Document généré le 30 mars 2019 19:18 Circuit Musiques contemporaines … écoute

Document généré le 30 mars 2019 19:18 Circuit Musiques contemporaines … écoute cet instant… : Helmut Lachenmann / Luigi Nono Laurent Feneyrou Qui écoute? 1 Volume 13, numéro 2, 2003 URI : id.erudit.org/iderudit/902273ar https://doi.org/10.7202/902273ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 1183-1693 (imprimé) 1488-9692 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Feneyrou, L. (2003). … écoute cet instant… : Helmut Lachenmann / Luigi Nono. Circuit, 13(2), 51–80. https://doi.org/10.7202/902273ar Résumé de l'article L’oeuvre de Luigi Nono et celle de Helmut Lachenmann interrogent depuis toujours la notion d’écoute, l’une au travers d’une critique la distinguant radicalement de la vision et menant à une pensée du dialogue faisant suite à une mise en suspens, l’autre l’associant à une appréhension tactile du phénomène sonore, où l’intersubjectivité se charge peu à peu de résonances empruntées à la philosophie japonaise contemporaine. Présentant les fondements théoriques de l’oeuvre de ces deux musiciens et certaines de leurs traductions musicales, l’article scrute ainsi leurs différences. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2003 .••écoute cet instant... Helmut Lachenmann/Luigi Nono Laurent Feneyrou Selon Helmut Lachenmann et Luigi Nono, composer signifie éliminer tout habitus, toute manière d'être acquise, connaître, sentir, dévoiler en les censurant tous les a priori de la composition. Nono aimait à citer Ludwig Wittgenstein : En philosophie, on se sent contraint à regarder un concept d'une façon déterminée. Ce que je fais consiste à poser ou même à inventer d'autres façons de le considérer. Je suggère des possibilités auxquelles vous n'aviez jamais pensé. Vous croyiez qu'il y avait une seule possibilité ou deux maximum. Mais moi, je vous ai fait penser à d'autres possibilités [...] et je vous ai libérés de votre crampe mentale1. Si composer équivaut à produire de nouvelles représentations, le musicien ne crée que négativement, récusant les pensées et les écoutes antérieures, et singuliè- rement tonales. Le paradoxe de l'oeuvre tient désormais dans la nécessité de don- ner forme au mouvement de libération et de donner voix à ce que vise l'effroi de ces pensées ainsi sacrifiées. Ses processus de variation et d'évolution [Entwicklung], indifférents aux règles séculaires de la permutation comme aux normes du séria- lisme, se distinguent radicalement des développements classiques. Composer y désigne le dépassement des catégories de l'harmonie et du contrepoint. Un indice stylistique essentiel des structures vocales dans l'œuvre de Nono est la médiation entre l'horizontal et le vertical dans le choeur. Impossible de parler encore dans le deuxième ou dans le neuvième mouvement du Canto sospeso d'homophonie ou de polyphonie. La médiation entre les voix ne se fait ni dans le sens harmonique traditionnel, ni par le contrepoint, parce qu'il ne s'agit en aucun cas ni d'un simple complément ni d'un enrichissement de la structure musicale. Comme dans les œuvres 1. La citation de Ludwig Wittgenstein appa- raît dans les textes « Pour Helmut» ( 1983) et «Ses paroles, ses grandes et dramatiques solitudes» ( 1984). Elle est extraite d'une lettre du philosophe à son biographe anglais, et citée par Aldo Gargani dans Wittgenstein tra Austria e inghilterra, Turin, Tirrenia-Stampatori, 1979, p. 15. Cf. Nono (L.), Écrits, Paris, Christian Bourgois, 1993, p. 451 (traduction de l'italien, Laurent Feneyrou, LF). 52 instrumentales, la fonction de chaque son dans les compositions chorales est celle d'une continuation d'un autre son2. Ou encore La technique de composition de Nono s'est distinguée dès le début par la nécessité historique de se libérer non seulement de tout traitement thématique, mais surtout d'une réflexion thématique que l'on ne peut plus dissocier d'une pensée tonale, ta note, appréhendée isolément par la conduite fondamentalement pointilliste de la musique, et non-réitérable dans la synthèse de ses qualités, devait acquérir une rela- tion multiple avec son environnement, de manière à effacer l'expression d'un geste momentané au profit d'une constellation parcellisée. Non pas que la note se réduisît à sa pure valeur locale, mais elle devenait au contraire partie prenante d'un tout, comme c'était le cas dans la musique ancienne, car c'est de cette totalité qu'elle reti- rait son pouvoir de signification3. En limitant la série, et en renonçant à ses dimensions causales, motiviques et thématiques, Nono éliminait toute tentative de réinsertion d'une mélodicîté «senti- mentale». L'oeuvre se libère des atavismes thématiques et atteint à une autre mélodie, laquelle n'a