes sur la scène et destinée au grand public, la musique de variétés est avant tout centrée autour de la danse et de la chanson, genres populaires très dynamiques, caractérisés par une mélodie et des paroles relativement simples, permettant une mémorisation aisée par le grand public. On dit aussi « les variétés », ou encore, au singulier : la musique de variété ou la variété ». entre des populations de toutes provenances et parlant des idiomes différents. Mais c'est bien une langue bantu aussi bien du point de vue de sa phonétique, de sa morphologie, de sa syntaxe et de son matériel lexical. Cependant il n'existe pas une ethnie ou une tribu du Congo qui ne parlerait que le lingala ou qui s'identifierait par l'usage exclusif du lingala, un peu comme les Basóongye, les Ohendo, les Ndengese, les Iyajima, les Baluba … qui ont respectivement comme langue ethnique le kísóongye, le loheéhendo, le bondengese, le loyajima, le ciluba … La tribu « Bangala » (au sens de tribu qui s'identifierait linguistiquement par l'emploi du lingala) n'existe pas. Ceux qu'on appelle Bangala (singulier mongala ) sont un ensemble de tribus ou d'ethnies qui ont leurs langues ethniques propres et qui utilisent le lingala comme langue de communication interethnique. Le lexique du lingala comporte un bon pourcentage de mots provenant du bobangi et du libinza. A ce fond de base, s'ajoutent des vocables empruntés aux parlers de la province de l'Equateur, à d'autres langues congolaises comme le kiswahili, le kikongo , et le ciluba … ) et même à des langues étrangères (le français, le portugais, le latin, l'anglais, etc.). Les mots empruntés à d'autres langues et introduits dans le lexique du lingala sont, quand il le faut, naturalisés c'est-à-dire intégrés à la morphologie, à la phonétique et à la syntaxe du lingala. L'intégration se fait aussi bien sur le plan segmentaire que suprasegmentaire. Par exemple, le mot lingala mosέnzi (2) qui dérive de la déformation phonétique et morphologique du syntagme nominal français « mon singe ». Un colon furax n'hésitait pas à traiter le colonisé congolais de « mon singe ». L'interprétation et la restitution de cette expression par les lingalaphones congolais selon les possibilités de la grille phonologique du lingala a abouti à mosέnzi qui est une unité lexicale bien intégrée dans cette langue : • Les deux voyelles nasales ‘on' de mon et ‘in' de singe se dénasalisent dans le mot lingalisé car le lingala ne connaît pas le phénomène phonétique de la nasalisation. • La structure syllabique CVC de singe [s e ?] (3) devient CVCV ( -sέnzi ) en lingala car, dans cette langue et contrairement au français, tous les mots se terminent par une voyelle. • La fricative chuintante sonore correspondant au digraphe français ng dans singe devient une mi-nasale fricative sonore notée en lingala nz. • L'intégration se fait aussi du point de vue suprasegmentaire. Alors que le français n'est pas une langue à tons, le ‘o' et le ‘i' portent chacun un ton bas et le ‘e' porte un ton haut dans mosέnzi, dérivé du français « mon singe ». • Il y a aussi une intégration morphologique dans la mesure où mosέnzi considéré comme un singulier a un pluriel en lingala basέnzi, ce qui permet au linguiste de segmenter les deux modalités nominales mo-/ba- correspondant aux notions singulier/pluriel. • En lingala, le contenu sémantique de mosέnzi/ basέnzi a évolué par rapport à l'acception injurieuse et raciste de « mon singe ». Il signifie en lingala « impoli, mal éduqué, homme ou femme aux manières frustes … ». Nous venons de démontrer techniquement que l'expression française « mon singe » empruntée au français par le lingala, langue congolaise, est bien intégrée dans cette dernière langue au point que si l'on n'est pas prévenu, on ne peut pas le deviner. Autre exemple : qui saurait que l'expression lingala sofεlε mekui vient du français « chauffeur de mes couilles », un juron que le colon utilisait à l'époque quand il se mettait en colère contre son chauffeur congolais. Mais le pauvre chauffeur lingalaphone entendait sofεlε mekui qui est une expression bien intégrée dans le lingala, sans son acception grivoise et comme il est facile d'en faire la démonstration. Voilà le genre d'emprunts que nous souhaitons pour nos langues. Nous pouvons emprunter, mais nous devons naturaliser pour nous réapproprier ce qui vient d'ailleurs. On peut transposer ici ce que Hegel a dit dans un autre domaine de connaissance : il s'agit de s'emparer de l'objet (le mot étranger), de le transformer en un processus interne, de se l'approprier de façon à le dépouiller de tout ce qui constitue sa particularité, d'en faire un moyen et de lui donner pour substance sa propre subjectivité (l'intégrer). Dont acte ! 1.2. Les musiciens congolais empruntent exagérément et naturalisent peu Nous avons dépouillé deux chansons de J.B. Mpiana, chansons ayant évidemment deux titres en français ( !), à savoir La rose verte et Grâce à toi, Germain. Selon le comptage opéré, la première chanson comporte environ 65 mots français et la seconde 80, ce qui nous conduit à retenir les observations suivantes : • Emprunts massifs : pour des textes aussi courts, le nombre de mots empruntés à une langue étrangère est pléthorique, tant et si bien qu'on peut se poser la question de savoir la langue dans laquelle le musicien chante. En lingala ou en franco-lingala ? • Emprunts non naturalisés : ces mots étrangers entrent dans le lingala de manière sauvage, avec leur phonétique, leur phonologie et leur morphologie. Le compositeur des chansons n'a fait aucun effort pour intégrer les emprunts à l'environnement phonétique et morphologique du lingala. Profitons-en pour préciser que nous ne sommes pas en train d'interdire aux artistes musiciens congolais de chanter en français. Quelqu'un comme Pascal Tabu Ley, alias Rochereau, a aligné des chansons en français qui ont été de vrais tubes : Pitié, L'âge et l’amour, Le chant de Malory. Nous avons en mémoire C'est toi que j’aime, un succès fou du duo Tabu Ley-Mbilia Bel. On peut choisir de parodier le français ou de se gausser du français dit d'Afrique comme le font avec beaucoup de talent des musiciens des ex-colonies françaises. Dans cette lignée, on n'oubliera pas le tube planétaire du Congolais (de Brazzaville) Zao uploads/s3/ musique-congolaise-de-varietes-by-tedanga-ipota-bembela.pdf

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