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Zéro sucre se prolonge sur les sites www.arenes.fr et blog.elle.fr/zero-sucre © Éditions des Arènes, Paris, 2015 Tous droits réservés pour tous pays Éditions des Arènes 27, rue Jacob, 75006 Paris Tél. : 01 42 17 47 80 arenes@arenes.fr À Michel et Ursula, mes parents, sans qui je ne serais pas moi. À Éric, qui m’a aidée à ouvrir les ailes et m’aide à voler. À Rose, mon soleil du matin et mon étoile du soir. À Catherine, pour ses éclats de rire et de vie. Janvier Chapitre 1 Le sucre et moi À Kinshasa, les Noëls de mon enfance avaient le parfum du chlore et de la pâtisserie. Sous un ciel d’« hiver » tropical invariablement bleu et dans une chaleur étouffante, nous préparions les fêtes après avoir plongé des après-midi durant dans la piscine. Dès la fin du mois de novembre, ma mère entreprenait de préparer des gâteaux de Noël, une vieille tradition suisse. Tout commençait par les sablés légèrement citronnés façonnés à la main à l’aide de multiples petits moules. La pâte préparée était immédiatement glissée au réfrigérateur pour ne pas « fondre ». Petit à petit, ma mère étalait la pâte au rouleau et nous y posions nos multiples formes. Étoile, sapin, lune, ours garnissaient progressivement les plaques beurrées, avant d’être dorés au jaune d’œuf. Après cuisson, ils étaient soigneusement rangés un à un dans de grandes boîtes en métal. Suivaient les sablés chocolat-vanille, les bretzels glacés au citron, les macarons à la noisette, les pavés aux fruits confits hachés, les florentins… Quatre semaines durant, elle s’activait en cuisine, la maison tout entière baignant dans cette odeur suave, annonciatrice de bonheurs exquis. Mon moment préféré était celui, magique, au cours duquel je pouvais, seule, réaliser mes propres gâteaux de Noël : des rochers à la noix de coco. L’Himalaya de la cuisine à 5 ans ! M’appliquant, je mélangeais la noix de coco râpée et le lait concentré sucré jusqu’à obtenir une consistance épaisse. Puis, je montais les rochers à l’aide de deux petites cuillères. Noël rimait aussi avec les chocolats reçus pour la Saint-Nicolas que nous rangions promptement dans le congélateur (à chaque enfant son espace surgelé), à l’abri des fourmis voraces. Il y avait également le calendrier de l’Avent rempli, sachet après sachet, par ma mère toujours, regorgeant de surprises faites maison. Et, enfin, la brioche maison dégustée le 24 décembre au matin, encore tiède, fondant sous une couche supplémentaire de beurre… Dans l’arrière-cuisine, de grosses boîtes en métal de 5 kg encombraient les étagères, accueillant la farine, préalablement laissée quelques jours au congélateur (afin de tuer les charançons) et tamisée (pour éliminer leurs cadavres), le sucre de canne ultra-parfumé venu de la plantation de Kwilu- Ngongo dans le Bas-Zaïre, le lait en poudre Nido et les fameux gâteaux. Il fallait attendre le 24 décembre au soir , après la messe de Noël, pour commencer à les déguster , au pied du « sapin », un résineux que nous étions allés couper en famille dans une plantation. Bien entendu, tout en moi se rebellait à l’idée de respecter ce sacro-saint principe familial. Résultat, j’allais à pas de loup prélever quelques biscuits de-ci, de-là, certaine que ces rapines ne se verraient pas… Erreur ! Il suffisait généralement d’une semaine ou deux pour que ma mère s’avise de ce pillage et m’enjoigne d’attendre, comme les autres. Noël se rattachera toujours pour moi à la pâtisserie de ma mère. Tout comme les goûters de mon enfance resteront synonymes de pain plat arabe tartiné de beurre, saupoudré de sucre de canne, roulé et mangé comme une crêpe. À chacun de mes anniversaires, je réclamais LE gâteau incontournable, une Sachertorte, gâteau au chocolat fourré de confiture de framboise et couvert de chocolat. Lorsqu’on me demandait quelle était ma sortie préférée, je répondais « manger une Dame blanche (deux boules de glace vanille surmontées de chantilly et noyées dans le chocolat noir fondu) au Kilimandjaro », un salon de thé de Kinshasa. Je vois encore le chocolat couler sur la chantilly et la glace vanille, le tout fondant en bouche en une symphonie d’amertume et de douceur . J’adorais également les sucettes à l’eau fabriquées à base de Coca-Cola, les bananes chaudes beurre-sucre, les crêpes épaisses à la cassonade qui faisaient office de dîner certains soirs, le muesli maison, le miel de savane presque noir à la saveur forte apporté dans l’arrière-cuisine par les cueilleurs… Autre souvenir particulièrement fort, les douceurs proposées par les « mamas » devant l’école. Le lycée Prince-de-Liège, notre école à Kinshasa, était situé le long d’une « rivière », la Gombe, qui tenait plutôt