DELEUZE - Sur la musique I - Vincennes, 08/03/1977 ----------------------------

DELEUZE - Sur la musique I - Vincennes, 08/03/1977 -------------------------------------------------------------------------------- n avait parl la derni re fois d'un livre de Dominique Fernandez. Il dit des choses   tr s importantes pour nous, sur la musique. Je fais donc un recul en arri re. Il   est tr s bizarre, car d'habitude il fait des choses orient es sur des critiques   litt raires base de psychanalyse, et puis en m me temps il aime la musique, et    voil que a le tire de ses soucis analytiques. Il lance une formule qui parcourt   tout ce livre intitul La Rose des Tudor (Dominique Fernandez, La Rose des Tudor,  Julliard, 1976). Tout le th me du livre c'est ceci: la musique meurt vers 1830.  Elle meurt tr s particuli rement, et tragiquement, comme toutes les bonnes choses,   elle meurt avec Bellini et Rossini. Elle meurt tragiquement parce que Bellini mourra dans des circonstances tr s mal connues, ou bien d'une maladie inconnue   l' poque, ou bien d'une sombre histoire, et Rossini, c'est l'arr t brusque. Ce   musicien de g nie, en plein succ s, d cide d'arr ter. Il avait toujours eu deux     amours: la musique et la cuisine, il ne fait plus que de la cuisine. C' tait un  grand cuisinier, et il tourne fou. Je connais beaucoup de gens qui arr tent les  choses tel moment; c'est un type d' nonc assez courant: Pour moi, ceci se     termine telle poque. La philosophie n'a pas cess de mourir: elle meurt avec     Descartes, elle meurt avec Kant, elle meurt avec Hegel, chacun a son choix' Du moment qu'elle est morte, a va. Et puis je connais des gens qui arr tent la   musique aux chants gr goriens. Tr s bien.   Fernandez lance un nonc du type: la musique s'arr te Bellini et Rossini.     Qu'est-ce qui rend possible un tel nonc ' Cela ne peut vouloir dire qu'une chose:   quelque chose, m me si vous ne le savez plus je ne tente pas de lui donner raison   car je pense qu'il n'a pas raison , quelque chose qui appartenait essentiellement  la musique n'existera plus apr s Rossini et Bellini, les deux derniers musiciens.   Qui c'est qui entra ne, m me indirectement, la disparition de Rossini et de   Bellini, quelle est la nouvelle musique autour de 1830? C'est l'arriv e de Verdi et de Wagner. a veut dire que Wagner et Verdi ont rendu   la musique impossible, Fernandez va jusqu' dire que ce sont des fascistes, ce  n'est pas la premi re fois qu'on le dit pour Wagner. Qu'est-ce qu'ils ont supprim ,   d'apr s Fernandez, qui tait tellement essentiel la musique' Il nous dit peu     pr s ceci: il dit qu'il y a eu quelque chose d'ins parable de la musique. Je le   coupe pour pr ciser quelque chose: on peut consid rer comme corr latif dans une    activit quelconque, dans une production quelconque, comme deux plans ou deux  dimensions du plan; une de ces dimensions nous pouvons l'appeler expression, et l'autre dimension nous pouvons l'appeler contenu. Pourquoi ces termes expression et contenu? Parce que expression, rien que comme mot, a a l'avantage de ne pas tre confondu   avec forme , et contenu a a l'avantage de ne pas tre confondu avec sujet ,       th me ou objet. Pourquoi est-ce que expression ne va pas tre confondu avec forme?   Parce qu'il y a une forme d'expression, mais il y a aussi une forme de contenu. Le contenu n'est pas informel. Or qu'est-ce que c'est? Je pourrais ajouter tout ce qu'on a dit pr c demment que ce qu'on a appel le     plan de consistance comporte non pas deux blocs, mais une dimension sous laquelle il est plan d'expression et une dimension sous laquelle il est plan de contenu. Si je consid re le plan de consistance sonore nomm musique, je peux me demander   quelle est l'expression et quel est le contenu proprement musical une fois dit que le contenu, ce n'est pas ce dont parle la musique, ou ce que chante une voix. Or, Fernandez nous dit que, son avis, la musique a toujours t travers e par un     contenu qui lui tait tr s intime, et qu'il tait le d bordement ou le d passement      de la diff rence des sexes. Alors, comme il n'oublie pas sa formation analytique,  bien qu'il ne soit pas analyste, il dit que la musique, c'est toujours et essentiellement une restauration de l'androgyne. Pr ter ce contenu-l la musique implique que je puisse montrer que ce contenu-l     est bien musical, et essentiellement musical, en vertu de la forme d'expression nomm e musique. Or, il est bien connu que la musique est d'abord vocale. On sait   quel point les instruments ont fait longtemps l'objet d'une esp ce de surveillance,  notamment dans la codification musicale et dans l'action de l' glise sur la  codification musicale: l'instrument est tr s longtemps tenu en dehors, maintenu; il  ne faut pas qu'il d borde la voix.  Quand est-ce qu'une voix devient musicale? Je dirais, du point de vue de l'expression, que la voix musicale c'est essentiellement une voix d territorialis e. a veut dire quoi? Je pense qu'il y a    des choses qui ne sont pas encore musique et qui, pourtant, sont tr s proches de la  musique. Il y a des types de chant qui ne sont pas encore musique, par exemple Guattari tient norm ment l'importance d'une notion qu'il faudrait d velopper,     celle de ritournelle. La ritournelle peut peut- tre tre quelque chose de   fondamental dans l'acte de naissance de la musique. La petite ritournelle. Elle sera reprise, ensuite, dans la musique. Le chant non encore musical: tra la la. L'enfant qui a peur' Peut- tre que le lieu d'origine de la petite ritournelle,  c'est ce qu'on appelait, l'ann e derni re, le trou noir. L'enfant dans un trou   noir, tra la la, pour se rassurer. Je dis que la voix chantonnante est une voix territorialis e: elle marque du territoire. C'est pour a que si la musique,   ensuite, reprend la ritournelle, un des exemples les plus typiques de la reprise de la ritournelle, c'est Mozart. Berg utilise tr s souvent ce proc d .    Qu'est-ce que c'est le th me le plus profond ment musical, et pourquoi c'est le   plus profond ment musical?  Un enfant meurt, et pas d'une mort tragique, la mort heureuse. Concerto la  m moire d'un ange. L'enfant et la mort, c'est partout. Pourquoi' Pourquoi la  musique est-elle p n tr e par, la fois, cette prolif ration et cette abolition,      cette ligne qui est la fois une ligne de prolif ration et d'abolition sonore'   Si la ritournelle c'est la voix qui chante d j , la voix territorialis e, ne    serait-ce que dans un trou noir, la musique, elle, commence avec la d territorialisation de la voix. La voix est machin e. La notation musicale entre   dans un agencement machinique, elle forme elle-m me un agencement, elle forme en  elle-m me un agencement, tandis que dans la ritournelle, la voix est encore  territorialis e parce qu'elle s'agence avec autre chose. Mais lorsque la voix   l' tat pur est extrai-te et produit un agencement proprement vocal, elle surgit  comme voix sonore d territorialis e.   a implique quoi, cette voix d territorialis e?    J'essaie de dire avec mes mots moi, ce que dit Fernandez quand il dit que le  probl me de la voix en musique, c'est de d passer la diff rence des sexes. Je dis    que les sexes, avec leurs sonorit s vocales particuli res, c'est une   territorialisation de la voix: oh, a c'est une voix de femme, ah, a c'est une   voix d'homme. D territorialisation de la voix: il y a un moment essentiel que l'on  voit bien avec la notation musicale. l'origine europ enne, la notation musicale   porte essentiellement sur la voix. Quelqu'un de tr s important, enfin une des  choses les plus importantes l -dedans, c'est le double r le, et des papes pour les   pays latins, par exemple Gr goire, et Henri VIII, et les Tudor, dans la notation  musicale. C'est Henri VIII qui uploads/s3/ sur-la-musique-i-by-deleuze-gilles.pdf

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