TEMPO DE LA VIE D’ARTISTE : GENRE ET CONCURRENCE DES TEMPS PROFESSIONNELS ET DO
TEMPO DE LA VIE D’ARTISTE : GENRE ET CONCURRENCE DES TEMPS PROFESSIONNELS ET DOMESTIQUES Sabrina Sinigaglia-Amadio, Jérémy Sinigaglia L'Harmattan | « Cahiers du Genre » 2015/2 n° 59 | pages 195 à 215 ISSN 1298-6046 ISBN 9782343078182 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2015-2-page-195.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’article propose d’analyser les conditions et les modalités de l’articulation des temps de travail et des temps de vie d’artistes musicien·ne·s et plasticien·ne·s. Il montre notamment que cette articulation repose sur des arrangements implicites qui correspondent à une mise en conformité avec des normes sociales mobilisant des repères dominants de la distribution des temps et des tâches sociales qui sont des impensés des rapports sociaux, impliquant des inégalités sociales et professionnelles, d’une part ; des inégalités de genre, d’autre part. ARTISTES — ARTICULATION TRAVAIL/FAMILLE — TEMPS SOCIAUX — INÉGALITÉS DE SEXE — NORMES Le temps de travail des artistes est composé d’une multitude d’activités : la formation, la création proprement dite (temps que les artistes cherchent sans cesse à « maximiser » – Throsby 1994) et la présentation des œuvres, une quantité non négli- geable de tâches administratives et, pour les plus précaires, un volume parfois important d’activités annexes (Bureau, Perrenoud, Shapiro 2009). Au-delà de sa dimension symbolique permettant © L'Harmattan | Téléchargé le 16/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 81.185.173.142) © L'Harmattan | Téléchargé le 16/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 81.185.173.142) Sabrina Sinigaglia-Amadio et Jérémy Sinigaglia 196 une reconnaissance sociale et professionnelle (Singly 1986 ; Moulin 1997 [1992] ; Naudier 2007), le temps de travail des artistes est parfois décrit comme une « course » aux cachets et aux subventions (Sinigaglia 2011), connaissant des rythmes « hors norme » (Perrenoud 2007 ; Sorignet 2010). Les activités artis- tiques sont caractérisées par un « cadre temporel » (Grossin 1996) complexe : pas d’horaires fixes soumis à un contrôle extérieur, combinaison de temps imposés et choisis, structurés/normés et a-structurés/flous, imbrication de la vie professionnelle, familiale et des sociabilités amicales combinée à une porosité des espaces professionnels et domestiques (Coulangeon 2004). De cela, découle une concurrence des temps dont l’articulation est doublement problématique : d’abord au sein de l’espace professionnel, ensuite au sein du couple et de la famille. S’intéresser aux « temporalités du travail artistique » implique ainsi d’analyser un « temps global où temps de travail et temps de vie s’articulent intimement » (Nicolas le Strat 1999). Les travaux existants ont le mérite de faire état de la pluralité de ces temps mais présentent deux limites. La première est que leur mesure est presque toujours absente. L’analyse se limite le plus souvent aux témoignages recueillis par entretiens, qui renseignent davantage sur la perception de l’activité par les artistes que sur la structure objective des agendas professionnels et sociaux 1, ou est approchée à partir d’indicateurs trop imprécis pour donner à voir la complexité des temporalités du travail. Par exemple, dans La profession de comédien, Pierre-Michel Menger consacre quelques pages à l’étude de « l’agenda du comédien » (Menger 1997), mais l’appréhension de la durée et de la struc- ture du temps de travail est réduite à l’opposition entre les jours de travail déclarés (dans le secteur artistique ou non) et les jours hors emploi rémunérés. On apprend ainsi que les comédiens consacrent en moyenne 60 % de leur temps au travail artistique 1 C’est le cas aussi de la plupart des travaux qui portent sur d’autres professions intellectuelles, comme celle de chercheur·e, proches des professions artistiques en termes de cadre temporel (multiplicité des activités, brouillage des fron- tières entre travail et loisir, entre espace professionnel et espace domestique, etc.), y compris lorsqu’ils prennent explicitement pour entrée la question des temporalités. Voir par exemple le dossier consacré aux « Temporalités de la recherche » dans le n° 18 de la revue Temporalités (2013). © L'Harmattan | Téléchargé le 16/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 81.185.173.142) © L'Harmattan | Téléchargé le 16/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 81.185.173.142) Tempo de la vie d’artiste… 197 et qu’environ un tiers de leur temps de travail se situe hors