La préface du « cornet à dés » est écrite en 1916, c’est-à-dire - si l’on tient

La préface du « cornet à dés » est écrite en 1916, c’est-à-dire - si l’on tient à la replacer dans son contexte historique, - en plein milieu de la Première Guerre Mondiale, qui a forcément affecté d’une manière ou d’une autre Max Jacob, alors âgé de quarante ans et résidant à Paris. Etrangement, ce contexte n’a pas semblé influencer outre mesure l’écriture du poète et, si la préface n’était pas datée, aucun indice ne nous aurait permis de deviner le contexte tragique dans lequel elle a pris forme. S’agit-il là d’une volonté consciente de l’auteur ou simplement d’une différenciation inconsciente entre le « je » de son écriture, entité abstraite, et son « moi », encré dans la réalité ? Dur à dire. Quoiqu’il en soit, cette absence de marqueurs contextuels dans le style est un premier signe de l’atemporalité qui se dégage de l’œuvre dans son ensemble, en dépit de la volonté de la situer précisément dans le temps par la datation. Jacob désire situer sa préface car, comme nous allons le voir, le terme « situer » a pour lui une signification et des implications toutes particulières. L’opposition entre situation, tangibilité, et abstraction artistique constitue le thème central de cette préface, opposition qu’on retrouve d’ailleurs dans le titre de l’œuvre elle-même. Michel Leiris le dit mieux que je ne saurais le faire, dans sa propre préface : « le Cornet à Dés, […] titre ambigu évoquant, sous la forme bien délimitée d’un objet de nature morte, le hasard sans limites ». La réalité, l’art, la situation, le style, l’émotion, tels sont les sujets abordés pêle-mêle dans la préface de Max Jacob. Ils y côtoient, bien entendu, sa définition de la poésie en prose, le regard qu’il porte sur son travail, son idéal artistique et ses influences : tout un programme dont le désordre n’est qu’apparent. Après tout la logique relève de la subjectivité, c’est un concept abstrait qui dépend du point de vue. Auteur pour le moins atypique qui prétend avoir vu Dieu en 1907, Max Jacob tente tant bien que mal de nous offrir dans sa préface un tour d’horizon approximatif mais ô combien instructif de ses idéaux créatifs pour nous permettre d’appréhender au mieux son travail. Si à la première lecture cette préface semble demeurer inintelligible, il en va de même pour la seconde. Pour un lecteur inexpérimenté, les voies de Jacob resteront longtemps impénétrables, mais dans le commentaire qui va suivre nous allons tenter, bon gré mal gré, d’extraire de cette préface la substantifique moelle, à la lumière de laquelle l’œuvre tout entière se trouvera éclairée. Hélas, la tâche est ardue, comme nous pouvons nous en rendre compte dès les premières lignes du texte, qui constituent pour Jacob une définition de ce qu’est la situation, un des concept clé de cette préface. « Tout ce qui existe est situé », lance l’auteur, nous laissant perplexes. Ce que Jacob appelle le « situation », c’est en quelque sorte, pour employer un terme plus commun, la hiérarchie, l’idée que chaque chose a une place précise par rapport aux autres, et donc une valeur particulière. Dès lors, l’auteur précise que ce concept ne va pas s’appliquer simplement à l’art, mais à une universalité : il ne faut donc pas prendre cette considération comme spécifique, mais l’assimiler comme une manière de penser générale, une vision particulière du monde qu’il nous faut adopter, car c’est la base sur laquelle reposera tout le propos de Jacob. « Tout » a une valeur, qui peut lui être attribué selon différents critères, qui n’ont pour l’instant par d’importance en eux-mêmes. Pour illustrer ses dires et dans une volonté claire de se faire bien comprendre par son lecteur, il cite des exemples qui, à défaut d’éclairer réellement le concept, nous donne au moins un premier aperçu de sa culture et de ses goûts artistiques en peinture (Raphaël et Ingres) et en littérature (Vigny et Musset). Sa définition de la situation lui permet de faire une ouverture sur l’art, qui constituera le cœur de son propos. Après avoir défini ce premier terme, il tient à donner sa définition de ce qu’est le style, car c’est un terme qu’il utilisera à plusieurs reprises par la suite et il désire éviter les amalgames. Pour cela il part d’une définition du style donné par Buffon (célèbre écrivain du XIIIème), qu’il considère cependant erronée. Jacob oppose en effet la nature de l’homme, sa manière d’écrire, qui lui est propre et intuitive, au style, artificiel