de l’égout à ciel ouvert. Tout le long de ce cours d’eau sale et gris s’étageaient de petits champs de manioc où des femmes binaient et travaillaient jour après jour . Les moins bons élèves étaient d’ailleurs menacés de finir dans ces champs… Sur le petit pont piéton qui nous permettait de franchir la Gombe pour accéder à l’école, c’était la cohue à 13 heures, lorsque les cours finissaient. De part et d’autre du pont, des mamas habillées de boubous aux couleurs vives, accroupies, proposaient leurs douceurs disposées dans de grandes bassines émaillées. Petits beignets sucrés et frits, épis de maïs bouillis (à l’eau de la Gombe d’après les rumeurs) ou grillés, bonbons et chiclets (le nom local des chewing-gums)… Mes préférés étaient les galettes de cacahuètes au caramel que je m’offrais de temps en temps pour quelques zaïres, la monnaie locale. Emballées dans du papier journal, je les croquais vite, avant que ma mère n’arrive, qui détestait nous voir manger ainsi juste avant le déjeuner , et s’inquiétait des ingrédients et de l’hygiène de ces produits. À Pâques, nous recevions quelques œufs en chocolat. Leur découverte virait pour moi à l’extase. Gourmande, incapable de gérer ce stock de friandises, je le dévorais en règle générale en quelques jours. Ma sœur aînée, Isabelle, faisait tout le contraire. Capable de « gérer » ses chocolats, elle n’en prélevait que parcimonieusement dans le congélateur . Résultat, je pillais bien évidemment sa réserve. Culpabilité et convoitise luttaient en moi tandis que je me glissais dans la cuisine, guettant un moment de solitude. Je sens encore le froid qui me saisissait en ouvrant la porte, fouillant dans son sac de douceurs. Contrastant avec la chaleur et l’humidité ambiantes, ce shoot sucré et glacé fondant lentement dans ma bouche avait des airs de paradis. Autant de souvenirs qui se télescopent, laissant peut-être croire un instant que ma vie n’était faite que de sucré ! Pourtant, c’était tout le contraire. De ces années d’enfance à Kinshasa, je me remémore une ville gigantesque, poussiéreuse et brutale. Vivante également, vibrante même. Une ville où l’adrénaline et l’indolence formaient un curieux cocktail, aussi trompeur que ravageur . Une ville dotée de peu de magasins, et d’aucune grande surface. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, on y trouvait (presque) tout, à condition de pouvoir payer le prix fort compte tenu d’une monnaie faible. Pour régler les sommes nécessaires aux courses hebdomadaires, ma mère prenait parfois avec elle un sac de voyage de petites coupures lorsque l’inflation flambait. Ces billets étaient généralement tellement sales que la Suissesse en elle se révoltait ! Elle enfournait alors des poignées de monnaie dans le lave-linge avant de les faire sécher , suspendues au soleil sur un fil. L’expérience des pénuries au début de leur séjour au Zaïre, à la fin des années 1970, avait rendu mes parents prudents. Nous avions en permanence une quinzaine de kilos de farine en stock, afin de pouvoir faire le pain maison en cas de besoin. Les réserves de sucre, sel, huile, pâtes, riz côtoyaient dans le cellier les dizaines de bougies, les boîtes d’allumettes, le papier toilette et les « sardines de secours »… Les produits frais, quant à eux, nécessitaient des achats plusieurs fois par semaine chez le marchand de légumes, le boucher ou le boulanger . Entre amis, on s’informait même des arrivages chez l’un ou l’autre des commerçants. L’Afrique des années 1980, c’était le continent de la débrouille et de la prévoyance, bien loin d’une capitale qui accueille aujourd’hui supermarchés et franchises Zara. Nos étés en Europe nous permettaient, certes, de voir rapidement nos familles en Belgique et en Suisse, mais se déroulaient surtout comme un compte à rebours avant le décollage. D’ici là, il fallait rassembler tout ce dont nous aurions besoin au cours des dix mois suivants. Cahiers, livres de classe, feutres, dictionnaires, scotch, cartouches d’encre, vêtements, sacs de couchage, shampooings, médicaments, produits ménagers, épices, gousses de vanille, cubes de bouillon et sauces s’entassaient dans la pièce dédiée aux bagages. Les multiples malles se remplissaient, tout comme les valises en aluminium (légères et solides). Le jour du départ, le tout représentait plus de 200 kg, parmi lesquels une vingtaine de kilos de tablettes de chocolat, soigneusement congelées, qui, au terme d’une vingtaine d’heures de voyage, rejoignaient le congélateur des antipodes. Notre réserve de douceurs pour l’année à venir… Au uploads/s3/ zero-sucre.pdf
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- Publié le Oct 27, 2022
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