emploi rémunéré, mais les données du Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) sur lesquelles s’appuie l’auteur ne permettent guère d’aller au-delà de ce constat. La seconde limite de ces travaux consiste en l’absence de mise en perspective des différentes temporalités, au sein de l’agenda professionnel et au-delà, et de réflexion sur les effets sociale- ment différenciés de la concurrence des temps sur la dynamique des carrières 2. Afin de contribuer à combler ces manques, cet article pro- pose une objectivation des temporalités du travail artistique, reposant sur un important matériau empirique (voir encadré Méthodologie de l’enquête). Il s’agit ici de saisir plus spécifi- quement l’organisation des différents temps, à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace professionnel et surtout de montrer en quoi la prise en compte du travail domestique permet de mieux comprendre l’organisation du travail artistique, en analysant les modalités et les enjeux de la concurrence des temps profession- nels et des temps domestiques et familiaux. Quels sont les temps en concurrence ? Comment s’opère l’articulation entre la pluralité des activités des artistes et celles de leur entourage ? Quels sont les facteurs, les ressources, les situations qui permet- tent aux artistes de gérer leur temps ? L’hypothèse est que l’articulation des temps sociaux, et en particulier de la vie professionnelle et familiale, ne fait pas l’objet d’une véritable négociation ouverte mais est le produit à la fois de contraintes objectives et d’arrangements (Goffman 2002), d’agencements implicites exprimant des normes sociales. Parmi ces normes, celles des rapports sociaux de sexe jouent un rôle particulièrement structurant. Comme le montrent en effet les nombreux travaux portant sur l’articulation des temps sociaux (Silvera 1998 ; Hirata, Lombardi, Maruani 2008 ; Milewski, Périvier 2011), cette « maudite conciliation » (Périvier, Silvera 2010) du travail 2 Sur ce point, et en particulier sur les logiques de l’agencement des temps entre vie professionnelle et vie privée des chercheur·e·s, les contributions de Bernard Fusulier et María del Río Carral, et de Nawel Aït Ali et Jean-Pierre Rouch dans le numéro de Temporalités cité plus haut apportent des éléments d’analyse relativement proches des résultats de notre enquête sur les artistes. © L'Harmattan | Téléchargé le 16/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 81.185.173.142) © L'Harmattan | Téléchargé le 16/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 81.185.173.142) Sabrina Sinigaglia-Amadio et Jérémy Sinigaglia 198 et de la vie familiale se traduit dans les faits par une injonction adressée prioritairement aux femmes (Lapeyre, Le Feuvre 2004). Après avoir présenté les données temporelles du problème, à savoir la complexité du cadre temporel du travail artistique, d’une part ; l’inégale répartition des tâches domestiques et familiale au sein des couples, d’autre part, l’analyse vise à rendre compte des enjeux de l’articulation travail/famille et des contraintes pesant sur les arrangements qui en découlent. Méthodologie de l’enquête L’analyse repose sur un travail empirique (soutenu par le DEPS/ministère de la Culture), réalisé en 2013-2014 auprès d’artistes plasticien·ne·s au sens large, pratiquant des ‘arts visuels’ (catégorie englobant les traditionnels beaux-arts et les produits artistiques des nouvelles technologies) et de musicien·ne·s (auteur·e·s-compositeur·e·s-interprètes ou seulement interprètes) (Sinigaglia-Amadio, Sinigaglia 2014). Le choix de retenir ces deux groupes d’artistes pour l’enquête tient d’abord à la volonté d’échapper aux logiques propres à un monde de l’art en particulier pour essayer de saisir de manière plus transversale certains éléments caractéristiques du travail artistique. Mais il ne s’agit pas de nier les éventuelles spécificités sectorielles, au contraire, le choix de ces deux groupes tient aussi aux différences qui les opposent et qui invitent à adopter une démarche comparative. On a pu ainsi observer les variations du rapport au temps en fonction du statut (permanent et surtout intermittent pour les musicien·ne·s, le plus souvent indépendant pour les plasticien·ne·s) ou de la forme du marché (marché du travail dans le cas du spectacle musical, marché des biens dans le cas des arts plastiques). Enfin, ce choix s’explique également par la tendance à uploads/s3/ cdge-059-0195.pdf
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- Publié le Oct 31, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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