et forcé (« des moyens choisis »). Il établit donc ici une différenciation de l’art et de l’humanité ; l’art est un exercice contraint, et il s’éloigne donc de l’état de nature et de simplicité dans lequel n’importe qui (pas nécessairement un artiste) écrirait, sans consigne particulière. Cette différenciation tend donc à valoriser, d’une certaine manière, l’exercice du style, qui n’est ainsi pas à la portée de chacun. Pour Jacob, le style n’est pas l’homme, car tout homme n’a pas le mérite d’avoir du style, car c’est un mérite : la pratique de l’art demande le respect de certaines règles (« les règles de l’art enseignées dès l’enfance constituent des canons qui donnent un style »), et ces règles nous poussent à faire l’effort de nous éloigner de l’écriture naturelle, plus aisée. Pour Jacob, être un artiste signifie avoir saisi les règles du style mais ne s’en servir que comme base pour exprimer sa personnalité propre : « Les artistes sont alors ceux qui, malgré les règles, trouvent une expression vivante ». Le style seul est froid, et la personnalité seule est trop désordonnée, seul un mélange bien équilibré des deux peut aboutir à l’art véritable. L’artiste doit « écrire avec son sang », formule très forte désignant le caractère quasiment sacrificiel de l’écriture ; celui qui écrit doit abandonner sur sa feuille une partie de son être. On sait Jacob fervent chrétien, ainsi le parallèle entre le Christ présentant son sang comme du vin offert à ses fidèles et le poète présentant son sang comme l’encre utilisée pour s’offrir à ses lecteurs est inévitable. L’artiste est donc celui qui connaît les règles formelles de l’art, le « style », mais qui s’en détache pour mieux exprimer sa personnalité, on ne pouvait bien entendu pas attendre un autre point de vue de la part d’un poème en prose, qui compose une forme poétique sans pour autant suivre les règles formelles de la poésie. Déjà, on peut dire que cette préface est plus ordonnée qu’elle n’y paraît au premier abord. En effet, si l’on oublie tous les exemples pompeux et les considérations trop complexe, qu’a fait jusqu’à présent Max Jacob ? Il a posé les bases de son développement, c’est-à-dire qu’il a défini de manière claire (plus ou moins claire) les deux termes récurrents de sa thèse : le style et la situation. Ces bases posées, il ne lui reste qu’à nous présenter son œuvre, comme toute préface conventionnelle se doit de le faire. Il s’en charge dans le troisième paragraphe, après avoir fait une rapide allusion à la sempiternelle Querelle des Modernes et des Anciens (Jacob se plaçant, de par son statut d’auteur de poèmes en prose, bien évidemment du « côté » des Modernes) et avoir relativisé ses considérations précédentes dans un désir de modestie (« cette théorie n’est pas ambitieuse, elle n’est pas non plus nouvelle »). Pour la première fois dans le texte, Max Jacob s’adresse explicitement à son lecteur, comme on le voit avec l’emploi du « vous », par là il cherche à attirer son (notre) attention, sur un point crucial : la manière dont doit être lu le cornet à dés. Il doit être lu « non pas longtemps, mais souvent ». Tentons d’expliquer ce conseil. Un poème en prose, de par sa nature, demande un effort d’attention pour être pleinement compris. Les allégories, les allusions, l’aspect onirique parfois, tout ce qui donne sa poésie au genre fait qu’il n’est pas accessible par une lecture rapide. Or cet effort ne peut être maintenu sur de longues durées. Si le recueil de poèmes en proses est donc lu « trop » longtemps, le lecteur y perdra en compréhension, et puisque, d’après les termes de Jacob, « faire comprendre, c’est faire aimer », cette perte de compréhension entraîne une baisse de l’intérêt porté à l’œuvre, qui ne pourra donc être estimée à sa juste valeur. Jacob désirant, et c’est bien compréhensible, être apprécié comme il se doit, il demande à ses lecteurs de le lire au rythme de leur compréhension, dans le seul but de leur faire pleinement apprécier son œuvre. Ainsi de cette considération on peut dégager la vision qu’à l’auteur de son œuvre. Contrairement à Aloysius Bertrand qui voyait son « Gaspard de la Nuit » comme un tout divisé en petits poèmes en prose, Max Jacob voit son « Cornet à Dés » comme un assemblage de petites œuvres totalement indépendantes les unes des autres, point sur lequel il rejoint Baudelaire. A nouveau l’auteur aborde le thème uploads/s3/ commentaire-de-la-preface-du-cornet-a-des.pdf

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