plus rien à voir avec les schémas classiques et romantiques, mais s'ex- prime à travers les métamorphoses dynamiques et tîmbriques de la musique deve- nue corps acoustique unique, élevant ainsi les dimensions secondaires, la dynamique, la densité et le timbre, au rang d'éléments constitutifs du sens musical et fondateurs d'un nouveau melos — désignant indifféremment les chants instru- mentaux (Canti per 13, 1955, pour ensemble, ou No hay caminos, hay que caminar... Andrej Tarkowskij, 1987, pour orchestre divisé en sept chœurs), vocaux ou choraux (// Canto sospeso, 1955-1956, pour solistes, choeur et orchestre), comme « résultat en voûte d'une multiplicité de relations constamment en mouvement» (Lachenmann). Ou, selon Nono, une mélodie de la simultanéité, car « la mélodie ne doit plus être considérée dans son déroulement, perspective carac- téristique de la musique tonale4», de sorte que «la forme musicale se comprend comme assemblage de sons isolés, déterminés et stationnâmes5 ». Or le son consti- tue une entité complexe, un organisme vivant, disposant d'un rythme, d'un timbre et d'une dynamique capables d'associations. Si la musique de Nono n'est pas sans affinité avec le langage, contrairement à celle de Lachenmann, sa concep- tion stylistique et corn position nelle est ouverte, traduisant une conscience fonda- mentalement galiléenne, décentrée. Disparaît toute tentation doctrinale de système, et prévalent au contraire les idées de liberté, de cheminement dans des espaces sonores. La note a déjà une valeur spatiale, et la série prédispose au lan- gage et à un comportement autonome sur le plan expressif. En somme, Nono soustrait Webern, pour se soustraire lui-même, de la logique d'un langage qui serait refondé mais pour être réduit à l'utilisation uniforme, sinon unilatérale, char- gée d'idéologie encore ptolémaïque, médiévale en fait, de l'unicité linguistique, du 2. Boehmer, K., «Ûber Luigi Nono», dans La Fabrico llluminata, livret de disque, Wergo 60038, p. 7 (traduction de l'allemand, LF). 3. Lachenmann, H. (1969), «Luigi Nono oder Ruckblick auf die sérielle Musik», dans Musik als existentielle Erfahrung, Wiesbaden, Breitkopf & Hârtel, 1996, p. 250, qui précise, dans le même article, p. 248 : « L e travail de composition se heurte aujourd'hui à un problème presque insoluble. Composer pour la société où nous vivons ou contre cette société, c'est pour elle la même chose, et le compositeur court le risque — surtout s'il veut toucher cette société au vif — de se voir sournoisement récupéré par elle. Ainsi, le problème majeur de la composition est aujourd'hui le suivant : comment libérerai-je le matériau musical des significations établies, et fausses, dont il es\ porteur dans la société, de manière à avoir envers cette société, en tant qu'artiste créa- teur, une attitude libre et critique?» (Traduction de l'allemand, Thierry Doumenc et L F . ) 4. Nono, L . (1960), «Diario polacco'58», dans Écrits, op. cit., p. 290 (traduction de l'allemand, LF). 5. Lachenmann, H. (1991), «Von Nono berùhrt», dans Musik als existentielle Erfahrung, op. cit., p. 297 (traduction de l'allemand, LF). 53 langage reclus dans son unique possibilité constitutive, dans une dernière analyse dogmatique et sublimatrice, que pratiquaient et propageaient les partisans du séria- lisme intégral et de Webern, son prophète6. Nono accentue encore la réduction en récusant toute transposition de la série, privilégiant rapports et proportions, et mettant en crise un Absolu sériel — au sens 6'absolutum, de séparé, voire d'absous de l'écharde du fini, «dégagé, affranchi et libre de tout ce qui peut être pensé en dehors de lui» (Schelling). L'Absolu, comme liberté océanique, qui ne connaît plus de rivage, s'oppose à l'insularité de Nono, musicien du mare nostrum, de l'archipel méditerranéen, où le navigateur approfondit sans nostalgie l'Un scindé. Son odyssée est le lieu d'un dialogue, d'une confrontation, de rencontres : Incontri, selon le titre de son oeuvre pour ensemble (1955). Dans cet archipel, Nono retrouvera, au cours des dernières années, et singulièrement dans Cominantes... Ayacucho (1986-1987, pour contralto, flûte basse, orgue, chœur, orchestre et dispositif électronique), les mondes du philosophe Giordano Bruno, lieux de la matière infinie, univers sans limite, ni terme, ni surface, où le centre est partout, et où les lieux et les temps se superposent dans la simultanéité. Ni une seule terre, ni une seule île, ni un seul centre, ni un seul horizon, ni un seul monde... Prometeo (1981-1984), divisé non en actes, mais en îles sera ce monde secret, âme du monde, miroir uploads/s3/ circuit-13-2-feneyrou-ecoute-cet-instant-lachenmann-et-nono.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager